A Love Worth Fighting For
Le vrombissement des rotors de l'hélicoptère médicalisé s'estompa progressivement tandis que le capitaine Logan Carter fixait le plafond blanc de l'hôpital militaire de Fort Brenton. Des mains expertes déplaçaient sa civière, le personnel médical échangeant des termes techniques qu'il ne prenait plus la peine d'écouter. Trois balles extraites de son corps en Afghanistan, une jambe fracturée et des côtes brisées. Il connaissait déjà le diagnostic. Ce qu'aucun scanner ne révélait, c'était ce qui s'était vraiment brisé en lui.
— Capitaine Carter, nous allons vous transférer en chambre individuelle. Protocole standard pour les officiers rapatriés, annonça un médecin dont il ne distinguait que la silhouette floue.
Logan ne répondit pas. Le silence était devenu son refuge depuis l'embuscade de Kandahar, trois semaines plus tôt. Il ferma les yeux, laissant les antidouleurs engourdir momentanément les souvenirs qui le hantaient. Les visages de ses hommes tombés sous ses ordres restaient imprimés sous ses paupières.
La chambre 217 était comme toutes les autres - impersonnelle, aseptisée, avec cette odeur caractéristique de désinfectant qui rappelait constamment où l'on se trouvait. Par la fenêtre, Logan pouvait apercevoir une partie du complexe militaire. Fort Brenton, Colorado. Loin, très loin du désert afghan, et pourtant...
— Vos constantes sont stables, c'est encourageant, déclara une infirmière en vérifiant sa perfusion.
— Quand pourrai-je sortir? demanda Logan, sa voix rauque après des jours de mutisme quasi-total.
— Le médecin-chef passera vous voir demain matin, Capitaine.
— Ce n'est pas ce que j'ai demandé.
L'infirmière marqua une pause, puis quitta la pièce sans répondre. Bon débarras. Il n'avait pas besoin de leur compassion feinte, de leurs regards qui oscillaient entre pitié et curiosité mal dissimulée. Sept ans dans les forces spéciales lui avaient appris à détecter ce genre de choses.
La nuit tomba sans qu'il s'en aperçoive vraiment. Le temps n'avait plus la même consistance depuis l'embuscade. Il flottait, se contractait, s'étirait parfois jusqu'à l'insupportable, comme lors de ces longues minutes où il avait tenu Jenkins contre lui, regardant son jeune lieutenant se vider de son sang malgré le garrot improvisé. Jenkins n'avait que vingt-quatre ans. Un gamin de l'Indiana qui parlait toujours de la ferme familiale où il retournerait un jour.
Le sommeil finit par le prendre, mais il ne lui apporta aucun répit.
_Le crépitement des balles. L'odeur âcre de la poudre. La poussière qui s'infiltrait partout. "Position compromise! Repli! Repli!" Sa propre voix, autoritaire malgré le chaos. Puis l'explosion. Le souffle qui le propulse contre le mur de terre. Et les cris. Surtout les cris._
Logan se réveilla en sursaut, le corps couvert de sueur froide. Il voulut se redresser mais la douleur foudroyante dans son flanc lui rappela brutalement son état. Un juron s'échappa de ses lèvres tandis qu'il tentait de calmer sa respiration erratique.
— Cauchemar? demanda une voix féminine qu'il n'avait pas encore entendue.
Il tourna la tête vers la porte. Une femme en blouse d'infirmière se tenait là, un dossier à la main. Contrairement aux autres soignants, elle ne détourna pas le regard quand il la fixa avec intensité. Elle devait avoir la trentaine, des cheveux châtains attachés en queue-de-cheval stricte, et des yeux... des yeux d'un vert saisissant qui semblaient voir au-delà des apparences.
— Vous êtes? demanda-t-il sèchement.
— Emma Sullivan. Je serai votre infirmière référente pendant votre séjour parmi nous, Capitaine Carter.
Elle s'avança dans la pièce avec une assurance tranquille, consultant le monitoring sans attendre sa permission. Ses gestes étaient précis, économes, professionnels.
— Je n'ai pas besoin d'une infirmière attitrée.
