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A Love Worth Fighting For

Chapitre 1 : Blessure de guerre

Le vrombissement des rotors de l'hélicoptère médicalisé s'estompa progressivement tandis que le capitaine Logan Carter fixait le plafond blanc de l'hôpital militaire de Fort Brenton. Des mains expertes déplaçaient sa civière, le personnel médical échangeant des termes techniques qu'il ne prenait plus la peine d'écouter. Trois balles extraites de son corps en Afghanistan, une jambe fracturée et des côtes brisées. Il connaissait déjà le diagnostic. Ce qu'aucun scanner ne révélait, c'était ce qui s'était vraiment brisé en lui.

— Capitaine Carter, nous allons vous transférer en chambre individuelle. Protocole standard pour les officiers rapatriés, annonça un médecin dont il ne distinguait que la silhouette floue.

Logan ne répondit pas. Le silence était devenu son refuge depuis l'embuscade de Kandahar, trois semaines plus tôt. Il ferma les yeux, laissant les antidouleurs engourdir momentanément les souvenirs qui le hantaient. Les visages de ses hommes tombés sous ses ordres restaient imprimés sous ses paupières.

La chambre 217 était comme toutes les autres - impersonnelle, aseptisée, avec cette odeur caractéristique de désinfectant qui rappelait constamment où l'on se trouvait. Par la fenêtre, Logan pouvait apercevoir une partie du complexe militaire. Fort Brenton, Colorado. Loin, très loin du désert afghan, et pourtant...

— Vos constantes sont stables, c'est encourageant, déclara une infirmière en vérifiant sa perfusion.

— Quand pourrai-je sortir? demanda Logan, sa voix rauque après des jours de mutisme quasi-total.

— Le médecin-chef passera vous voir demain matin, Capitaine.

— Ce n'est pas ce que j'ai demandé.

L'infirmière marqua une pause, puis quitta la pièce sans répondre. Bon débarras. Il n'avait pas besoin de leur compassion feinte, de leurs regards qui oscillaient entre pitié et curiosité mal dissimulée. Sept ans dans les forces spéciales lui avaient appris à détecter ce genre de choses.

La nuit tomba sans qu'il s'en aperçoive vraiment. Le temps n'avait plus la même consistance depuis l'embuscade. Il flottait, se contractait, s'étirait parfois jusqu'à l'insupportable, comme lors de ces longues minutes où il avait tenu Jenkins contre lui, regardant son jeune lieutenant se vider de son sang malgré le garrot improvisé. Jenkins n'avait que vingt-quatre ans. Un gamin de l'Indiana qui parlait toujours de la ferme familiale où il retournerait un jour.

Le sommeil finit par le prendre, mais il ne lui apporta aucun répit.

_Le crépitement des balles. L'odeur âcre de la poudre. La poussière qui s'infiltrait partout. "Position compromise! Repli! Repli!" Sa propre voix, autoritaire malgré le chaos. Puis l'explosion. Le souffle qui le propulse contre le mur de terre. Et les cris. Surtout les cris._

Logan se réveilla en sursaut, le corps couvert de sueur froide. Il voulut se redresser mais la douleur foudroyante dans son flanc lui rappela brutalement son état. Un juron s'échappa de ses lèvres tandis qu'il tentait de calmer sa respiration erratique.

— Cauchemar? demanda une voix féminine qu'il n'avait pas encore entendue.

Il tourna la tête vers la porte. Une femme en blouse d'infirmière se tenait là, un dossier à la main. Contrairement aux autres soignants, elle ne détourna pas le regard quand il la fixa avec intensité. Elle devait avoir la trentaine, des cheveux châtains attachés en queue-de-cheval stricte, et des yeux... des yeux d'un vert saisissant qui semblaient voir au-delà des apparences.

— Vous êtes? demanda-t-il sèchement.

— Emma Sullivan. Je serai votre infirmière référente pendant votre séjour parmi nous, Capitaine Carter.

Elle s'avança dans la pièce avec une assurance tranquille, consultant le monitoring sans attendre sa permission. Ses gestes étaient précis, économes, professionnels.

— Je n'ai pas besoin d'une infirmière attitrée.

— Ce n'est pas à vous d'en décider, répondit-elle simplement, sans animosité mais avec fermeté. Votre fréquence cardiaque est élevée. Souhaitez-vous quelque chose pour vous aider à dormir?

— Non.

— Comme vous voudrez.

Elle nota quelque chose dans le dossier puis leva les yeux vers lui. Son regard était direct, sans l'habituelle couche de compassion artificielle qu'il avait appris à détester.

