**Chapitre 2 : Le Coupable Invisible**
Dans la maison où j’ai grandi, les murs n’étaient pas couverts de photos de famille ou de rires d’enfants. Ils vibraient au rythme des cris, des disputes, des silences lourds. Chaque pièce semblait retenir son souffle, comme moi, chaque fois que la voix de mon père s’élevait. Il criait souvent, parfois pour des choses futiles, parfois sans raison apparente. Et ma mère, elle lui répondait avec la même rage, ou bien elle se taisait, les lèvres pincées, les yeux sombres.
Le pire, c’était quand les mots devenaient des gestes. Mon père ne frappait pas tout le temps, mais quand il le faisait, c’était comme si le monde s’arrêtait. Une chaise renversée, un cri étouffé, un corps qui se replie. Mes frères étaient souvent les cibles de cette violence. Et moi, figée dans un coin, je regardais, impuissante. Jusqu’à ce que la tempête passe, et que le silence retombe comme un couvercle sur une marmite prête à exploser de nouveau.
Mais ce qui me faisait le plus mal, ce n’était pas la violence elle-même — c’était ce que ma mère disait après. Quand tout était fini, quand mes frères pleuraient encore dans leurs chambres, elle venait vers moi, les yeux pleins de reproches, et murmurait :
**« C’est ta faute. S’il les frappe, c’est parce que tu existes. »**
Et moi, je restais là, bouche ouverte, sans savoir comment répondre. Comment pouvais-je être responsable de la colère de mon père ? Pourquoi est-ce que ma naissance semblait avoir détraqué tout l’équilibre fragile de notre famille ?
Petit à petit, j’ai commencé à y croire. J’étais la faute. Le problème. L’origine du désordre. Alors, j’ai voulu disparaître. J’ai appris à marcher sans bruit, à ne pas parler si on ne me parlait pas, à cacher mes émotions derrière un visage vide. Si je pouvais être invisible, peut-être que la paix reviendrait.
Mais la paix ne venait jamais.
À l’école, j’étais la fille silencieuse. Les professeurs disaient que j’étais sage, mais en réalité, j’étais juste brisée. J’observais les autres enfants, leurs familles qui venaient les chercher, les mères qui souriaient, les pères qui tenaient leurs mains. J’enviais ces gestes simples comme on envie l’eau quand on a soif. J’aurais tout donné pour un regard tendre, une voix qui me dise que j’avais de la valeur.
Un jour, une camarade de classe m’a dit :
**« Tu sais, tu es gentille, mais on dirait que tu es toujours ailleurs. »**
Et elle avait raison. J’étais ailleurs, dans un monde intérieur que j’avais construit pour me protéger. Un monde où je n’étais pas responsable du malheur des autres, où ma naissance n’était pas une erreur.
Mais même dans ce monde, je me sentais seule.
Le soir, dans mon lit, j’imaginais une autre vie. Une vie où ma mère me prenait dans ses bras et me disait qu’elle était fière de moi. Une vie où mon père riait au lieu de hurler. Une vie où je pouvais respirer sans avoir peur. C’étaient des rêves simples, presque naïfs, mais ils étaient tout ce que j’avais.
Je me souviens d’un soir en particulier. Mon petit frère venait d’être frappé parce qu’il avait renversé un verre. Il pleurait dans sa chambre, et moi j’étais assise sur le sol de la salle de bain, les genoux contre la poitrine. Ma mère est entrée, m’a regardée de haut et a dit, sèchement :
**« Si tu n’avais jamais été là, on aurait été heureux. »**
Puis elle est partie, me laissant seule avec ses mots comme des lames froides plantées dans mon ventre.
Ce soir-là, j’ai compris quelque chose : même si je n’avais rien fait, j’étais coupable dans leurs yeux. Coupable d’exister. Coupable d’être née fille. Coupable de ne pas être ce qu’ils espéraient.
Et pourtant, malgré tout ça, je l’aimais. Je l’aime encore. Ma mère. Avec toute la douleur qu’elle m’a donnée, je continue de chercher dans ses gestes le moindre signe de tendresse. C’est peut-être ça, l’amour des enfants : un amour obstiné, qui pardonne tout, même l’impardonnable.
Mais un jour, je me suis promis que j’allais changer. Pas pour eux. Pour moi. Parce que même si on m’a toujours fait sentir que je ne valais rien, au fond de moi, une voix me disait encore :
**« Tu mérites mieux. »**
---
**Merci à vous, chers lecteurs, de m’accompagner dans ce voyage intime. Votre présence donne un sens à mes mots.
***Téléchargez NovelToon pour profiter d'une meilleure expérience de lecture !***
3 épisodes mis à jour
Comments