Le Témoin
Électrique, c'est le mot parfait pour décrire cette sensation : grisante, plaisante... Mon cœur n'a jamais battu si fort, comme si chaque cellule de mon corps était palpable. Un état qui ne dure que quelques secondes pourtant tous mes sens sont en alerte.
Puis un impact, le silence. Le vide qui m'envahit. Au loin, mes pensées sont presque muettes elles aussi. Je n'entends plus les pas des passants, le son des moteurs, les chiens aboyant, le bruit du vent dans les feuilles…
Je reprends connaissance et laisse mes yeux se poser sur ce qui m'entoure. J'ai les idées troubles, pourtant, je comprends ce qu’il s'est passé. Il y a une voiture encastrée dans une vitrine, je suis allongé dans un fluide chaud et visqueux. Rouge… Du sang ? Il y a des personnes autour de moi, je crois qu’ils essaient de me sauver. Ils ne vont pas réussir, je n’ai pas mal, je devrais, mais je ne ressens aucune douleur. Ça n’est pas normal, sûrement la preuve que c’est fini. Mon heure est venue.
Mes yeux se ferment, lorsque je les ouvre à nouveau, je ne suis plus dans la rue, je me trouve sur une plage de sable noir, mes pieds nus sont enfoncés dans le sol tiède, le ciel est bleu, l’eau est claire. Le soleil est présent mais pas éblouissant. L'air est doux. Je porte une tenue étrange : elle est noire et couvre peu mon corps.
Une sensation chaude dans mon ventre et des picotements à mes doigts me rappellent ce souvenir de… ma mort
Je regarde de mes mains une couleur noire apparaît remplaçant le bleu de mes veines sous ma peau pâle. Elle grignote l'espace et devient plus diffuse jusqu'à disparaître à la moitié de mon avant-bras. Effrayer, je frotte la zone infectée en m'agitant. Rien n'y fais, je sens l'angoisse me nouer la gorge, j'aimerais extérioriser, mais aucun son ne sort.
C'est alors qu'un livre apparaît devant moi dans un nuage de fumée épaisse, elle aussi noire. Je recule sous la surprise et trébuche, mes jambes ne me portent plus. La peur me fige.
“Où je suis et qu'est-ce qu'il se passe ?”
Le nuage disparaît et le livre tombe à mes pieds. Je le fixe : devrais-je le toucher ou courir loin de lui ?
Je me mets à genoux en face, mes bras sont redevenus normaux. Je caresse ma peau suivant les lignes de veines. Elles sont bleues, je ne ressens plus aucune sensation inhabituelle. J'en suis rassuré. Peut-être que j'ai simplement halluciné.
“Allez Ethan… C'est juste un livre… Qu'est-ce qu'il pourrait t'arriver ?”
J'attrape le livre et retire le sable noir venu se loger sur la couverture en cuir vieilli par le temps. Le titre est une fine gravure presque invisible. Je passe les doigts dessus en me concentrant pour mieux lire. C'est une langue qui est bien loin de tout ce que je connais.
J'ouvre, la même langue remplit les pages. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il est écrit. Ça a été rédigé à la plume, il y a longtemps. Les pages sont décorées et illustrées à l'aquarelle. Des décors floraux, rien qui n'indique une piste pour déchiffrer ce langage inconnu, mais ça a l’air d’être important. Je ferme le livre et me lève.
Lorsque je me tourne le dos à l'eau, je vois dans le ciel deux lunes violettes. Immenses, elles sont proches et on y voit les détails. Ce spectacle est hypnotique.
- Mais dans quel monde je suis bon sang…
De la fumée m'envahit, elle sort du livre m’arrachant à ma rêverie. Je ne vois plus le paysage idyllique qui m'était offert jusque-là. Je cherche un point de repère, mais je m'y perds. Très vite, le vertige me prend. Une voix étrangère s'élève de part delà le fumé.
***
- Posez le livre au sol.
- Qui est là ?!
La panique est perceptible, l'angoisse rend ma voix fébrile, mes yeux sont pleins de larmes. Je sers le livre contre moi pour avoir un semblant de réconfort. La voix répète plus l'autoritaire.
- Posez le livre afin de dissiper la fumée.
J’obéis. La fumée disparaît. Je découvre un tout autre endroit, le son des vagues a disparu, mes pieds touchent un sol froid et dur. Je suis dans un palais de marbre blanc et or. Je suis dans un couloir ouvert bordant un sublime jardin composé de fleurs inconnues aux couleurs variées. Mes yeux continuent leurs explorations. Je cherche l'origine de la voix. Je n'ose pas me tourner. Personne n'est face à moi, alors c'est dans mon dos, et cette idée me terrifie. Ma salive a du mal à passer, je sens mes mains devenir plus humide sous l'angoisse. Mon cœur accélère. Je m'attends à tout...