— Il est 4h17 du matin. Vous avez fait un cauchemar, votre corps a libéré de l'adrénaline, ce qui explique votre rythme cardiaque et la douleur accrue que vous ressentez probablement. Cela va se calmer progressivement, mais si vous changez d'avis concernant l'aide au sommeil, appuyez sur ce bouton.

Sa façon de présenter les faits, clinique mais pas froide, le prit au dépourvu. Pas de "Je comprends ce que vous traversez" ou de "C'est normal après ce que vous avez vécu". Juste des faits.

— Vous travaillez souvent de nuit, infirmière Sullivan?

— Emma. Et oui, généralement. Les nuits sont souvent plus difficiles pour les patients comme vous.

— Les patients comme moi?

— Ceux qui reviennent du front avec plus que des blessures physiques.

Logan se raidit. — Vous ne savez rien de moi.

— Je sais lire un dossier médical. Et j'ai accompagné suffisamment de soldats pour reconnaître les signes. Elle vérifia les perfusions et ajouta: Je repasserai dans deux heures. Essayez de vous reposer, Capitaine.

Elle quitta la chambre aussi calmement qu'elle y était entrée, laissant derrière elle un parfum subtil de lavande qui contrastait étrangement avec l'odeur médicale des lieux.

Logan resta éveillé, fixant l'obscurité. Cette femme, Emma Sullivan, l'intriguait et l'irritait simultanément. Elle n'avait pas cherché à percer sa carapace, ni à le faire parler, mais d'une certaine façon, elle avait mis le doigt sur ce qu'il refusait d'admettre. Il n'était pas juste un soldat blessé en attente de guérison physique. Il était un homme brisé qui ignorait comment, ou même s'il voulait, recoller les morceaux.

***

Le jour suivant fut un défilé de médecins, psychologues et officiers administratifs. Logan répondit mécaniquement aux questions, donna les informations strictement nécessaires et refusa catégoriquement de voir le psychiatre militaire.

— C'est un passage obligé dans votre processus de récupération, Capitaine, insista le colonel Brett, médecin-chef du service.

— Avec tout le respect que je vous dois, mon corps guérira avec ou sans thérapie.

— Nous parlons de votre esprit, pas de votre corps.

— Mon esprit va très bien.

Le colonel soupira. — Votre dossier indique que vous êtes le seul survivant de votre unité. Cinq hommes sous votre commandement ont perdu la vie. C'est un fardeau lourd à porter seul.

Logan sentit une vague de colère monter en lui. — Ces hommes étaient sous ma responsabilité. Je n'ai pas besoin qu'on me le rappelle, ni qu'on dissèque ce que je ressens à ce sujet.

— Le syndrome de stress post-traumatique—

— N'est pas mon problème, coupa sèchement Logan. Mon problème, c'est d'être coincé ici alors que je devrais être en train de traquer ceux qui ont tué mes hommes.

Un silence lourd s'installa dans la chambre. Le colonel Brett finit par hocher la tête.

— Nous reprendrons cette conversation quand vous serez plus disposé, Capitaine. En attendant, vous resterez à Fort Brenton jusqu'à nouvel ordre. Considérez cela comme une période de convalescence obligatoire.

Après le départ du médecin, Logan fixa le plafond avec intensité. Il détestait cette impuissance, ce sentiment d'être mis sur la touche alors que la guerre continuait sans lui. Les visages de ses hommes déferlaient dans son esprit. Ramirez, Davis, Jenkins, Miller, Thompson. Tous morts parce qu'il avait échoué à détecter le piège.

L'après-midi s'étirait interminablement quand Emma entra dans sa chambre. Elle poussa un chariot contenant des pansements et du matériel médical.

— Il est temps de changer vos bandages, Capitaine.

Logan l'observa préparer son matériel avec des gestes précis. Une mèche de cheveux s'était échappée de sa queue-de-cheval, retombant le long de sa joue. Ce petit détail imparfait sur cette femme par ailleurs si professionnelle le fascinait malgré lui.

— J'ai entendu dire que vous avez refusé l'entretien avec le Dr. Mercer, dit-elle en enfilant des gants stériles.

— Les commérages vont vite dans cet hôpital.

— Ce n'est pas un commérage. C'est noté dans votre dossier, que je dois consulter pour assurer votre suivi.

Logan sentit une pointe d'irritation. — Et j'imagine que vous aussi, vous pensez que j'ai besoin de 'parler' pour guérir?

Emma commença à retirer délicatement le bandage qui couvrait son flanc droit. — Ce que je pense n'a pas d'importance. Je suis là pour soigner vos blessures physiques.

— Mais?