— Ce n'est pas à vous d'en décider, répondit-elle simplement, sans animosité mais avec fermeté. Votre fréquence cardiaque est élevée. Souhaitez-vous quelque chose pour vous aider à dormir?
— Non.
— Comme vous voudrez.
Elle nota quelque chose dans le dossier puis leva les yeux vers lui. Son regard était direct, sans l'habituelle couche de compassion artificielle qu'il avait appris à détester.
— Il est 4h17 du matin. Vous avez fait un cauchemar, votre corps a libéré de l'adrénaline, ce qui explique votre rythme cardiaque et la douleur accrue que vous ressentez probablement. Cela va se calmer progressivement, mais si vous changez d'avis concernant l'aide au sommeil, appuyez sur ce bouton.
Sa façon de présenter les faits, clinique mais pas froide, le prit au dépourvu. Pas de "Je comprends ce que vous traversez" ou de "C'est normal après ce que vous avez vécu". Juste des faits.
— Vous travaillez souvent de nuit, infirmière Sullivan?
— Emma. Et oui, généralement. Les nuits sont souvent plus difficiles pour les patients comme vous.
— Les patients comme moi?
— Ceux qui reviennent du front avec plus que des blessures physiques.
Logan se raidit. — Vous ne savez rien de moi.
— Je sais lire un dossier médical. Et j'ai accompagné suffisamment de soldats pour reconnaître les signes. Elle vérifia les perfusions et ajouta: Je repasserai dans deux heures. Essayez de vous reposer, Capitaine.
Elle quitta la chambre aussi calmement qu'elle y était entrée, laissant derrière elle un parfum subtil de lavande qui contrastait étrangement avec l'odeur médicale des lieux.
Logan resta éveillé, fixant l'obscurité. Cette femme, Emma Sullivan, l'intriguait et l'irritait simultanément. Elle n'avait pas cherché à percer sa carapace, ni à le faire parler, mais d'une certaine façon, elle avait mis le doigt sur ce qu'il refusait d'admettre. Il n'était pas juste un soldat blessé en attente de guérison physique. Il était un homme brisé qui ignorait comment, ou même s'il voulait, recoller les morceaux.
***
Le jour suivant fut un défilé de médecins, psychologues et officiers administratifs. Logan répondit mécaniquement aux questions, donna les informations strictement nécessaires et refusa catégoriquement de voir le psychiatre militaire.
— C'est un passage obligé dans votre processus de récupération, Capitaine, insista le colonel Brett, médecin-chef du service.
— Avec tout le respect que je vous dois, mon corps guérira avec ou sans thérapie.
— Nous parlons de votre esprit, pas de votre corps.
— Mon esprit va très bien.
Le colonel soupira. — Votre dossier indique que vous êtes le seul survivant de votre unité. Cinq hommes sous votre commandement ont perdu la vie. C'est un fardeau lourd à porter seul.
Logan sentit une vague de colère monter en lui. — Ces hommes étaient sous ma responsabilité. Je n'ai pas besoin qu'on me le rappelle, ni qu'on dissèque ce que je ressens à ce sujet.
— Le syndrome de stress post-traumatique—
— N'est pas mon problème, coupa sèchement Logan. Mon problème, c'est d'être coincé ici alors que je devrais être en train de traquer ceux qui ont tué mes hommes.
Un silence lourd s'installa dans la chambre. Le colonel Brett finit par hocher la tête.
— Nous reprendrons cette conversation quand vous serez plus disposé, Capitaine. En attendant, vous resterez à Fort Brenton jusqu'à nouvel ordre. Considérez cela comme une période de convalescence obligatoire.
Après le départ du médecin, Logan fixa le plafond avec intensité. Il détestait cette impuissance, ce sentiment d'être mis sur la touche alors que la guerre continuait sans lui. Les visages de ses hommes déferlaient dans son esprit. Ramirez, Davis, Jenkins, Miller, Thompson. Tous morts parce qu'il avait échoué à détecter le piège.
L'après-midi s'étirait interminablement quand Emma entra dans sa chambre. Elle poussa un chariot contenant des pansements et du matériel médical.
— Il est temps de changer vos bandages, Capitaine.