Je rassemble mes forces et commence à me tourner. Je me mets ancrée sur mes appuis et tient une garde maladroite devant moi les yeux fermés pour ne pas voir ce qui me menace.
- Je sais me battre ! Ne me tuez pas !
C'était un mensonge évidemment. Voyant qu'il ne se passe rien, je baisse ma garde et ouvre lentement les yeux. Je vois un homme de mon âge, 22, 23 ans ont vu d'œil. Il porte un fin diadème sur le front et de nobles habits qui détonnent avec ceux des quatre personnes l’entourant. Il a de longs cheveux noirs décorés de petite perle rose pâle perdue dans ces mèches, sa peau, légèrement, sombre est sans imperfection, il a de pleine lever, un nez classique, les joues rebondi au-dessus d’une mâchoire discrète. Il a les traits fins qui lui donnent un air féminin, agréable à l'œil. La peur a presque disparu, je me contente d'apprécier sa beauté.
La situation me rattrape, les questions m’envahissent. Je le fixe. Il fait signe aux autres personnes de quitter l'espace où nous sommes. Je dois rêver… En-tout-cas, j'aime bien ce que mon cerveau a créé hormis l'accident et l'angoisse trop réaliste à mon goût. Ceci dit, j'ai l'habitude des crises d'angoisse. Mais tout un tas d'hypothèses me ramène à la triste vérité : c'est bien réel. À cette pensée, je sens mes entrailles se liquéfier, je suis pris de nausée. Mon regard se perd dans le vide. Je ne supporte plus ces folies. J’ai besoin de stabilité, or tout ça sors de mes capacités. J'abandonne, je reste dans le déni. C'est un rêve. Alors je n'ai rien à perdre.
Je pointe du doigt le livre et recule de deux pas :
- Prenez ce truc et ramenez moi chez moi !
Je suis bien plus autoritaire que voulu, je rajoute timidement en croisant les bras sur mon torse visible en transparence sous les voilures du tissu.
- s’il vous plaît.
L’homme me regarde avec une peine dans les yeux. Il parle doucement, articulant correctement chaque syllabe avec une élégance envoûtante.
- Je suis sincèrement navré, vous ne pourrez pas retourner sur terre, votre vie de mortel s’est achevée.
Je fixe toujours l’homme mince, aux yeux vert. Les mots mettent un temps à être analysés. “Terre” personne ne dis ça… “Vie de mortel” ? Je suis mo- je sens le sol se dérober sous mes pieds, mes yeux se voilent…
***
Leyo
Depuis tant d'années, j'attends ce jour. L'oracle a prédit ce qui est sur le point de se produire. J'ai répété, étudié dès ma plus tendre enfance pour ce moment. Tout doit être parfait, je n'aurais pas de seconde chance. Avec mes plus proches serviteurs, dans l’enceinte du jardin d'Opale : j'attends. C'est ici qu'il doit apparaître : dans des volutes d'encre, le mortel devenu immortel de ses yeux innocents assistera à la fin des temps. Le fils du soleil sera son guide, sa lumière dans les ténèbres qui vont l'envahir.
L'heure passe et aucune fumée n'apparaît. Je regarde le ciel, la lumière commence à décliner. Mon conseiller s'approche, il s'incline arrivant à mon niveau.
- Mon prince, veuillez vous asseoir. Cela fait plusieurs heures que vous vous tenez debout. Votre fatigue aura raison de vous… Prenez place.
Il désigne un banc en bas des marches de marbre blanc au milieu des nombreuses fleurs. Je décline :
- Je ne peux pas tenir en place. Il va arriver d'un instant à l'autre. Je dois me tenir prêt.
- Oui, bien sûr.
L'attente continue. L'oracle n'avait pas prédit une attente si longue, peut-être qu’il y a un souci ? Non impossible…
La fumée apparaît dans une détonation, les gardes arrivent, mais je les renvoie aussitôt. Je m'approche le cœur battant les yeux brillants. C'est bien là, c'est aujourd'hui que mon destin s'accomplit. Je me dois d'agir parfaitement… Mais surtout naturellement. Je suis dans un état de panique absolue… Mais je dois faire ce pourquoi je suis né.
- Posez le livre au sol.
Une voix affolée me répond immédiatement.
- Qui est là ?!