Elle leva les yeux vers lui, son regard vert directement ancré dans le sien. — Mais j'ai vu suffisamment d'hommes et de femmes revenus du front pour savoir que les blessures invisibles peuvent tuer aussi sûrement que les balles.

Un silence s'installa tandis qu'elle nettoyait sa plaie avec une délicatesse qui contrastait avec la fermeté de ses propos.

— Vous parlez comme quelqu'un qui connaît la guerre, remarqua Logan.

— J'ai fait deux tours en Irak comme infirmière de combat avant d'être affectée ici. Elle appliqua un antiseptique qui le fit légèrement grimacer. Désolée, ajouta-t-elle machinalement.

— Vous n'avez pas à vous excuser pour faire votre travail.

Leurs regards se croisèrent à nouveau. Il y avait quelque chose dans ses yeux, une compréhension qui n'était pas feinte, pas apprise dans les livres. Elle savait. Elle avait vu ce que signifiait réellement la guerre, au-delà des rapports officiels et des discours patriotiques.

— Combien? demanda-t-il simplement.

— Pardon?

— Combien en avez-vous perdu? Des patients, sur le terrain.

Emma termina d'appliquer le nouveau bandage avant de répondre. — Trop. Elle retira ses gants. Et vous les connaissez tous par leur nom, n'est-ce pas? Comme je connais les miens.

Cette simple phrase brisa quelque chose en Logan. Cette femme ne jouait pas au psy amateur. Elle énonçait simplement une vérité qu'ils partageaient, à des niveaux différents mais complémentaires.

— Comment vous faites? demanda-t-il, la voix plus basse qu'il ne l'aurait souhaité.

— Pour?

— Pour continuer. Pour ne pas... les voir constamment.

Emma rangea son matériel avec soin avant de répondre. — Je ne vous mentirai pas en disant qu'on oublie. On n'oublie jamais. Mais avec le temps, on apprend à vivre avec leurs fantômes. Parfois, ils deviennent même une force.

Elle ne s'attarda pas sur cette révélation, poursuivant son travail avec efficacité, vérifiant sa perfusion, notant ses constantes.

— Vous avez de la visite prévue aujourd'hui?

— Non. Sa réponse fut sèche. Sa famille se résumait à un père avec qui il n'avait pas parlé depuis des années et une sœur qui vivait à l'autre bout du pays. Quant aux amis proches, la plupart étaient soit déployés, soit enterrés.

Emma hocha la tête sans commentaire. — La physiothérapie commencera demain. Le Dr. Alvarez passera vous voir en fin de journée pour établir un programme adapté à votre blessure à la jambe.

— Je connais la procédure.

— Je n'en doute pas. Elle marqua une pause et ajouta: Si vous avez besoin de quoi que ce soit entre-temps, n'hésitez pas à m'appeler. Je suis de service jusqu'à 23 heures.

— Je n'aurai besoin de rien, répondit-il, plus durement qu'il ne l'avait voulu.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres d'Emma, le premier qu'il remarquait. — Bien sûr, Capitaine. Bonne journée.

Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, Logan ne put s'empêcher d'ajouter: — Sullivan.

Elle se retourna. — Oui?

— Merci. Pour les bandages. Ce n'était pas vraiment pour les bandages qu'il la remerciait, et ils le savaient tous les deux.

Emma acquiesça simplement et quitta la chambre, le laissant seul avec ses pensées.

Le reste de la journée s'écoula lentement. Logan refusa le dîner, n'ayant pas d'appétit. Quand l'obscurité envahit sa chambre, il ne prit pas la peine d'allumer la lumière. L'obscurité lui convenait; elle correspondait à ce qu'il ressentait.

Malgré lui, ses pensées revenaient vers Emma Sullivan. Il avait rencontré des dizaines d'infirmières et de médecins depuis sa blessure, mais aucun ne l'avait marqué comme elle. Ce n'était pas seulement sa beauté discrète ou son professionnalisme. C'était cette façon qu'elle avait de le voir vraiment, sans jugement ni pitié. Comme si, d'une certaine manière, elle avait elle aussi traversé des épreuves qui l'avaient endurcie sans la briser complètement.

La nuit avançait et le sommeil restait insaisissable. Les ombres sur les murs de sa chambre prenaient parfois la forme des visages de ses hommes. Jenkins lui souriait tristement. Miller secouait la tête avec reproche. Logan ferma les yeux, mais les images persistaient.

Il était presque minuit quand il entendit la porte s'ouvrir doucement. La silhouette d'Emma se découpa dans l'encadrement, éclairée par la lumière du couloir.

— Vous ne dormez pas, constata-t-elle à voix basse.

— Vous non plus, apparemment, répondit-il. Je croyais que votre service se terminait à 23 heures.

