Le lendemain de ma mésaventure au marché, je n'avais pas prévu de croiser Youssef à nouveau, et encore moins de passer une journée avec lui. Pourtant, ce fut exactement ce qui arriva. J'avais à peine fini de déjeuner qu'Il était apparu dans l'après-midi, devant ma maison, comme une ombre discrète projetée par le soleil brûlant.Je l'avais vu de loin, appuyé contre un mur, ses bras croisés, regardant les dunes au loin. J'avais hésité à sortir. Mon père était à la ville pour son projet et ma mère faisait une sieste qui durerait sûrement un long moment. Il n'avait rien dit, mais son regard,ses mystérieux yeux noirs,lorsqu'il se tourna enfin vers moi, semblait une invitation silencieuse. Je ne savais pas pourquoi, mais quelque chose dans son calme m'avait poussé à le rejoindre, ça m'avait systématiquement attiré.
« Tu veux voir quelque chose ? » m'a-t-il demandé, comme s'il connaissait déjà ma réponse.
« Voir quoi ? » avais-je répondu, plus par politesse que par réelle curiosité.
Il avait simplement esquissé un sourire énigmatique. « Suis-moi. »
« Et où allons-nous ? » bien qu'il ne dégageait rien d'hostile il restait quand même un étranger.
Mais il ne repondit pas et se mit à marcher me laissant à la traîne. J'hesitais un instant avant de me décider à le suivre.
★★★
Nous avions quitté le village, marchant côte à côte sans trop parler. Devant nous, le désert s'étendait comme une mer de sable sans fin, chaque dune ondulant doucement sous la lumière dorée du soleil. Les maisons blanchies du village s'effaçaient peu à peu dans le décor derrière nous et semblaient maitenant bien loin , remplacées par un silence profond et apaisant.
« Tu viens souvent ici ? » avais-je demandé, brisant le silence.
« Parfois, » répondit-il simplement.
Il ne parlait pas beaucoup, mais ses mots avaient un poids, comme s'il réfléchissait à chacune de ses réponses avant de les prononcer. Cela contrastait avec mon besoin constant de combler les silences, de donner un sens aux moments vides.Après une longue marche, une brise fraîche avait soudain caressé mon visage, portant avec elle une odeur que je n'avais pas sentie depuis que nous avions quitté la ville : l'odeur salée de la mer.
« On est près de l'eau, » avais-je murmuré, presque incrédule.
Youssef hocha la tête sans rien dire. Quelques minutes plus tard, la mer apparut devant nous, comme une promesse. Elle était vaste, infinie, s'étendant jusqu'à l'horizon où elle semblait se confondre avec le ciel, ses reflets dorés ondulaient comme de l'or liquide.
« C'est magnifique, » soufflai-je.
Comme si ces mots seuls pouvaient vraiment décrire ce tableau.
Nous nous étions installés sur un rocher, à une distance raisonnable des vagues qui venaient s'écraser sur le rivage dans une mélodie apaisante. Je regardais la mer, fasciné par ses nuances de bleu et de vert, tandis que Youssef semblait perdu dans ses pensées.
« Tu as grandi ici ? » avais-je demandé, brisant une nouvelle fois le silence.
Il hocha la tête. « Toute ma vie. »
Je tentai de l'imaginer, enfant, courant sur ce sable, construisant des châteaux sur la plage. Mais le regard qu'il posait sur la mer n'avait rien d'enfantin. Il était chargé de quelque chose de plus lourd, une nostalgie mêlée de mélancolie.
« Tu sembles... ailleurs, » remarquai-je.
Il tourna les yeux vers moi, comme s'il revenait d'un rêve. « Je pense à mon frère. »
Je ne savais pas qu'il avait un frère, mais il n'avait pas besoin d'en dire plus pour que je comprenne. La douleur dans sa voix était presque palpable, comme une note dissonante dans un chant harmonieux.
« Il est. . . Il n'est plus là depuis combien de temps? » demandai-je, prudemment.
Youssef secoua la tête, et pendant un instant, j'eus peur d'avoir posé une question de trop. Mais il finit par répondre. « Il est parti. Depuis trois ans. »
Je restai silencieux, attendant qu'il continue s'il le souhaitait.
« Amir était l'aîné, » expliqua-t-il, son regard retournant vers l'horizon. « Il était... tout ce que mon père voulait que je sois. Responsable, respecté, fort. Mais. . .» Il coupa comme pour reprendre son souffle,sa voix était calme, mais je pouvais sentir qu'il se battait pour contrôler ses émotions.
« Et maintenant, » ajouta-t-il après une pause, « tout le poids est sur moi. C'est moi l'aîné»
Je n'avais jamais été l'aîné, mais je pouvais imaginer ce que cela représentait. Cette responsabilité, ce devoir de réussir là où quelqu'un d'autre avait échoué, surtout pour quelqu'un de si jeune.
« Ça doit être difficile.» murmurai-je.
Il tourna la tête vers moi, et pour la première fois depuis notre rencontre, je vis une lueur de vulnérabilité dans ses yeux.
« Parfois, je me dis que j'aimerais juste disparaître. Comme lui. » Murmura t-il.
Il y avait quelque chose d'étrange et de bouleversant dans la façon dont il parlait : un mélange de résignation et d'espoir, comme s'il cherchait encore une issue qu'il n'arrivait pas à trouver.
★★★
Le temps tendait au crépuscule,nous étions restés là, assis en silence, pendant ce qui me sembla une éternité. La mer, avec ses vagues régulières, semblait nous bercer, apaisant les tensions que ses confidences avaient fait naître.Puis, soudain, Youssef s'était levé,sa légère chemise blanche flottant au gré du vent. Il avait marché jusqu'à la rive, là où l'eau rencontrait le sable, et s'était penché pour ramasser quelque chose. Quand il revint, il tenait un petit coquillage blanc, parfaitement lisse.
« Tiens, » dit-il en me tendant l'objet.
Je pris le coquillage, le retournant entre mes doigts. Il était si simple, si ordinaire, mais dans ce contexte, il semblait avoir une signification particulière.
« Pourquoi ? » avais-je demandé, intrigué.
Il haussa les épaules. « Parce que la mer n'oublie rien. Ce coquillage... il a été façonné par elle. C'est comme un souvenir qu'elle te donne. »
Je serrai le coquillage dans ma main, touché par ce geste. Ce n'était qu'un petit objet, mais pour moi, il représentait beaucoup plus : un fragment de cette journée, de cet instant partagé.
★★★
Alors que le soleil commençait à descendre de plus en plus vers l'horizon, nous avions repris le chemin du retour. Cette fois, le silence entre nous était plus confortable, presque complice. J'avais l'impression que quelque chose avait changé, que ce moment au bord de la mer nous avait rapprochés.
En arrivant près du village, Youssef s'était arrêté.
« Merci, » avais-je dit, sans vraiment savoir pourquoi.
Il m'avait regardé, son expression toujours indéchiffrable, mais ses yeux disaient quelque chose que je ne pouvais pas encore nommer.
« Ce n'est rien, » avait-il répondu. Puis, il était parti, disparaissant dans les ruelles du village comme une ombre.
Je restai là un moment, le coquillage toujours dans ma main, avant de rentrer chez moi. Ce soir-là, alors que je m'endormais, le coquillage serré contre ma poitrine, j'entendais encore le bruit des vagues dans ma tête. Et pour la première fois depuis notre arrivée, je me sentais étrangement apaisé.
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