Logan l'observa préparer son matériel avec des gestes précis. Une mèche de cheveux s'était échappée de sa queue-de-cheval, retombant le long de sa joue. Ce petit détail imparfait sur cette femme par ailleurs si professionnelle le fascinait malgré lui.
— J'ai entendu dire que vous avez refusé l'entretien avec le Dr. Mercer, dit-elle en enfilant des gants stériles.
— Les commérages vont vite dans cet hôpital.
— Ce n'est pas un commérage. C'est noté dans votre dossier, que je dois consulter pour assurer votre suivi.
Logan sentit une pointe d'irritation. — Et j'imagine que vous aussi, vous pensez que j'ai besoin de 'parler' pour guérir?
Emma commença à retirer délicatement le bandage qui couvrait son flanc droit. — Ce que je pense n'a pas d'importance. Je suis là pour soigner vos blessures physiques.
— Mais?
Elle leva les yeux vers lui, son regard vert directement ancré dans le sien. — Mais j'ai vu suffisamment d'hommes et de femmes revenus du front pour savoir que les blessures invisibles peuvent tuer aussi sûrement que les balles.
Un silence s'installa tandis qu'elle nettoyait sa plaie avec une délicatesse qui contrastait avec la fermeté de ses propos.
— Vous parlez comme quelqu'un qui connaît la guerre, remarqua Logan.
— J'ai fait deux tours en Irak comme infirmière de combat avant d'être affectée ici. Elle appliqua un antiseptique qui le fit légèrement grimacer. Désolée, ajouta-t-elle machinalement.
— Vous n'avez pas à vous excuser pour faire votre travail.
Leurs regards se croisèrent à nouveau. Il y avait quelque chose dans ses yeux, une compréhension qui n'était pas feinte, pas apprise dans les livres. Elle savait. Elle avait vu ce que signifiait réellement la guerre, au-delà des rapports officiels et des discours patriotiques.
— Combien? demanda-t-il simplement.
— Pardon?
— Combien en avez-vous perdu? Des patients, sur le terrain.
Emma termina d'appliquer le nouveau bandage avant de répondre. — Trop. Elle retira ses gants. Et vous les connaissez tous par leur nom, n'est-ce pas? Comme je connais les miens.
Cette simple phrase brisa quelque chose en Logan. Cette femme ne jouait pas au psy amateur. Elle énonçait simplement une vérité qu'ils partageaient, à des niveaux différents mais complémentaires.
— Comment vous faites? demanda-t-il, la voix plus basse qu'il ne l'aurait souhaité.
— Pour?
— Pour continuer. Pour ne pas... les voir constamment.
Emma rangea son matériel avec soin avant de répondre. — Je ne vous mentirai pas en disant qu'on oublie. On n'oublie jamais. Mais avec le temps, on apprend à vivre avec leurs fantômes. Parfois, ils deviennent même une force.
Elle ne s'attarda pas sur cette révélation, poursuivant son travail avec efficacité, vérifiant sa perfusion, notant ses constantes.
— Vous avez de la visite prévue aujourd'hui?
— Non. Sa réponse fut sèche. Sa famille se résumait à un père avec qui il n'avait pas parlé depuis des années et une sœur qui vivait à l'autre bout du pays. Quant aux amis proches, la plupart étaient soit déployés, soit enterrés.
Emma hocha la tête sans commentaire. — La physiothérapie commencera demain. Le Dr. Alvarez passera vous voir en fin de journée pour établir un programme adapté à votre blessure à la jambe.
— Je connais la procédure.
— Je n'en doute pas. Elle marqua une pause et ajouta: Si vous avez besoin de quoi que ce soit entre-temps, n'hésitez pas à m'appeler. Je suis de service jusqu'à 23 heures.
— Je n'aurai besoin de rien, répondit-il, plus durement qu'il ne l'avait voulu.
Un léger sourire se dessina sur les lèvres d'Emma, le premier qu'il remarquait. — Bien sûr, Capitaine. Bonne journée.
Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, Logan ne put s'empêcher d'ajouter: — Sullivan.
Elle se retourna. — Oui?