Elle entra dans la chambre et s'approcha du moniteur. — J'ai pris du retard sur mes dossiers.

Un mensonge poli, ils le savaient tous deux. Elle était venue vérifier comment il allait, probablement alertée par ses constantes anormales sur le moniteur central des infirmières.

— Vous devriez essayer de dormir, Capitaine.

— Logan, corrigea-t-il, surprenant même lui. Appelez-moi Logan.

Emma hocha la tête, acceptant cette petite concession pour ce qu'elle était: un minuscule pas vers quelque chose qui ressemblait à la confiance.

— Vos cauchemars, ils concernent toujours la même mission?

La question était directe, sans détour. Logan sentit son corps se raidir instinctivement, mais quelque chose dans la nuit, dans l'épuisement qui l'habitait, dans la présence calme de cette femme, l'empêcha de se refermer complètement.

— Oui.

Elle ne demanda pas de détails, n'offrit pas de platitudes réconfortantes. Au lieu de cela, elle fit quelque chose qui le surprit: elle s'assit simplement sur la chaise à côté de son lit.

— Il y a eu un soldat, il y a deux ans, dit-elle doucement. Grièvement blessé lors d'une attaque à la roquette. Il ne pouvait pas dormir non plus. Alors pendant les nuits les plus difficiles, je restais avec lui et je lui racontais des histoires sur mon enfance au Montana. Des histoires banales, sans importance. Ça lui donnait quelque chose à quoi s'accrocher, autre que ses souvenirs.

Logan la regarda dans la semi-obscurité, incertain.

— Je ne vous demande pas de parler, Logan. Mais si vous voulez entendre parler d'autre chose que de la guerre, juste pour quelques minutes... je peux rester.

C'était une offre simple. Sans attentes ni pressions. Juste un moment de répit dans le tumulte de son esprit.

Logan hésita, puis fit un léger signe de tête. — Le Montana, hein?

Emma sourit légèrement et commença à parler d'une voix douce de la ferme où elle avait grandi, des montagnes qui se dessinaient à l'horizon, des hivers rigoureux et des étés éclatants. Sa voix était paisible, presque hypnotique. Sans s'en rendre compte, les muscles de Logan commencèrent à se détendre, sa respiration à se ralentir.

Lorsque ses paupières devinrent lourdes, la dernière chose qu'il vit fut le visage d'Emma Sullivan, baigné par la faible lumière qui filtrait du couloir. Et pour la première fois depuis des semaines, quand le sommeil l'emporta enfin, il ne rêva pas de désert ni d'explosions, mais de montagnes couvertes de neige sous un ciel d'un bleu impossible.

Chapitre 2

Emma Sullivan avait appris très tôt que le sommeil était un luxe dans sa profession. Après une nuit passée en partie au chevet du capitaine Carter, elle entama sa journée avec deux cachets d'aspirine et un café noir, serré, sans sucre. Assise dans la salle de repos du personnel, elle parcourait les dossiers des patients dont elle avait la charge, s'arrêtant plus longuement sur celui de Logan.

Les rapports médicaux étaient sans ambiguïté : trois impacts de balle, une jambe fracturée, quatre côtes brisées, de multiples contusions et lacérations. Son corps guérirait, les médecins en étaient convaincus. C'était le reste qui l'inquiétait. Le rapport psychologique préliminaire mentionnait "résistance au traitement" et "possibilité de SSPT sévère". Rien qu'elle n'ait déjà vu auparavant, mais chaque cas était unique.

— Tu as une tête horrible, fit remarquer Melissa Chen en entrant dans la salle de repos.

Emma leva les yeux de son dossier avec un sourire fatigué. Melissa était sa collègue depuis trois ans, et probablement la personne la plus proche d'une amie qu'elle avait dans cet hôpital.

— Merci pour cette analyse professionnelle, répondit Emma en refermant le dossier. J'ai eu une nuit chargée.

Melissa se servit une tasse de café et s'assit en face d'elle.

— Ton nouveau patient, le capitaine mystérieux? J'ai entendu qu'il avait envoyé promener le Dr. Mercer.

— Il n'est pas mystérieux. Il est... en souffrance.

— Comme la plupart des patients ici, répondit Melissa en haussant les épaules. Mais peu d'entre eux suscitent autant de curiosité. J'ai entendu dire que c'est le seul survivant de son unité.

Emma ferma les yeux un instant, sentant la fatigue peser sur ses épaules.

— Il n'a pas besoin de notre curiosité. Il a besoin de soins. Et de temps.

Melissa l'observa avec attention.

— Tu t'impliques, constata-t-elle simplement.

— Je fais mon travail.

— Tu es restée après ton service hier soir.

