La sortie

Adrien n’avait pas vu les minutes filer. Il avait promis dix minutes, mais ça faisait déjà plus d’une heure qu’il restait assis au comptoir, en compagnie de ce type qu’il ne connaissait pas deux heures plus tôt. Elias parlait peu, mais chaque phrase semblait calibrée pour le retenir. Pas du blabla inutile, pas de confidences lourdes, juste ce qu’il fallait pour donner envie d’écouter la suite.

Quand la musique finit par lui taper trop fort sur les nerfs, Adrien posa son verre vide et se leva.

— J’me tire.

Elias haussa un sourcil.

— Je t’accompagne.

— J’ai pas demandé.

— J’ai pas demandé non plus.

Adrien serra les dents, mais il ne protesta pas davantage. Trop fatigué pour discuter, trop intrigué pour lui dire non. Ils traversèrent la foule ensemble, et Adrien remarqua que les gens semblaient s’écarter légèrement quand Elias passait. Pas de bousculade, pas de “pardon” hurlé. Juste un chemin qui s’ouvrait. Comme si tout le monde sentait qu’il prenait sa place, qu’il imposait sa trajectoire.

Dehors, l’air frais de la nuit claqua contre le visage d’Adrien. Il respira enfin, débarrassé des basses qui martelaient ses tempes. Elias alluma une cigarette et lui en tendit une.

— Je fume pas, dit Adrien.

— Moi non plus, répondit Elias en coin, avant de tirer une taffe.

Adrien secoua la tête, à moitié amusé, à moitié agacé.

— T’es chelou.

— Merci.

Un silence. Mais pas gênant, encore une fois. Adrien leva les yeux vers le ciel : quelques étoiles à peine, noyées par les lumières de la ville. Il n’avait pas envie de rentrer, mais il refusait de l’avouer.

— Tu rentres où ? demanda Elias.

— Vers République.

— Ça tombe bien, moi aussi.

Adrien se retourna vers lui, méfiant.

— Tu me suis ?

— Pas encore, dit Elias en souriant.

Il avait toujours ce ton, mi-vrai mi-blague, qui rendait chaque phrase suspecte. Adrien soupira et commença à marcher. Elias suivit, calme, à côté de lui.

Ils traversèrent quelques rues, leurs pas résonnant sur le trottoir vide. Les voitures passaient par à-coups, et la ville semblait plus tranquille qu’à l’intérieur de la boîte. Adrien n’aimait pas trop les silences à deux. Mais bizarrement, celui-là ne le dérangeait pas.

Elias finit par briser l’équilibre :

— T’as toujours l’air prêt à mordre.

— Normal. C’est pratique.

— Pour quoi ?

— Pour que les gens s’approchent pas trop.

Elias s’arrêta, le força à ralentir.

— Et moi, alors ?

Adrien planta son regard dans le sien. Les pupilles d’Elias brillaient sous la lumière d’un lampadaire, et Adrien sentit de nouveau cette irritation étrange : le mélange d’envie et de refus, le cœur qui bat trop vite alors que le cerveau hurle “fuis.”

— Toi… t’écoutes pas, dit Adrien finalement.

Elias sourit.

— Exact.

Ils reprirent leur marche, et Adrien se détestait de ne pas lui avoir claqué un “dégage.” Mais quelque chose au fond l’empêchait. Peut-être parce qu’il savait que ce “toi” sonnait déjà comme une exception.

Ils arrivèrent au métro. Les grilles étaient déjà fermées, minuit passé depuis longtemps. Adrien soupira.

— Génial. Pas de métro.

— Tu rentres à pied ? demanda Elias.

— J’ai pas le choix.

Elias écrasa sa cigarette encore à moitié intacte contre le bitume.

— Je viens.

Adrien leva les yeux au ciel.

— Sérieux, tu peux pas juste rentrer chez toi ?

— Pas envie.

C’était simple, sec, mais dit avec un calme désarmant. Adrien ne répondit pas. Ils reprirent leur marche, traversant des rues presque désertes. Les réverbères diffusaient une lumière jaune, et la ville semblait avoir ralenti. Adrien aimait ce genre d’instant : quand Paris n’était plus qu’un décor fatigué, un peu sale, mais étrangement rassurant.

Elias brisa encore le silence.

— Tu marches vite.

— Tu parles trop.

Elias rit doucement. C’était la première fois de la soirée qu’Adrien l’entendait vraiment rire, et il détesta l’effet que ça lui faisait. Un truc léger, naturel, qui donnait envie d’en entendre plus.

— T’es pas obligé de me supporter, dit Elias.

Adrien s’arrêta net, surpris.

— Hein ?

— Si vraiment j’te saoule, tu me dis de dégager et j’me barre.

Adrien le fixa. Ça ressemblait à une provocation, mais le ton était sérieux. Elias attendait une réponse, sans sourire. Adrien ouvrit la bouche… et la referma. Parce que le “dégage” restait coincé dans sa gorge.

— … T’es chiant, finit-il par dire.

Elias sourit de nouveau.

— Donc je reste.

Adrien secoua la tête, reprit sa marche, mais il sentait son cœur battre encore plus fort.

Ils arrivèrent sur une grande avenue. Les feux tricolores clignotaient dans le vide, quelques taxis passaient en trombe. Elias s’arrêta au milieu du trottoir, les mains dans les poches.

— Tu sais que tu fais semblant d’être froid, mais que ça marche pas ?

Adrien se retourna, agacé.

— Et toi, tu sais que tu parles comme si tu me connaissais ?

— C’est pas faux, répondit Elias. Mais j’ai pas besoin de beaucoup pour comprendre les gens.

— Et moi, t’as compris quoi ?

Elias le fixa longuement. Trop longuement. Adrien sentit son ventre se tordre sous ce regard.

— Que t’attends juste quelqu’un qui insiste.

Adrien resta muet. Ses lèvres bougèrent, mais aucun mot n’en sortit. Il aurait voulu balancer une réplique cinglante, mais rien ne venait. Et le pire, c’est qu’il savait qu’Elias avait touché juste.

Il détourna les yeux, reprit sa marche en silence. Elias suivit, sans insister davantage. Mais Adrien avait la certitude que cette phrase allait résonner dans sa tête toute la nuit….

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