— Merci. Pour les bandages. Ce n'était pas vraiment pour les bandages qu'il la remerciait, et ils le savaient tous les deux.
Emma acquiesça simplement et quitta la chambre, le laissant seul avec ses pensées.
Le reste de la journée s'écoula lentement. Logan refusa le dîner, n'ayant pas d'appétit. Quand l'obscurité envahit sa chambre, il ne prit pas la peine d'allumer la lumière. L'obscurité lui convenait; elle correspondait à ce qu'il ressentait.
Malgré lui, ses pensées revenaient vers Emma Sullivan. Il avait rencontré des dizaines d'infirmières et de médecins depuis sa blessure, mais aucun ne l'avait marqué comme elle. Ce n'était pas seulement sa beauté discrète ou son professionnalisme. C'était cette façon qu'elle avait de le voir vraiment, sans jugement ni pitié. Comme si, d'une certaine manière, elle avait elle aussi traversé des épreuves qui l'avaient endurcie sans la briser complètement.
La nuit avançait et le sommeil restait insaisissable. Les ombres sur les murs de sa chambre prenaient parfois la forme des visages de ses hommes. Jenkins lui souriait tristement. Miller secouait la tête avec reproche. Logan ferma les yeux, mais les images persistaient.
Il était presque minuit quand il entendit la porte s'ouvrir doucement. La silhouette d'Emma se découpa dans l'encadrement, éclairée par la lumière du couloir.
— Vous ne dormez pas, constata-t-elle à voix basse.
— Vous non plus, apparemment, répondit-il. Je croyais que votre service se terminait à 23 heures.
Elle entra dans la chambre et s'approcha du moniteur. — J'ai pris du retard sur mes dossiers.
Un mensonge poli, ils le savaient tous deux. Elle était venue vérifier comment il allait, probablement alertée par ses constantes anormales sur le moniteur central des infirmières.
— Vous devriez essayer de dormir, Capitaine.
— Logan, corrigea-t-il, surprenant même lui. Appelez-moi Logan.
Emma hocha la tête, acceptant cette petite concession pour ce qu'elle était: un minuscule pas vers quelque chose qui ressemblait à la confiance.
— Vos cauchemars, ils concernent toujours la même mission?
La question était directe, sans détour. Logan sentit son corps se raidir instinctivement, mais quelque chose dans la nuit, dans l'épuisement qui l'habitait, dans la présence calme de cette femme, l'empêcha de se refermer complètement.
— Oui.
Elle ne demanda pas de détails, n'offrit pas de platitudes réconfortantes. Au lieu de cela, elle fit quelque chose qui le surprit: elle s'assit simplement sur la chaise à côté de son lit.
— Il y a eu un soldat, il y a deux ans, dit-elle doucement. Grièvement blessé lors d'une attaque à la roquette. Il ne pouvait pas dormir non plus. Alors pendant les nuits les plus difficiles, je restais avec lui et je lui racontais des histoires sur mon enfance au Montana. Des histoires banales, sans importance. Ça lui donnait quelque chose à quoi s'accrocher, autre que ses souvenirs.
Logan la regarda dans la semi-obscurité, incertain.
— Je ne vous demande pas de parler, Logan. Mais si vous voulez entendre parler d'autre chose que de la guerre, juste pour quelques minutes... je peux rester.
C'était une offre simple. Sans attentes ni pressions. Juste un moment de répit dans le tumulte de son esprit.
Logan hésita, puis fit un léger signe de tête. — Le Montana, hein?
Emma sourit légèrement et commença à parler d'une voix douce de la ferme où elle avait grandi, des montagnes qui se dessinaient à l'horizon, des hivers rigoureux et des étés éclatants. Sa voix était paisible, presque hypnotique. Sans s'en rendre compte, les muscles de Logan commencèrent à se détendre, sa respiration à se ralentir.
Lorsque ses paupières devinrent lourdes, la dernière chose qu'il vit fut le visage d'Emma Sullivan, baigné par la faible lumière qui filtrait du couloir. Et pour la première fois depuis des semaines, quand le sommeil l'emporta enfin, il ne rêva pas de désert ni d'explosions, mais de montagnes couvertes de neige sous un ciel d'un bleu impossible.
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