Sans Alpha, Sans Maître (Brûle-moi, Brise-moi)
Elijah revoit Daelan
La lumière du matin filtrait à travers les hautes vitres teintées du penthouse. L’espace était vaste, froid, presque clinique. Elijah s’y tenait comme dans un territoire étranger, pourtant déjà cartographié. Il avait pris ses marques dans les quartiers privés — surveillé les angles morts, noté les accès, intégré les routines.
Mais ce matin-là, Daelan avait changé l’heure du briefing sans prévenir.
Il entra dans la pièce sans bruit.
Elijah était déjà là.
Dos droit, appuyé contre la rambarde de métal noir qui surplombait la ville, regard rivé sur l’horizon. Il ne se retourna pas tout de suite. Pas besoin. L’odeur avait suffi.
Thé noir, bois sec, encre fraîche.
Elijah
— Vous êtes en retard.
Daelan
(ne s’excuse pas, referme la porte derrière lui) :
— J’ai changé l’heure. Il faut apprendre à suivre.
Elijah
(calme, sans détourner le regard) :
— Je ne suis pas là pour suivre. Je suis là pour anticiper.
Un silence. Puis des pas lents, précis. Daelan avança dans la pièce sans un mot, contourna Elijah, le frôlant presque, sans jamais croiser son regard. Il se servit un verre d’eau à la carafe posée sur la table basse, puis s’installa sur un fauteuil, jambes croisées, posture parfaitement mesurée.
Daelan
— J’ai un déjeuner avec le conseil d’administration dans deux heures. Présence requise. Distance imposée.
Daelan
(le regarde, impassible) :
— Bien. Il faudra vous habituer à ne pas poser de questions inutiles.
Elijah
— Il faudra vous habituer à ce que je n’en pose pas du tout.
Les regards s’accrochèrent enfin. Droit dans les yeux. Froids. Ni hostilité ni défi. Juste une évaluation brutale. Deux puissances verrouillées.
Daelan
— La plupart veulent savoir pourquoi je les engage. Ce que je crains. Ce que je cache. Vous, non.
Elijah
— Ce n’est pas mon rôle de savoir. C’est mon rôle de voir.
Daelan pencha légèrement la tête, comme s’il décortiquait un détail sur un tableau.
Daelan
— Vous êtes resté combien de temps chez le précédent client ?
Elijah
— Assez pour le sortir vivant. Trop pour qu’il oublie ce qu’il a vu.
Daelan
— Et vous, vous oubliez ?
Elijah
— Je retiens ce qui peut tuer. Le reste, je le laisse aux psy.
Un éclat glissa dans les yeux de Daelan. Ni amusement, ni ironie. Juste quelque chose de dur, qu’il n’avait pas encore formulé.
Il se leva. Marcha jusqu’à Elijah. Cette fois, à quelques centimètres.
Daelan
— Si un jour je décide de franchir la ligne, vous ferez quoi ?
Elijah
(regard fixe, ton bas et tranchant) :
— Je vous arrête. Avant que vous ne le sachiez vous-même.
Silence. Long. Dense.
Puis Daelan s’écarta.
Daelan
— Bien. On commence à se comprendre.
Il quitta la pièce, laissant derrière lui une odeur de contrôle maîtrisé et de tension non libérée.
Elijah resta seul quelques secondes de plus, les yeux sur la porte close.
Ce n’était pas un employeur.
C’était une anomalie. Une énigme. Un rappel que parfois, la mission n’est pas de protéger un homme. Mais d’empêcher ce qu’il est de se révéler au monde.
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