Encre Noire
Quand elles étaient petites, Noah et Maë ne se séparaient jamais. Leur complicité était évidente. Elles se retrouvaient après l’école, couraient dans les rues, jouaient dans le parc, inventaient des mondes imaginaires où elles étaient les reines, les héroïnes de leurs propres histoires. Elles avaient même un endroit secret, derrière un vieux chêne dans le parc, où elles se réfugiaient, comme si le monde extérieur n’existait plus. Des promesses de "pour toujours" flottaient dans l’air, chaque rire résonnait avec l’insouciance de l’enfance. Les souvenirs de ces moments heureux étaient gravés dans l’esprit de Noah. Ces journées passées à sauter dans les flaques d’eau, à raconter des histoires incroyables, à partager des bonbons et des secrets.
Maë avait toujours été la plus extravertie des deux, mais Noah adorait sa spontanéité, son énergie. Elles avaient cette dynamique parfaite, celle des meilleures amies inséparables. Leur relation semblait inébranlable, et même quand la vie semblait turbulente, elles savaient qu’elles pouvaient compter l’une sur l’autre.
Mais depuis trois ans, tout avait changé.
Noah se tenait au fond de la cantine, comme à son habitude, les yeux rivés sur son plateau, l’esprit ailleurs. Les bruits autour d'elle semblaient lointains, comme si le monde continuait de tourner sans elle. Elle entendait des rires, des voix, des chuchotements. Des regards furtifs, des rires étouffés. Elle se leva, les mains tremblantes, prenant son plateau sans vraiment savoir ce qu'elle allait manger. Ses pensées étaient noyées dans une mer d’anxiété. Le regard des autres. Leur jugement. Elle ne pouvait pas les ignorer. Elle n’avait plus la force de lutter.
— "Regardez-la, c’est quoi son problème ? On dirait un fantôme," murmura une voix derrière elle, et elle sentit la morsure du mot comme un poignard dans son cœur.
Noah ne répondit pas. Elle n’avait jamais su comment réagir face à ce genre de cruauté. Les mots des autres étaient toujours plus forts qu'elle. Depuis des mois, depuis que Maë s’était éloignée, elle était devenue une cible facile. Elle qui, avant, se sentait invincible avec sa meilleure amie à ses côtés, maintenant se sentait invisible, seule. Une ombre dans ce monde bruyant.
Elle s’éloigna de la table et se réfugia dans un coin, près des fenêtres, où elle pouvait observer la cour de récréation sans vraiment y participer. Les élèves étaient en groupe, riaient ensemble, se donnaient des surnoms. Maë n’était plus là. Depuis la 5e, tout avait changé. Elles n'étaient plus inséparables. Maë avait trouvé de nouveaux amis. Des groupes populaires, où elle s’était glissée sans se retourner. Noah l’avait vue petit à petit se perdre, jusqu’à ce que leur complicité ne devienne qu’un lointain souvenir. Les sourires de Maë, les promesses de "pour toujours" se sont effacées, remplacées par des regards fuyants.
Il n'y avait pas de conflit. Pas de grandes disputes. Juste un éloignement silencieux, fait de nouveaux liens, de nouveaux groupes, de nouvelles attentes. Noah, elle, était restée dans son coin, isolée. Elle avait cessé de se battre pour la retrouver. Parce qu'elle savait au fond d'elle que Maë n’avait plus besoin d’elle.
Et c’était là que tout devenait flou. La solitude s’était installée comme un compagnon quotidien. Les cours, la cantine, les devoirs... tout semblait plus lourd sans Maë à ses côtés. Les amis de Maë avaient trouvé leurs propres chemins, et Noah, elle, errait seule, entourée de regards curieux, d’un silence oppressant.
Elle avait commencé à écrire. Des poèmes, des histoires, des chansons. Des mots pour combler le vide. Des mots qui, parfois, laissaient échapper les ténèbres qu’elle ressentait au fond d’elle. Ces mots étaient sa seule échappatoire.
Le contexte à la maison n’aidait pas non plus. Ses parents étaient rarement là. Son père travaillait souvent jusqu’à tard le soir, et sa mère, épuisée, disparaissait dans ses propres préoccupations. Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois qu’elle avait eu une vraie conversation avec l’un d’eux. Ils l’aimaient, elle le savait, mais ils étaient absents. Il y avait des nuits où Noah se retrouvait seule à la maison, à regarder les murs, se demandant ce qu’elle allait faire de sa vie. Les conversations étaient réduites à des échanges rapides, des "bon appétit" ou "bonne nuit", mais les véritables échanges, ceux qui auraient pu l’aider à se sentir moins perdue, n’avaient plus lieu.
C’était son grand-père, d'ailleurs, qui l’avait élevée. Il était celui qui l’avait écoutée quand elle avait besoin de parler. Il était celui qui la poussait à avancer, même quand tout semblait trop difficile. Quand elle avait 11 ans, il était tombé malade. Elle se souvient de la peur dans ses yeux, du vide qui s’était installé dans la maison. Puis il était parti. Il l’avait laissée, elle, toute seule, à tenter de comprendre comment continuer sans lui. La douleur de cette perte, bien que cachée, restait toujours là, présente dans les recoins sombres de ses pensées.
Depuis, il n'y avait plus de repères. Plus d'ancrage. Juste Noah, face à sa solitude, qui se noyait dans ses mots et dans ses souvenirs d'un temps révolu. La douleur, la perte, la solitude... tout cela se mêlait, et la crise d'angoisse n’était jamais bien loin. Elle la sentait monter en elle comme une vague prête à la submerger.
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