Chapitre 2

Ce fut un jour obscur et mélancolique pour le royaume d'Eldorie, un jour d’affliction particulièrement éprouvant pour le roi Edwin III. En effet, le souverain venait d’être frappé par la terrible nouvelle du trépas de son vénéré mentor, de son oncle bien-aimé, et de l’unique figure paternelle qui avait su, pour ainsi dire, éclairer son chemin : lord Alden Westerdale, seigneur du Ducat de Méridienne et éminent duc de la Maison Westerdale.

L'illustre homme, tel qu'il l'avait fort justement déclaré avant de rendre l'âme, avait amplement donné de lui-même. C'est avec sérénité d'esprit qu'il s’en fut, content, ayant vu le royaume qu’il chérissait tant retrouver ses fastes d'antan, et s'assurer que celui-ci était désormais entre des mains dignes de le porter haut.

Pendant une décennie entière, lord Westerdale avait œuvré avec une ardeur inébranlable pour éduquer et façonner l'esprit encore tendre de l'enfant roi, qui désormais, bien qu'éloigné de l’innocence juvénile, venait de souffler sa vingt-deuxième bougie. Edwin III, tel un roi digne de sa lignée, à l'instar de son illustre grand-père, meilleur ami du feu duc, était devenu l'une des plus grandes fiertés de son oncle.

Les obsèques de lord Alden s'étalèrent sur sept jours, durant lesquels nobles et seigneurs de tout le royaume, même ceux qui avaient pu être ses adversaires, se pressèrent en un large cortège funèbre, tous unis dans le deuil en hommage à la noblesse de cœur et à la bravoure du défunt. Le roi, conscient de la dette immense qu'il avait envers celui qui l'avait élevé et guidé, prit en charge chaque détail des funérailles, veillant à ce que le moindre aspect reflétât la grandeur et la vertu de son oncle regretté.

La noble épouse du roi, reine Clara I, était une grande amie du duc. Bien que leurs lignées fussent séparées par le temps et les vicissitudes de la fortune, les affinités de leurs âmes s'étaient rapidement scellées, malgré la disparité notoire de leurs âges — la jeune damoiselle arborant fièrement plus de trois décennies de fraîcheur face à l'expérience marquée du duc. C’était lui qui, dans un élan de déférence et de loyauté envers le trône naissant d’Edwin III, avait choisi la jeune femme pour unir son sort à celui d’Edwin III. Ce dernier n’avait encore que douze ans au moment de leurs noces, tandis que lady Clara, d’une décennie son aînée, se tenait à ses côtés sans jamais, même en secret, émettre un mot de critique sur leur union ou sur l’héritage de leur mariage.

Le roi, quant à lui, n’avait jamais osé formuler la moindre critique à l’égard de sa bien-aimée ou des liens sacrés qui les unissaient. C'était son oncle et meilleur conseiller qui avait orchestré cette union ; c’était alors indiscutablement pour le meilleur, et l’histoire semblait lui donner raison : Lady Clara était bel et bien remarquable.

Reine Clara I n'était point simplement la compagne du roi, mais plutôt l'incarnation d'une âme sœur, d'une amie fidèle, d'une confidente avisée et parfois même, que ce fût par devoir ou par affection, elle prenait également le rôle d'une mère spirituelle auprès du jeune monarque. Ainsi, bien au fil des saisons passées en compagnie l'un de l'autre au sein des fastes du palais royal, leur amitié s'était épanouie tel un jardin luxuriant sous un soleil d'été, un lien d’âmes où l’un et l’autre s’épaulaient dans la fragilité des temps.

Hélas ! Des murmures perfides se répandaient dans les couloirs ombragés du château. Certains osaient affirmer, dans les alcôves et les salons, que la reine n’était rien de moins qu’une opportuniste perfide, camouflée derrière une façade mielleuse : une ambition ardemment dissimulée sous le vernis d’un mariage désintéressé visant uniquement richesses et prestige que lui conférait son rang. Cependant, la réalité était toute autre.

Elle n'avait nullement uni sa destinée à celle de l'enfant-roi pour ces vils motifs. Lady Clara s'était unie à lui non par avarice, mais pour échapper aux chaînes d'un mariage qu'elle redoutait. Ce fut dans un mouvement de désespoir, bien loin des motivations que lui prêtaient les médisants.

La quintessence de son être se révélait dans son inclination pour le beau sexe. Il faut souligner que Clara était homosexuelle, une vérité qu'elle avait confiée au duc, ce proche partenaire dans ses mensonges conjugaux. En effet, le mariage avec le jeune souverain était devenu l'échappatoire tant espérée d’une union qu’elle ne désirait guère.

