Le trajet jusqu’au royaume n’était pas un voyage traditionnel. Il n’y eut ni aéroport ni douane. Juste une voiture noire aux vitres teintées, silencieuse comme la neige, qui attendait au coin de la rue. Le chauffeur, une femme au crâne rasé portant une cape de laine bleue, s’inclina sans un mot.
Harry hésita avant de monter, le regard fuyant, son sac à dos contre lui comme un bouclier.
— Tu vas me dire qu’on traverse un portail magique, maintenant? ironisa-t-il.
— Pas magique, répondit Edrian, les yeux rivés à l’horizon. Disons… oublié.
Et, effectivement, après plusieurs heures de route, au détour d’un bois où les arbres devenaient si serrés qu’on aurait dit qu’ils chuchotaient entre eux, la route s’arrêta. Et le monde changea.
La lumière vira à l’or pâle. L’air avait un goût de menthe fraîche. Et dans le silence feutré d’une brume légère, un sentier pavé de pierres sombres serpentait entre des arcades envahies de lierre.
— Nous y sommes, déclara simplement le prince.
Harry descendit, étourdi. Tout semblait à la fois ancien et vivant. Les bâtiments visibles à travers la brume semblaient faits d’ardoise, de bois blond et de verrières colorées, comme si la lumière elle-même servait de peinture.
— C’est quoi cet endroit? souffla-t-il.
— Lyndewen. Le Royaume des Promesses. Il n’apparaît qu’à ceux qui en sont liés.
Harry s’arrêta.
— Tu veux dire que je suis le seul à pouvoir voir tout ça? Qu’un touriste lambda ne verrait que des arbres?
Edrian hocha la tête.
— Ton oui d’enfant a ouvert la porte. Elle ne se referme que si tu la refuses.
Des enfants en tunique de lin couraient dans un jardin suspendu au loin. Une vieille femme aux cheveux argentés tricotait sur un balcon. Et une fontaine chantait dans une langue que Harry ne comprenait pas, mais qui lui donnait envie de pleurer.
Ils arrivèrent devant un palais étrange, mais ni imposant ni froid. Il semblait avoir poussé du sol, comme s’il était fait de la même pierre que la terre elle-même. Des vitraux représentaient des scènes… d’enfance. Deux enfants sur une balançoire. Un petit garçon dans l’herbe. Un anneau rouge dans une main tremblante.
Harry se figea.
— C’est moi.
Edrian se tourna vers lui.
— Ce souvenir était le mien aussi. Il a été immortalisé le jour même où j’ai promis de te retrouver.
Harry serra son sac. Tout ça allait trop loin. Trop vite.
— Et si je te dis non maintenant? Tu fais quoi? Tu me laisses repartir, comme si rien n’était arrivé?
— Je te laisse repartir, oui. Mais rien ne pourra effacer ce que tu as vu. Tu porteras toujours en toi le souvenir de ce que tu aurais pu choisir.
La voix d’Edrian était douce. Pas pressante. Pas cruelle. Juste… triste.
Harry détourna les yeux. Il aurait voulu croire que tout cela était une hallucination. Qu’il rêvait, qu’il s’était assoupi dans le métro, encore une fois. Mais non. Il sentait la chaleur du sol sous ses pieds, le poids de l’air contre sa peau. Il était ici. Vraiment ici.
Il suivit Edrian dans le palais. Des couloirs de bois sombre et de lumière. Des fleurs étranges accrochées aux murs comme des lampes vivantes. Des murmures dans les pierres. Des serviteurs qui le saluaient avec des sourires discrets, comme s’ils l’attendaient.
On le mena dans une chambre. Vaste. Simple. Une grande fenêtre ouverte sur le ciel pâle. Sur l’oreiller, une boîte. En l’ouvrant, Harry découvrit une lettre, écrite à la main.
“Tu n’étais qu’un enfant, Harry. Tu ne savais pas ce que tu promettais.
Mais moi, j’ai attendu. Chaque année.
Tu peux partir. Personne ne t’enchaînera ici.
Mais si tu veux rester… je te montrerai tout ce que ce monde peut t’offrir.
Pas en prince. En ami. Puis, peut-être, plus.
Edrian”
Harry resta un long moment à fixer cette lettre. Le vent soulevait doucement les rideaux. Il repensait à son appartement minuscule. À son boulot sans avenir. À son silence intérieur. Et à cette vieille balançoire rouillée.
Il était fatigué de survivre.
Pour la première fois, il se demanda ce que cela ferait… de vivre.
Le soir venu, on l’invita à un banquet. Mais Harry ne vint pas.
Il sortit à la place dans les jardins. Il retrouva Edrian seul, assis près d’un arbre qui ressemblait à un saule, mais dont les feuilles scintillaient doucement.
— Tu ne portes pas ta cape de prince, nota Harry.
— Ce soir, je suis juste un garçon qui t’a aimé trop tôt, répondit Edrian avec un sourire fragile.
Harry s’assit à côté de lui. Le silence était paisible.
— Je ne me souviens pas de toi, murmura-t-il. Pas vraiment. Juste… une chaleur. Une promesse.
— C’est suffisant.
Harry inspira profondément.
— Je veux rester. Pas comme époux. Pas encore. Mais… comme invité. Comme quelqu’un qui veut comprendre ce qu’il a perdu.
Edrian hocha la tête. Et, sans rien dire, il lui tendit l’anneau rouge.
— Tu peux le garder. Jusqu’à ce que tu sois prêt.
Harry prit l’anneau. Il brillait à peine. Mais il pesait doux, comme une promesse légère.
Et pour la première fois depuis très longtemps, Harry Forger sentit quelque chose pousser en lui. Pas une douleur.
Une petite graine.
D’espoir.
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