La chambre dans laquelle on avait conduit Isolde ressemblait davantage à une suite royale qu’à une cellule, mais elle ne s’y sentait pas plus libre. L’endroit était vaste, décoré avec goût : rideaux de velours sombre, lit à baldaquin, parquet brillant, une coiffeuse d’époque et une immense baie vitrée donnant sur les lumières nocturnes de Valdora. Pourtant, malgré tout ce luxe, une angoisse pesait sur elle. Les murs semblaient respirer, écouter.
La porte s’était refermée derrière elle avec un claquement sec. Les deux hommes qui l’avaient escortée s’étaient retirés, silencieux comme des ombres. Elle les avait sentis observer chacun de ses gestes, comme si une simple tentative de fuite justifierait une balle entre ses omoplates.
Isolde fit quelques pas, ses talons résonnant dans l’immensité glaciale de la pièce. Elle passa ses doigts sur la surface polie de la coiffeuse, observa les draps noirs impeccables du lit, l’épais tapis au sol. Rien n’était laissé au hasard. Tout respirait le contrôle. Même les objets les plus anodins semblaient placés selon une logique invisible.
Elle s’assit au bord du lit, serra ses mains tremblantes sur ses genoux. Son esprit tournait à toute vitesse. Selene… Elle avait osé la livrer à Kael Draven, cet homme dont tout Valdora murmurait le nom avec crainte. C’était plus qu’une trahison : c’était une condamnation.
Mais pourquoi ? Pourquoi Kael Draven avait-il accepté ? Pourquoi la garder ici, comme un trophée ? Elle n’était qu’une étudiante en droit sans ambition particulière. Pas d’argent, pas d’influence. Rien.
Elle sentit son cœur battre plus vite en repensant à son regard. Ce regard qui avait percé son âme comme une lame. Ce regard froid, calculateur… mais chargé d’une intensité étrange. Il l’avait déclarée sienne avec une certitude glaciale, comme si son destin lui appartenait désormais.
Un frisson parcourut son échine. Elle se leva, s’approcha de la baie vitrée. La ville s’étendait à perte de vue, constellée de néons et de phares. Mais à travers la vitre, elle aperçut quelque chose : une silhouette postée sur le toit d’un bâtiment voisin. Un éclat métallique à sa ceinture. Un sniper. Elle recula d’un pas, choquée. Était-ce un garde ? Ou un avertissement ?
La poignée de la porte s’actionna soudain. Isolde se retourna brusquement. Un homme entra. Grand, blond, vêtu d’un costume gris clair. Il portait un sourire charmeur, mais ses yeux bleus étaient glacials.
— Je me doutais que tu serais encore éveillée.
Sa voix était douce, presque chantante. Il s’avança, mains dans les poches.
— Qui êtes-vous ? demanda Isolde, sur la défensive.
— Je m’appelle Adrian. Adrian Karsov. Je travaille pour Kael.
Elle fronça les sourcils.
— “Travaille” ? Vous êtes quoi ? Son garde du corps ?
Il rit doucement.
— Garde du corps, conseiller, bras droit… choisis le terme qui te rassure. Mais je ne suis pas là pour te menacer.
Il s’approcha de la coiffeuse, attrapa une bouteille de vin posée sur le meuble et remplit deux verres.
— Tu dois être terrifiée, dit-il calmement. Et tu as raison de l’être. Kael n’est pas un homme qu’on défie sans conséquences.
Isolde resta immobile, méfiante.
— Alors pourquoi… pourquoi moi ?
Adrian haussa les épaules.
— Je pourrais te donner une centaine de raisons. Stratégie. Vengeance. Intérêt personnel. Mais… je crois que tu l’intrigues. Et crois-moi, ce n’est pas bon signe.
Il lui tendit un verre. Elle hésita, puis secoua la tête.
— Je ne bois pas.
Un sourire amusé étira ses lèvres.
— Comme tu veux.
Il s’assit dans un fauteuil, la détaillant comme un prédateur qui jauge une proie.
— Tu veux un conseil ? lui demanda-t-il.
— …Oui.
— Ne montre jamais ta peur devant lui. Elle le nourrit. Et ne cherche pas à le comprendre. Cet homme est un labyrinthe. Ceux qui ont essayé d’en trouver la sortie… ne sont plus là pour en parler.
Un silence lourd s’installa. Adrian finit son verre, puis se leva.
— Je reviendrai te voir. Si tu as de la chance, je t’apprendrai comment survivre ici.
Avant de sortir, il ajouta :
— Ah, et ferme toujours la porte à clé. Même si ça ne servira pas à grand-chose.
La porte claqua derrière lui, laissant Isolde seule et tremblante. Elle verrouilla machinalement, bien consciente que ce geste était vain.