Son prétendant — un comte aux ressources opulentes et au lignage noble — cherchait sincèrement à lui prodiguer son amour. Or, c’était ce même amour qui l’effrayait et lui était désagréable ; elle ne pouvait supporter la présence des hommes en tant qu’amants — leurs démarches galantes lui paraissant intolérables. Les hommes étaient acceptables comme amis, certes, mais c'étaient là des souffrances innommables sous le voile de l’amour romantique.

Ainsi naquit un accord entre Clara Barrow et le duc : elle consentait à épouser Alexander afin de devenir son alliée et de lui donner un héritier, en l’occurrence un héritier mâle, au moment jugé opportun, pour préserver la pérennité de leur lignage royal. Si tel était son désir, une fois ce noble but atteint, elle pourrait se soustraire aux liens du mariage. En cette ère où le statut matrimonial était aussi sacré qu'inflexible, il était de notoriété qu'une dame ayant eu pour époux un roi se voyait contrainte à ne point convoler à nouveau. Il s’agissait là d’un arrangement des plus sages et dont elle se félicitait. Clara y consentit donc sans hésitation.

Le roi lui-même avait pris acte de l'indifférence sentimentale de sa reine envers la gent masculine ; cet état ne l'affectait guère. Leurs cœurs n’étant pas entrelacés par des sentiments romantiques. Il n’avait jamais vu en cette union plus qu’un contrat politique : une alliance où chacun jouissait de ses libertés. Il lui accordait la liberté d’éprouver des sentiments pour qui bon lui semblait, tant que cela ne ternissait en rien l'honneur royal. Un honneur que la reine préserva avec soin ; car, malgré les sept années de complicité scellées avec sa servante, nul n’avait eu vent de leur liaison secrète. Même le roi aurait demeuré dans l'ignare inconscience de cette situation jusqu’à ce que Clara prît l’innocente audace de lui en faire part.

Ce secret provoqua néanmoins une notoire agitation entre les deux époux.

« Comment diantre n’ai-je jamais eu vent de cette… réalité ? » s’indigna le roi, aussi surpris qu'amusé par la révélation inattendue. Il ne ressentait point la fureur, mais plutôt une incrédulité face à cette situation insoupçonnée ; elles avaient partagé cet amour secret pendant plus de cinq ans sous son propre nez.

« Votre Majesté, rétorqua-t-elle avec une sérénité digne, il est plus ardu pour une femme de se laisser déceler dans ses manigances que cela ne saurait être le cas pour un homme. »

« Seriez-vous en train d'insinuer que mes congénères masculins font preuve de sottise ? » Oserez-vous ainsi froisser leur dignité ? » feignit de s'offusquer le roi dans un élan théâtral.

« Il n'en est rien, Votre Majesté », s'empressa-t-elle de répliquer avec une jovialité ludique. « Et vous ? »

« Qu’en est-il donc ? »

«N'avez-vous point encore aperçu quelque dame dont la beauté ou les charmes exaltent votre cœur ?» Le roi demeura muet ; engager un tel dialogue avec son épouse relevait déjà du bizarre et voir celle-ci l’interpeller sur ses inclinations amoureuses dépassait encore davantage les limites du convenable.

Alexander ne put refréner un sourire : « J’en avais presque oublié que notre union n’était rien au fond qu’une farce grotesque », répliqua-t-il avant de se lever de la table où il prenait son repas matinal.

Edwin III se comportait souvent ainsi : lorsqu’une question échappait à sa compréhension ou à laquelle il ne saurait répondre adroitement, il diversifiait immanquablement la conversation en empruntant des chemins détournés.

L'homme ne se laissait point captiver par les femmes, ni même par l'idée de l'amour. Toutefois, il existait une exception à cette règle : la vicomtesse Isolde Greenbriar. Leur première rencontre se produisit au cours de l'une des nombreuses réceptions auxquelles il était contraint d'assister. À cette époque, il avait dix-sept ans tandis que la vicomtesse en comptait dix-neuf. Isolde ne dissimulait nullement son inclination pour le roi, et celui-ci, intrigué par les délices charnels, s'éprit d'une nuit passionnée à ses côtés.

Depuis lors, leurs chemins se croisaient fréquemment, mais la reine Clara demeurait dans l'ignorance de cette liaison. Elle se croyait astucieuse, mais Alexander surpassait encore son intelligence. Cinq années avaient passé depuis l'éveil de ce lien entre le roi et la vicomtesse.

Leur rapport s'étendait essentiellement à des plaisirs intimes. Alexander n'avait pour Isolde qu'un désir ardent de jouissances corporelles, tandis que la jeune femme nourrissait des espoirs plus grands, ce dont le roi avait pleinement conscience. Pourtant, il tenait à être clair : il ne voulait point être tel son père. Dès leur première étreinte, il avait exprimé sans ambiguïté que leur "relation" resterait purement physique.

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