Emma soupira, irritée que son dévouement professionnel soit constamment interprété comme autre chose.

— C'est un patient difficile qui refuse les somnifères et qui souffre de cauchemars sévères. Je vérifie qu'il ne s'arrache pas ses perfusions en pleine crise. C'est purement médical.

— Si tu le dis, répondit Melissa avec un sourire entendu qui agaça Emma. Juste... fais attention à toi. Les types comme lui, les forces spéciales avec des traumatismes, ils peuvent être... imprévisibles.

Emma se leva, rassemblant ses dossiers.

— Je connais mon métier, Mel. Et je connais mes limites.

Pourtant, en quittant la salle de repos, Emma ne pouvait nier qu'il y avait quelque chose de différent avec le capitaine Logan Carter. Peut-être était-ce la façon dont il l'avait regardée la nuit dernière tandis qu'elle lui parlait de son Montana natal. Comme si, pour quelques instants, il avait baissé sa garde. Ou peut-être était-ce simplement qu'elle se reconnaissait en lui – cette façon de porter sa douleur comme une armure, de la dissimuler derrière un masque de professionnalisme ou, dans son cas, de froideur militaire.

***

Logan s'éveilla avec la sensation étrange d'avoir vraiment dormi. Pas ce semblant de repos entrecoupé de flashbacks et de sueurs froides, mais un véritable sommeil réparateur. Le soleil filtrait déjà à travers les stores de sa chambre d'hôpital, indiquant qu'il était plus tard que son heure habituelle de réveil.

Il tenta de se redresser et grimaça sous l'assaut de la douleur. Son corps lui rappelait brutalement son état, comme chaque matin depuis l'embuscade. Un rapide coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'il était presque neuf heures. En temps normal, il aurait déjà couru cinq miles et effectué cent pompes. L'inactivité forcée était une torture supplémentaire.

La porte s'ouvrit sur un jeune médecin à l'allure énergique.

— Bonjour, Capitaine Carter! Je suis le Dr. Alvarez, votre kinésithérapeute. On m'a dit que vous étiez matinal, alors j'ai pensé commencer notre programme dès aujourd'hui.

Logan examina l'homme face à lui. La trentaine, sourire facile, regard intelligent. Probablement compétent, mais excessivement enthousiaste à son goût.

— On commence par quoi? demanda Logan sans préambule.

Le Dr. Alvarez ne parut pas déconcerté par son ton abrupt.

— Une évaluation de votre mobilité actuelle, puis des exercices légers pour renforcer les tissus autour de vos blessures sans compromettre leur guérison. Rien de spectaculaire aujourd'hui, mais croyez-moi, chaque petit pas compte.

Logan hocha sèchement la tête. Il connaissait suffisamment la procédure de réhabilitation pour savoir que l'impatience était son pire ennemi. Mais le soldat en lui détestait cette faiblesse, ce corps qui le trahissait, l'emprisonnait dans cette chambre aseptisée.

Les exercices, bien que simples, s'avérèrent plus difficiles que prévu. La douleur, lancinante, lui arrachait occasionnellement des grimaces que le médecin feignait de ne pas remarquer.

— Vous avez une bonne musculature de base, Capitaine. Ça devrait accélérer votre récupération, commenta Alvarez en l'aidant à étendre sa jambe blessée.

— Combien de temps?

— Pour une récupération complète? Avec vos blessures, je dirais trois à quatre mois.

— Inacceptable, trancha Logan.

Le médecin eut un petit sourire.

— Je comprends votre frustration, mais votre corps a subi un traumatisme—

— Je serai sur pied dans deux mois, coupa Logan. Maximum.

Le Dr. Alvarez l'observa un instant, semblant soupeser sa détermination.

— Avec votre niveau de motivation, c'est possible. Mais ça sera douloureux, et vous devrez suivre mes instructions à la lettre.

Logan acquiesça. La douleur ne lui faisait pas peur. C'était l'inaction qui le terrifiait.

La séance s'acheva une demi-heure plus tard, laissant Logan épuisé mais étrangement satisfait. Au moins avait-il l'impression d'avoir accompli quelque chose, aussi minime soit-il.

Il était en train de tenter d'atteindre le verre d'eau posé sur sa table de chevet lorsqu'Emma entra dans la chambre. Elle portait le même uniforme d'infirmière que la veille, mais ses cheveux étaient libres aujourd'hui, encadrant son visage de boucles châtaines.

— Besoin d'aide? demanda-t-elle en s'approchant.

— Je peux me débrouiller, répondit-il, s'étirant malgré la douleur pour saisir le verre.