Elle passa une main sur son front. L’air de la chambre lui semblait étouffant. Elle alla s’asseoir à la coiffeuse, fixa son reflet. Son visage paraissait pâle, ses yeux cernés. Elle avait toujours été une jeune femme discrète, sans histoire. Comment avait-elle pu se retrouver ici ?
Un bruit sourd résonna derrière la porte. Son cœur bondit. Des voix basses échangèrent quelques mots, puis le silence retomba.
Elle tenta de se calmer, mais la porte s’ouvrit brusquement. Cette fois, c’était Kael.
Il entra sans frapper, referma derrière lui. Son regard était sombre, mais calme. Il ôta sa veste, la posa sur une chaise.
— Tu n’as pas dîné, dit-il simplement.
Isolde serra les dents.
— Je n’ai pas faim.
Il s’approcha lentement, s’arrêta à quelques pas.
— Ne me défie pas, Isolde. Pas ce soir.
Elle sentit son estomac se nouer.
— Alors pourquoi êtes-vous là ?
Kael esquissa un léger sourire.
— Pour t’apprendre une chose. Dans mon monde, il y a deux catégories de gens : les prédateurs et les proies. Tu n’as pas choisi ton camp, Isolde. Selene l’a choisi pour toi.
Elle sentit la colère monter.
— Je ne suis pas un objet !
Kael fit un pas, son ombre l’engloutissant.
— Et pourtant, tu es ici. Parce que ta sœur a pensé que tu serais une monnaie d’échange parfaite.
Les mots frappèrent Isolde comme des coups. Elle voulut parler, mais sa gorge était sèche. Kael s’accroupit devant elle, posa une main ferme sous son menton, l’obligeant à croiser son regard.
— Je pourrais la faire disparaître, murmura-t-il. Un claquement de doigts, et Selene ne serait plus qu’un souvenir.
Elle eut un frisson, incapable de répondre.
— Mais ce n’est pas elle qui m’intéresse. C’est toi.
Il relâcha son menton, recula, et se dirigea vers la porte.
— Repose-toi. Demain, tu verras à quoi ressemble ma ville.
Et il sortit, laissant une tension électrique derrière lui.
Le lendemain matin, Isolde fut réveillée par un coup frappé à sa porte. Adrian entra, vêtu d’un costume sombre cette fois.
— Habille-toi, dit-il simplement. Kael veut te montrer quelque chose.
Elle enfila une robe noire simple, fournie par une domestique silencieuse. Ses mains tremblaient.
Ils descendirent les longs couloirs du manoir. Partout, des hommes armés, des regards froids. L’odeur du cuir et du parfum masculin emplissait l’air.
Ils sortirent par l’arrière du manoir. Une voiture noire les attendait. Kael était déjà installé à l’arrière, impeccable dans un costume trois pièces. Son regard se posa brièvement sur Isolde, puis il fit signe qu’elle monte.
La voiture s’élança dans les rues de Valdora. La ville était différente vue de ses yeux : quartiers riches, clubs privés, hôtels de luxe, tout respirait le pouvoir. Mais plus ils s’enfonçaient, plus les rues devenaient sombres. Graffitis, bâtiments délabrés, regards hostiles…
Kael brisa le silence.
— Tout ceci m’appartient. Du centre aux bas-fonds. Chaque ruelle, chaque bar, chaque business.
Il tourna la tête vers elle, son regard brûlant.
— Et désormais, toi aussi, tu fais partie de mon empire.
La voiture s’arrêta devant un entrepôt. Kael descendit, suivi d’Isolde et d’Adrian. L’endroit grouillait d’hommes armés.
Kael avança, son autorité palpable. Isolde resta près d’Adrian, le cœur battant.
Une porte s’ouvrit. Deux hommes furent traînés à l’intérieur, mains liées, visages ensanglantés. Kael ne montra aucune émotion.
— Tu dois voir qui je suis, dit-il à Isolde, d’une voix calme. Pas le mythe. La réalité.
Il s’approcha des prisonniers, sortit une arme de son manteau.
Isolde sentit son sang se glacer.
— Kael, arrêtez…
Il la regarda avec un sourire froid.
— Bienvenue dans mon monde, Isolde. Ici, la peur est une arme. Et toi, tu vas apprendre à t’en servir.
Un coup de feu éclata.
Isolde sursauta, ses mains tremblantes cherchant appui sur le bras d’Adrian. Elle ne voulait pas voir, mais Kael voulait qu’elle regarde.
Elle comprit alors que l’homme devant elle n’était pas seulement un criminel : il était un roi. Et elle venait d’être couronnée reine dans un royaume de sang.
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