Promesse Oubliée
Je me rendais souvent dans le petit parc du quartier. C’était ma cachette, mon refuge après l’école. Chez moi, l’ambiance était trop tendue, trop lourde. Depuis que l’entreprise de mon oncle avait commencé à fournir des femmes de ménage aux employés de bureau, je n’avais plus besoin de faire la vaisselle, le ménage ou le jardinage. Ça les arrangeait aussi : j’étais moins dans leurs pattes.
Je passais donc mes après-midis assis sur la vieille balançoire rouillée, les mains crispées sur les chaînes métalliques, les jambes traînant dans le sable. L’air tiède sentait le bitume chauffé par le soleil et les biscuits à la vanille que les mères distribuaient avec tendresse à leurs enfants. Moi, je n’avais pas de biscuits. Et encore moins de mère pour m’en offrir.
Je venais seul. Toujours seul.
Mais ce jour-là, je ne l’étais pas.
Un petit garçon est apparu. Il avait les cheveux bruns, frisés, un t-shirt trop grand avec un dinosaure qui souriait, et des yeux étranges, d’un gris presque métallique. Il s’est approché de moi avec curiosité, comme s’il n’avait jamais appris à craindre les inconnus.
— Pourquoi tu joues pas ? m’a-t-il demandé franchement.
J’ai haussé les épaules. J’avais appris qu’en dire trop, c’était s’attirer des ennuis. Mais lui, il ne me regardait pas comme les autres. Il n’avait pas l’air de vouloir se moquer ou me jeter du sable.
— Tu veux venir sur le toboggan avec moi ?
J’ai hésité. Puis j’ai hoché la tête.
Et on a joué. Longtemps. Peut-être une heure, peut-être deux. On a couru, on a grimpé, on a glissé, on a ri. C’était la première fois que je riais avec quelqu’un de mon âge.
À un moment, on s’est allongés dans l’herbe, les bras écartés, les yeux tournés vers les nuages.
Et il a dit, comme s’il annonçait ce qu’il allait manger au souper :
— Moi, je vais me marier avec toi.
J’ai tourné la tête vers lui, surpris. Il continuait à fixer le ciel.
— C’est ce qu’on fait avec les gens gentils. On se marie avec eux pour les garder, a-t-il expliqué.
Mon cœur a fait un drôle de bruit, un genre de clac discret à l’intérieur de moi. J’avais jamais entendu ça.
— D’accord, j’ai murmuré. On se marie.
Il a trouvé un petit anneau en plastique rouge dans le bac à sable. Il me l’a glissé au doigt avec un sérieux presque solennel.
— Maintenant t’es mon époux. C’est pour toujours.
Le vent s’est levé doucement, comme pour souligner ce pacte magique de l’enfance. Les feuilles ont bruissé comme des applaudissements discrets.
Mais tout est allé trop vite, après.
Une voix de femme, douce mais ferme, a appelé le garçon. Il s’est levé, a promis qu’il reviendrait le lendemain.
Il n’est jamais revenu.
Je ne sais pas pourquoi.
Je suis revenu au parc plusieurs fois, au cas où. Puis j’ai arrêté. Et j’ai oublié. Lentement. Comme on enterre un rêve sous trop de couches de jours gris.
Jusqu’à ce que, des années plus tard, dans un monde bien plus vaste, bien plus dur, une lettre me parvienne.
L’enveloppe portait un cachet étranger, presque effacé.
Et à l’intérieur, il y avait une note, manuscrite, à l’encre bleue :
À mon époux,
Tu m’as promis “pour toujours”.
Il est temps de tenir ta promesse.
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