Emma ne fit pas un geste pour l'aider, semblant comprendre instinctivement son besoin d'indépendance. Elle attendit qu'il ait bu avant de parler.

— J'ai croisé le Dr. Alvarez. Il m'a dit que la séance s'était bien passée.

— Pour un premier jour, grommela Logan.

Emma consulta sa tablette, vérifiant ses constantes.

— La physiothérapie est toujours frustrante au début. Surtout pour quelqu'un comme vous.

— Quelqu'un comme moi? répéta Logan, un brin défensif.

Elle leva les yeux, son regard vert croisant le sien sans hésitation.

— Quelqu'un habitué à repousser ses limites plutôt qu'à les respecter.

Il y avait une franchise dans sa façon de s'adresser à lui qui le désarmait. Pas de condescendance, pas de pitié – juste une honnêteté brutale qu'il appréciait malgré lui.

— J'ai connu pire, dit-il simplement.

— Je n'en doute pas.

Elle s'approcha pour vérifier ses bandages. Les doigts d'Emma étaient frais sur sa peau, son toucher professionnel mais délicat. Logan remarqua une légère cicatrice sur son poignet, fine et blanche, presque invisible si l'on ne savait pas où regarder.

— Irak? demanda-t-il en désignant la marque du menton.

Emma parut surprise qu'il l'ait remarquée.

— Oui. Un éclat de verre lors d'une attaque sur notre convoi médical.

— Vous auriez pu être tuée.

— Comme vous en Afghanistan, répondit-elle calmement. C'est le jeu.

Cette réponse, dépourvue de la moindre dramatisation, lui arracha un sourire involontaire.

— Vous n'êtes pas comme les autres infirmières, Sullivan.

— Je vais prendre ça pour un compliment, Capitaine.

— Logan, corrigea-t-il. Je vous l'ai dit hier soir.

Un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

— Logan, répéta-t-elle. Je vais changer votre pansement maintenant.

Il la laissa travailler en silence, observant ses gestes méthodiques. Il se surprit à se demander ce qu'elle avait réellement vécu en Irak, quelles horreurs elle avait dû soigner, quels visages la hantaient durant ses propres nuits sans sommeil.

— J'ai dormi, dit-il soudainement.

Emma leva les yeux vers lui, un sourcil arqué.

— Après votre départ, précisa-t-il. J'ai dormi. Sans cauchemars.

— Tant mieux, répondit-elle simplement. Votre corps a besoin de récupérer.

— C'était grâce à vous, ajouta-t-il, incertain de pourquoi il ressentait le besoin de le lui dire.

Emma termina d'appliquer le nouveau pansement avant de répondre.

— Je n'ai fait que parler de trivialités. N'importe quelle distraction aurait probablement eu le même effet.

— Non, dit-il avec une conviction qui le surprit lui-même. Ce n'était pas juste une distraction.

Leurs regards se croisèrent à nouveau, et pendant un instant, Logan eut l'impression qu'elle allait dire quelque chose d'important. Mais le moment fut brisé par l'arrivée du Dr. Mitchell, l'un des médecins militaires chargés de son suivi.

— Capitaine Carter, comment vous sentez-vous aujourd'hui? demanda le médecin en entrant.

— Mieux, répondit-il brièvement.

Emma s'écarta, rangeant efficacement son matériel.

— Ses constantes sont bonnes, docteur, et les plaies cicatrisent normalement. Il a effectué sa première séance de physiothérapie ce matin avec le Dr. Alvarez.

— Excellent, excellent, marmonna Mitchell en consultant sa tablette. Maintenant, concernant votre suivi psychologique...

Logan sentit son corps se raidir instantanément. Du coin de l'œil, il vit Emma ralentir ses gestes, comme si elle anticipait sa réaction.

— Je vous ai déjà fait part de ma position sur le sujet, répondit-il sèchement.

Le Dr. Mitchell soupira.

— Capitaine, je comprends votre réticence, mais le protocole est clair. Après un événement traumatique comme celui que vous avez vécu...

— Ma seule préoccupation pour l'instant est de retrouver ma mobilité physique, coupa Logan. Ma santé mentale ne regarde que moi.

— Malheureusement, ce n'est pas si simple, insista le médecin. Votre réintégration éventuelle au service actif dépendra aussi de—

— Ma réintégration? l'interrompit Logan, une note d'amertume dans la voix. Nous savons tous les deux que c'est une façade. L'armée n'a pas l'intention de me renvoyer sur le terrain.

Un silence inconfortable s'installa dans la pièce. Emma sembla soudain très absorbée par le rangement de son matériel.

