Chapitre 1 : la splendeur et l'arrière cour

L'été était à son apogée, et le soleil dardait ses rayons sur la demeure Ouamba, dressée fièrement au sommet des collines de Suzhou. La villa principale, bijou d’architecture contemporaine, resplendissait sous la lumière dorée, comme un trône de verre et d’acier posé sur un écrin de jade. À ses côtés, les ailes anciennes de la demeure, de style Ming, semblaient endormies, figées dans le passé, comme des fantômes vénérables.

C’était le jour du dîner familial, ce rituel sacré qui, tous les quinze jours, réunissait les membres éminents de la lignée. Les couloirs bourdonnaient d’agitation. Majordomes en veston noir et servantes en robe de lin couraient dans tous les sens, armés de plateaux, de draps de soie, de porcelaines délicates. L’effervescence masquait une tension palpable. Aujourd’hui, aucune erreur n’était permise.

— Pourquoi tout le monde est si étrange aujourd’hui ? demanda Ana, nouvelle servante à peine sortie de l’adolescence, les bras pleins de vaisselle immaculée.

— Chut, répondit Xia à voix basse. Aujourd’hui, c’est le banquet des maîtres. Si tu fais la moindre erreur… tu es finie.

Elle jeta un regard autour d’elle, comme si les murs pouvaient trahir leurs secrets.

— La dernière fois, une servante a renversé du vin sur la nappe. Il paraît que… que le maître a fait couper sa main avant de la chasser.

Ana blêmit.

— Tu plaisantes… ?

Xia resta silencieuse, un demi-sourire figé au coin des lèvres. C’est l’intendant, au pas lourd, qui mit fin aux commérages d’un aboiement sec. Les deux jeunes filles s’inclinèrent et disparurent.

Ce soir-là, dans la grande salle à manger aux parois de jade, tout fut prêt comme un temple avant le sacrifice.

Kirisame Ouamba entra le premier. Son port altier rappelait celui des empereurs d’antan, le regard dur et sanglant, encadré par des lunettes fines. Il portait une chemise bordeaux taillée dans une soie d’exception, assortie à un pantalon bleu nuit et à des souliers italiens. À son poignet, une montre rare, et à son doigt, une bague austère mais d’un raffinement inégalé. Il s’installa en bout de table, incarnant à lui seul la rigueur et l’absolutisme.

À sa droite, Dominia, la mère. Belle à en éclipser les statues, vêtue d’une robe sirène rose foncée, fendue haut sur la cuisse. Son cou était orné de perles, son poignet d’un bracelet au dessin complexe. Elle avait l’élégance d’une impératrice moderne, dont le sourire dissimulait mille contrats et autant de silences.

Puis vint Silhouette, l’aîné. Vingt ans, athlétique, à l’allure de rockstar. Cheveux noirs attachés en chignon, une chaîne tombant sur ses abdominaux à peine cachés par un marinière blanche, baskets de luxe aux pieds, il portait sur lui le désinvolte charisme des héritiers sûrs de leur destin.

Enfin, Madia. Quinze ans presque révolus, miroir glorieux d’une beauté adolescente. Elle arborait les yeux rubis de son père, intenses et mystérieux, contrastant avec sa peau de porcelaine et ses longs cheveux caramel. Sa robe pastel, rehaussée de détails argentés, épousait ses formes délicates. Un léger parfum de thé fleuri l’accompagnait, subtil rappel de sa douceur raffinée.

La table était dressée comme un autel : vaisselle de porcelaine ancienne, couverts d’argent, nappes de lin brodé. On servit un potage clair de champignons sauvages, suivi de canard laqué au miel, de crevettes au gingembre, et d’un assortiment de mets venus de toutes les provinces. Les vins, rares et capiteux, éveillaient les palais autant que les esprits.

Dominia leva sa coupe.

— À notre réunion. Que la paix règne sous ce toit.

— Et qu’aucun retard n’ait à être justifié, ajouta Kirisame sans sourire, balayant la tablée de ses yeux rouges.

Silhouette prit la parole, évoquant ses progrès en arts martiaux, sa dernière compétition de basket, et les études, qu’il menait avec discipline.

— Le professeur Lin dit que j’ai l’esprit d’un stratège, fit-il, amusé.

— Tant que tu ne deviens pas un bouffon de vestiaire, ça me va, répondit son père.

Madia, à son tour, partagea ses entraînements de kendo, ses lectures, et une mésaventure lors d’une démonstration ratée à l’école.

— J’ai glissé sur mon propre hakama… humiliant.

— L’humilité précède la grandeur, dit doucement Dominia.

Puis, comme si elle hésitait, Madia posa son verre.

— Maman… Papa… Pour mon anniversaire… j’aimerais quelque chose de différent.

Les regards se tournèrent vers elle.

— J’en ai marre des bals guindés ici. Cette fois, je veux partir. Loin. En Amérique. Dans une villa immense, moderne, pleine de lumière. Je veux fêter mes Seize ans comme une star, pas comme une relique.

Un silence tendu suivit. Puis Kirisame inspira profondément.

— Tu es exigeante.

— Elle a l’âge de rêver, murmura Dominia. Et les moyens de réaliser ses rêves.

— Très bien, trancha-t-il. Mais que ce soit à la hauteur de notre nom.

La salle retrouva ses conversations, et dans l’ombre des rideaux tirés, les domestiques échangèrent des regards excités. Mais aucun n’osa suggérer, ni demander, ni commenter.

Et pendant que les maîtres festoyaient dans les dorures et les éclats de cristal, dans un recoin ignoré de la propriété, une autre scène se jouait. Sous les branches noueuses d’un vieux prunier, là où les servantes ne passaient plus depuis des années, une silhouette frêle était assise, les bras enroulés autour de ses genoux.

Nix-wing.

Même apparence que Madia, sa sœur jumelle. Mais ses yeux, eux, étaient d’un bleu saphir, profonds et purs comme des lacs intérieurs. Elle portait une robe sans manches, effilochée aux ourlets, des sandales usées jusqu’au tissu, et ses longs cheveux noirs retombaient en deux nattes négligées sur ses épaules maigres.

Personne ne parlait d’elle. Personne ne lui parlait. Dans cette famille, elle n’existait que comme une rature trop visible sur un parchemin trop précieux.

Son regard balayait l’arrière-cour : murs écaillés, herbes folles, morceaux de meubles oubliés. Elle semblait attendre une réponse que personne n’allait lui donner. Un mot. Un geste. Une main tendue.

Mais le silence était son seul interlocuteur.

Assise là, elle contemplait la lune, son unique confidente. Elle n’était ni haineuse, ni vengeresse. Juste lasse. Curieuse de comprendre ce qu’elle avait fait pour mériter une telle solitude. Envieuse, peut-être, d’un bonheur qu’on lui refusait.

Pourquoi suis-je née ici, si ce n’est pour y vivre ?

Ses larmes ne coulaient pas. Mais elles étaient là, derrière ses pupilles, invisibles comme l’espoir qu’elle conservait malgré tout.

Une princesse sans couronne, façonnée non par les honneurs, mais par l’ombre du mépris.

Et tandis que la villa s’éteignait peu à peu, pleine des rires de ceux qu’on choisit d’aimer, la maison dormait, et l’arrière-cour, elle, pleurait en Silence 

chapitre 1 fin

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