Les Murmures de Santa Misericordia
La pluie tombait avec une régularité presque surnaturelle sur les toits de la cathédrale Santa Misericordia. L’eau glissait sur les gargouilles de pierre, ruisselait entre les vitraux ternis, et s’écrasait sur le sol en une mélodie lugubre que seuls les murs les plus anciens pouvaient comprendre. Il faisait froid. Un froid qui pénétrait les os, malgré les épaisses robes des sœurs.
Assise sur le banc du fond, une jeune fille priait en silence. Ses mains jointes tremblaient légèrement, non à cause du froid, mais de quelque chose d’autre. Un malaise. Une intuition.
Ximena San Diego n’avait jamais connu la douceur d’une famille. Recueillie dès sa naissance dans cette cathédrale, elle avait grandi entre les psaumes, les corvées, et les contes sombres que les sœurs murmuraient en pensant qu’elle dormait.
Les sœurs Imelda, Milagro, et Maria Theresa étaient de celles qui croyaient encore aux signes, aux miracles, et aux malédictions. Chaque soir, elles priaient non seulement pour les vivants, mais aussi pour « ceux qui dorment sous la terre », comme elles disaient avec crainte.
Ce soir-là, la cloche de l’entrée retentit. Trois coups lents. Lourds. Inhabituels.
Sœur Imelda, la plus âgée, alla ouvrir, flanquée de Ximena. Un homme se tenait là, trempé, mais digne. Un grand manteau noir, un chapeau trempé à la main, des yeux d’acier, et un carnet de cuir usé contre sa poitrine.
— Je suis Ludovico Gregorio San Diego, déclara-t-il. Je viens chercher ma nièce.
Ximena sentit son cœur se contracter. Ce nom… San Diego ? Comme elle ?
Les sœurs n’avaient jamais parlé de famille. Mais après une heure de discussion privée, elles revinrent vers elle, l’air grave.
— Ximena… cet homme est ton oncle. Il est venu te chercher.
Le cœur battant, la jeune fille leva les yeux vers lui. Il ne souriait pas, mais il semblait… sincère. Derrière ses rides et sa barbe grisonnante, il dégageait quelque chose de rassurant. Une force ancienne.
Et Ximena partit.
Elle quitta la cathédrale, la pluie, les prières, et les chants latins. Elle ne regarda pas en arrière.
Mais si elle l’avait fait, elle aurait vu sœur Maria Theresa tracer un vieux symbole sur le mur… un cercle avec trois croix inversées à l’intérieur. Et elle aurait entendu sœur Milagro murmurer :
— Le Modulom approche. Dieu nous garde.
L’ambiance s’épaissit, et les ombres commencent à bouger derrière les murs…
La Maison aux Silences
Le fiacre avançait lentement sous la pluie battante. Ximena, blottie dans un manteau trop grand pour elle, regardait par la fenêtre les arbres dénudés qui bordaient la route. Le paysage était flou, noyé dans une brume froide. À côté d’elle, Ludovico Gregorio San Diego restait silencieux. Il n’avait pas dit un mot depuis leur départ de la cathédrale. Mais Ximena le sentait : il était tendu.
— Où allons-nous ? finit-elle par demander, d’une voix douce.
— Chez moi. À la Villa San Gregorio. Tu y es née, tu sais.
Elle tourna la tête vers lui, surprise.
— Vous me connaissiez ?
Il hocha la tête, presque à contrecœur.
— Je t’ai perdue à ta naissance. Il était temps que tu rentres.
Les roues crissèrent contre le gravier humide. Le fiacre s’arrêta devant une grande demeure aux allures gothiques, partiellement envahie par la végétation. Des vitres cassées, des volets grinçants, mais un portail intact. La grille s’ouvrit toute seule. Ximena recula légèrement.
— C’est… chez vous ?
— C’est chez nous.
Ils descendirent. L’intérieur était plus propre qu’elle ne l’aurait cru. Un mélange d’ancien et de fragile, comme si la maison retenait son souffle depuis des années. Des portraits anciens tapissaient les murs. Tous les visages lui étaient étrangers, sauf un. Une femme aux yeux sombres, qui lui ressemblait étrangement.
— Ta mère, dit Ludovico d’une voix rauque. Elle est morte ici.
Ximena sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale. Quelque chose clochait. Ce n’était pas la poussière ni l’odeur de vieux livres. C’était… ce silence. Trop profond. Trop vivant.
La nuit venue, Ludovico l’installa dans une chambre haute, au bout d’un long couloir. Avant de refermer la porte, il lui tendit un petit médaillon.
— Ne l’ouvre jamais. Porte-le. Toujours.
— Pourquoi ?
— Parce que certains cauchemars reconnaissent l’odeur du sang.
Il ferma la porte sans un mot de plus.
Ximena resta là, dans cette chambre trop vaste, sous un plafond peint de fresques anciennes. Le vent sifflait. Le bois craquait. Et, au plus profond du plancher… quelque chose remua.
Une respiration. Lente. Inhumaine.
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