— Ce n'est pas à moi de décider de votre avenir militaire, Capitaine, dit finalement Mitchell avec prudence. Mais je peux vous assurer que sans l'aval des psychologues, toute discussion sur le sujet est prématurée.

Logan fixa le médecin d'un regard glacial.

— Disons que j'y réfléchirai.

Mitchell hocha la tête, visiblement soulagé de cette maigre concession.

— Bien. Je repasserai demain. Continuez les exercices prescrits par le Dr. Alvarez.

Après le départ du médecin, un silence pesant s'installa dans la chambre. Logan fixait obstinément le mur face à lui, la mâchoire serrée.

— Vous savez qu'il a raison, dit finalement Emma, brisant le silence.

— Je croyais que vous n'étiez là que pour mes blessures physiques, rétorqua-t-il.

— C'est le cas, répondit-elle calmement. Mais je serais une bien piètre soignante si je fermais les yeux sur ce qui pourrait compromettre votre guérison globale.

Logan se tourna vers elle, prêt à répliquer vertement, mais quelque chose dans son expression l'arrêta. Ce n'était pas de la pitié ou de la condescendance qu'il y lisait, mais une conviction tranquille mêlée à quelque chose qui ressemblait à... de la compréhension?

— Vous aussi, vous avez refusé l'aide psychologique après l'Irak, n'est-ce pas? demanda-t-il, une soudaine intuition le frappant.

Emma ne répondit pas immédiatement, terminant méticuleusement le rangement de son chariot. Puis, sans le regarder:

— Oui. Et je l'ai regretté.

Cette simple admission, dépouillée de tout jugement ou de leçon de morale, ébranla Logan plus qu'un long discours. Il observa Emma, remarquant pour la première fois les légères ombres sous ses yeux, témoins de ses propres nuits difficiles.

— Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis? demanda-t-il doucement.

Emma le regarda enfin, une vulnérabilité fugace traversant son regard avant qu'elle ne la masque.

— J'ai réalisé que refuser l'aide n'était pas un signe de force, mais d'orgueil. Et que mon orgueil ne valait pas la vie que je gâchais.

Ces mots s'abattirent sur Logan comme un coup physique. Il détourna le regard, incapable de soutenir l'intensité du sien.

— Ce n'est pas si simple, murmura-t-il.

— Ça ne l'est jamais, acquiesça-t-elle. Mais parfois, la première étape est simplement d'admettre qu'on ne peut pas tout gérer seul.

Elle s'approcha de la porte, puis s'arrêta.

— Je n'ai pas besoin d'être votre thérapeute, Logan. Mais si vous avez besoin de quelqu'un qui comprend, sans jugement... je suis là.

Sur ces mots, elle sortit, laissant Logan seul avec ses pensées tumultueuses.

***

L'après-midi s'étira interminablement. Logan reçut la visite de quelques officiers administratifs, venus lui faire signer des papiers et discuter de médailles qu'il ne voulait pas. Il répondit machinalement, son esprit ailleurs, revenant sans cesse à sa conversation avec Emma.

"J'ai réalisé que refuser l'aide n'était pas un signe de force, mais d'orgueil."

Ces mots le hantaient, réveillant en lui une colère sourde. Qui était-elle pour juger sa situation? Elle n'avait pas commandé d'hommes. Elle n'avait pas eu à prendre des décisions qui coûteraient des vies. Elle n'avait pas échoué comme lui avait échoué.

Et pourtant... pourtant elle avait vu la guerre. Sous un angle différent, certes, mais peut-être tout aussi dévastateur. Elle avait probablement tenu dans ses bras des soldats mourants, impuissante malgré toute sa formation médicale. Elle connaissait ce sentiment d'échec, cette culpabilité du survivant.

Vers 18 heures, incapable de supporter plus longtemps l'enfermement de sa chambre, Logan décida de tester ses limites. S'appuyant sur la perfusion à roulettes comme béquille improvisée, il se leva lentement, serrant les dents sous l'assaut de la douleur. Sa jambe blessée pouvait à peine supporter son poids, mais il était déterminé à bouger, ne serait-ce que pour prouver qu'il le pouvait.

Pas à pas, il se dirigea vers la porte, puis dans le couloir. L'effort lui arracha une fine couche de sueur, mais la sensation d'accomplissement valait la douleur. Il progressa lentement le long du couloir, ignorant les regards inquiets du personnel médical qui passait.

— Vous ne devriez pas être debout sans assistance, Capitaine Carter.

La voix d'Emma le fit sursauter. Elle se tenait derrière lui, les bras croisés, son expression oscillant entre désapprobation professionnelle et une certaine admiration réticente.

— J'avais besoin de bouger, répondit-il simplement.