- Posez le livre au sol afin de dissiper la fumée.
Il obéit, la fumée disparaît. Il est dos à moi. Je laisse mes yeux se poser sur lui. Le tissu noir laisse apparaître ses rondeurs, sa peau pâle et ces multiples gris de beauté. Il se tourne et se met en garde, prêt à se défendre, il pense que je suis une menace ? C'est sûrement mon ton trop autoritaire… Nous échangeons quelques mots. Il commence à comprendre et alors qu’il perd connaissance, je le retiens dans sa chute. J’use de ma magie pour le porter. Je marche vers les escaliers que j’emprunte.
Je l'installe dans l’une des chambres réservées aux invités. Le mobilier de celle-ci est similaire à ce qui se trouve sur terre. Il ne sera pas loin de ses habitudes. Je le dépose sur le lit et le borde respectueusement. Je regarde l’endormi. Il est comme l’oracle le décrit, de taille moyenne quelques formes, des cheveux court brun, de fine lèvre et un petit nez droit qui s'harmonise parfaitement à son visage rond. Le pauvre n’a pas supporté le choc. C'est tout naturel. Il a tout un monde à découvrir, tout un univers invisible qui va s’ouvrir à ses yeux. Sera-t-il capable d’apprivoiser ce nouveau monde et de répondre aux exigences de son rôle ? Mais surtout… est-ce qu'il m'appréciera ? Que se passera-t-il si ça n'est pas le cas ?
Je n'ai plus le temps pour une réflexion basée sur des approximations, l’homme se réveille, je reste à son chevet assis sur un fauteuil. Je lui sers de l’eau qu’il boit lentement. J'attends avant de lui demander.
- Tout va bien ?
Il pose le verre vide sur la table de nuit et s'assoit en tailleur gardant sur lui la couverture qui cache ainsi son corps.
- Au mieux, que ça puisse être dans la situation actuelle… où je suis ?
Les questions commencent, je dois être prudent dans mes réponses, tout doit se faire en douceur. Ma voix tremble trahissant mon hésitation.
- je vais commencer par me présenter, je me nomme Leyo Keteya vous vous trouvez chez moi actuellement, en sécurité vous n’avez aucune crainte à avoir.
- facile à dire… vous êtes… un roi ? C’est votre palais ?... Je savais que j'avais une imagination débordante, mais ça, c'est une première…
- Prince, vous avez une belle déduction… mais… ça n'est pas un rêve. Je ne suis pas le fruit de votre inconscient.
- Permettez-moi d'en douter…
Comment lui prouver le contraire ? Après tout, son cerveau essaie de le protéger en pensant que tout cela n'est pas réel.
- Pourtant… je dis vrai, et vos souvenirs confirmeront mes dires. Même si cela risque d'être douloureux.
Il semble réfléchir, et son trouble se lit sur son visage. Il attrape un coussin qu'il entoure de ses bras. Les souvenirs deviennent clairs dans son esprit. D'une petite voix, il brise le silence qui s'était installé.
- On est jeudi… Je suis étudiant et, les jeudis, on a surtout des conférences ou des expositions, mais là pour la première fois de l'année ça a été annulé. J'ai fait une grasse matinée… Puis je me suis préparé. Je devais reprendre mes révisions pour mes examens… je suis parti vers la bibliothèque. Comme d'habitude… mais… j'ai jamais atteint la bibliothèque… Il y avait du sang, de la fumée, une voiture encastrée dans une vitrine… des éclats de verre… puis cette plage et ce livre…
Sa voix se brise interrompue par des sanglots.
- Je devais rejoindre Léa… Elle va s'inquiéter…
- Je suis désolé…
Sa tristesse me touche. Je me lève et lui donne des mouchoirs. Je suis préparé à l'impact psychologique qu'à l'annonce de la Mort. Mais y être confronté de la sorte me rend nauséeux. J'aimerais l'aider, mais je ne dois pas interférer.
- Je vais vous laisser reprendre vos esprits. Si vous avez besoin de quoi que ce soit demandé, n'hésitez pas.
- Attendez… j'ai quelques questions.
- Nous en discuterons plus tard… vous avez besoin de repos
Je le vois réfléchir. Une petite horloge sur la commode sonne à l'heure de la prière. Je marche vers la porte.
- Une gouvernante viendra avec quelques livres terriens pour vous occuper et un repas chaud.
- Je n'ai pas faim.
- C'est normal comme vous êtes décédé, votre corps n'a plus besoin d'être nourri, mais c'est réconfortant de garder des habitudes humaines.
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