— Il y a des protocoles pour ça. Des béquilles, un physiothérapeute, un—

— Je n'ai pas besoin d'une baby-sitter, l'interrompit-il.

Au lieu de s'offusquer, Emma s'approcha et se plaça silencieusement à côté de lui, ni trop près pour le soutenir, ni trop loin pour ne pas pouvoir le rattraper s'il chancelait.

— Où comptez-vous aller comme ça? demanda-t-elle.

— Quelque part. N'importe où qui ne soit pas cette chambre.

Emma hocha la tête, comprenant visiblement son besoin d'évasion.

— Il y a une terrasse au bout du couloir. Vue sur les montagnes. Pas beaucoup de monde à cette heure-ci.

Logan la regarda, surpris par cette suggestion qui ressemblait à une complicité.

— Vous ne devriez pas plutôt me ramener dans ma chambre?

Un léger sourire étira les lèvres d'Emma.

— Probablement. Mais j'ai l'impression que vous y retourneriez encore plus déterminé dès que j'aurais le dos tourné. Autant vous accompagner pour m'assurer que vous ne vous blessiez pas davantage.

Logan ne put s'empêcher de sourire à son tour.

— Pragmatique.

— Toujours, répondit-elle.

Ils avancèrent lentement vers la terrasse, Logan refusant stoïquement toute aide physique malgré la douleur évidente. Emma respectait sa fierté, se contentant de rester à proximité, vigilante mais non intrusive.

La terrasse était effectivement déserte. Le soleil commençait à décliner, illuminant les montagnes du Colorado d'une lumière dorée qui transformait le paysage en tableau vivant. Logan s'appuya contre la balustrade, savourant l'air frais sur son visage après des jours confinés dans l'atmosphère stérile de l'hôpital.

— Merci, dit-il simplement.

— Pour?

— Ne pas m'avoir arrêté.

Emma s'accouda à côté de lui, contemplant le paysage.

— Parfois, la meilleure façon d'aider quelqu'un est simplement de ne pas se mettre en travers de son chemin.

Ils restèrent ainsi un moment, dans un silence confortable, regardant le soleil disparaître lentement derrière les montagnes. Logan sentait quelque chose se détendre en lui, un nœud qu'il n'avait même pas conscience de porter.

— Vous avez parlé au Dr. Mercer? demanda-t-il soudain.

Emma tourna la tête vers lui, surprise par cette question inattendue.

— Non. Ce ne serait pas éthique de discuter de votre cas avec lui sans votre consentement.

— Mais vous pensez que je devrais le voir.

Ce n'était pas une question, mais Emma répondit néanmoins.

— Je pense que personne ne devrait affronter seul certains démons.

Logan fixa l'horizon, les derniers rayons du soleil colorant son visage de teintes orangées.

— Mes démons sont différents, murmura-t-il. Ce n'est pas juste... de la peur ou des cauchemars. C'est... une culpabilité que je mérite de porter.

Emma se tourna complètement vers lui, son regard sondant le sien.

— Que s'est-il passé, Logan? En Afghanistan?

La question était directe, dépourvue d'artifice. Pour la première fois, Logan eut envie d'y répondre. Pas au psychiatre militaire avec ses questionnaires et ses analyses, mais à cette femme dont les yeux reflétaient une compréhension née de sa propre douleur.

Mais le moment fut brisé par l'arrivée d'un infirmier sur la terrasse.

— Mlle Sullivan? Le Dr. Brett vous cherche partout. Il y a une urgence au service des grands brûlés.

Emma se redressa immédiatement, le professionnalisme reprenant instantanément le dessus.

— J'arrive tout de suite.

Elle se tourna vers Logan.

— Vous croyez pouvoir retourner seul à votre chambre?

— Je me débrouillerai, répondit-il.

Elle hésita une seconde, puis hocha la tête.

— Je passerai vous voir plus tard.

Alors qu'elle s'éloignait rapidement, Logan fut frappé par un sentiment étrange, presque oublié. Pour la première fois depuis des semaines, il avait ressenti autre chose que de la colère, de la culpabilité ou de l'indifférence. En présence d'Emma Sullivan, il avait presque failli... se confier. Faire confiance.

Il retourna lentement vers sa chambre, son esprit tournant et retournant leur conversation. Peut-être avait-elle raison. Peut-être que l'orgueil était son véritable ennemi. Ou peut-être que sa présence était simplement le premier rayon de lumière à percer les ténèbres dans lesquelles il s'était enfermé.

Quoi qu'il en soit, alors qu'il s'allongeait à nouveau sur son lit d'hôpital, Logan réalisa qu'il attendait avec impatience sa prochaine visite. Et cette simple pensée était déjà un petit miracle en soi.

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