LES CHARMES DU LUNDI
Le soleil matinal filtrait à peine à travers les lourds rideaux de velours pourpres de la grande maison Edison, jetant une lumière tamisée sur le parquet brillant. Jennifer serra son sac contre elle, prit une profonde inspiration et poussa la porte d’entrée, qui s’ouvrit avec un grincement solennel. Elle était arrivée.
Depuis des semaines, elle avait rêvé de ce moment, mais rien ne l’avait préparée à l’atmosphère glaciale qui régnait ici. Le hall d’entrée était vaste, orné de tableaux anciens et de meubles précieux, mais il respirait la froideur et la distance. Chaque détail semblait crier richesse et pouvoir, mais aussi arrogance et mépris.
Jennifer était une jeune femme modeste, aux traits doux mais déterminés. Ses mains portaient encore les traces des travaux qu’elle avait accomplis dans sa vie précédente : une vie simple, parfois dure, mais toujours honnête. Elle savait que ce travail serait difficile, mais elle avait besoin de ce poste. Pour elle, pour sa famille, pour prouver qu’elle pouvait tenir tête au destin.
Un pas après l’autre, elle s’avança vers le salon principal où l’attendait sa nouvelle patronne. Mais avant même qu’elle n’ait pu saluer, une voix glaciale la coupa net.
« *Alors, c’est toi la nouvelle ?* » lança une silhouette élancée, appuyée contre le chambranle d’une porte. Catherine Edison, la fille aînée de la famille, la regardait de haut en bas avec un sourire méprisant.
Jennifer sentit un frisson parcourir son échine. Catherine était tout ce qu’elle redoutait : belle, raffinée, mais surtout cruelle dans son regard.
« Oui, madame. Jennifer. Je viens pour commencer aujourd’hui. » Sa voix était calme, mais ferme.
Catherine ricana doucement. « Tu ferais mieux de t’habituer à être invisible ici. Nous n’avons pas besoin de domestiques bavardes ou qui se croient importantes. »
Avant que Jennifer ne puisse répondre, un autre jeune homme fit son apparition. Lucas Edison, le fils cadet, avait ce regard arrogant et désinvolte qui semblait mesurer chaque personne selon son utilité.
« *Une autre petite souris à nourrir,* » murmura-t-il assez fort pour que Jennifer l’entende. « Tu vas vite comprendre que tu n’es rien ici. »
Jennifer sentit son cœur se serrer, mais elle ne se laissa pas démonter. Elle releva la tête avec dignité.
« Je suis ici pour travailler dur. Rien d’autre ne m’intéresse. »
Lucas haussa un sourcil moqueur et tourna les talons sans un mot de plus.
Catherine s’approcha alors un peu plus près, son sourire s’élargissant en un rictus cruel.
« Tu vas voir… Ce monde n’est pas fait pour les faibles ou les naïfs. Mais peut-être que tu as un peu de courage. Ça pourrait être divertissant. »
Jennifer sentit une colère sourde monter en elle, mais elle la refoula rapidement. Elle avait appris à encaisser les coups, à garder sa dignité même quand tout semblait vouloir la briser.
Elle passa le reste de la matinée à découvrir les lieux : les grandes pièces aux plafonds hauts, les escaliers en bois sculpté, la cuisine où les autres domestiques s’affairaient déjà avec une efficacité silencieuse.
Chaque regard qu’on lui lançait semblait peser comme une pierre. Mais Jennifer savait qu’elle devait tenir bon.
À midi, alors qu’elle nettoyait le salon sous le regard critique d’une vieille gouvernante, elle entendit des éclats de rire provenant du jardin. Catherine et Lucas étaient là, entourés d’amis triés sur le volet, riant aux dépens des autres.
Jennifer baissa les yeux, mais une voix douce la surprit.
« Ne les laisse pas te toucher. Ils ne valent pas ton énergie. »
Elle se retourna et vit Marie, une autre domestique plus âgée qui lui adressait un sourire réconfortant.
« Merci… » murmura Jennifer.
Marie hocha la tête. « Ici, il faut être forte. Mais aussi rusée. Tu verras que parfois la dignité passe par des chemins inattendus. »
Le soir venu, alors que Jennifer s’apprêtait à quitter les lieux pour rentrer chez elle, elle jeta un dernier regard vers la maison Edison. Ces murs dorés semblaient imprenables, mais quelque chose en elle brûlait d’une flamme nouvelle.
Elle savait que ce premier jour n’était qu’un début un début difficile, peut-être cruel – mais aussi porteur d’espoir.
Je tiendrai bon,se promit-elle silencieusement. Pour moi. Pour ceux qui croient en moi.
Et dans le silence complice de la nuit naissante, Jennifer sentit naître en elle une force insoupçonnée : celle d’une femme prête à briser les chaînes de l’arrogance et à faire tomber les murs dorés de l’injustice.
Le lendemain matin, Jennifer se réveilla avant l’aube. Le chant lointain des oiseaux lui parvenait à travers la fenêtre entrouverte, mais elle n’y prêta guère attention. Son esprit était déjà occupé par la journée qui l’attendait. Elle enfila rapidement une robe simple mais propre, noua ses cheveux en un chignon strict et descendit l’escalier principal, chaque pas résonnant dans le silence de la maison encore endormie.
Dans la cuisine, l’odeur du café fraîchement préparé flottait dans l’air. Marie était déjà là, affairée à disposer les ustensiles avec un soin méticuleux.
« Bonjour, Jennifer », dit-elle d’une voix douce mais ferme. « Prête pour ta première vraie journée ? »
Jennifer hocha la tête, serrant son tablier contre elle. « Oui, même si je sens que ça ne sera pas facile. »
Marie sourit, un sourire qui semblait cacher bien des histoires. « Ici, il faut apprendre à lire entre les lignes. Les murs ont des oreilles, et les silences parfois en disent plus que les mots. »
Jennifer fronça les sourcils, intriguée.
« Tu verras », poursuivit Marie en posant une main rassurante sur son épaule. « Il y a des alliances invisibles, des rancunes anciennes, et parfois… des gestes de bonté inattendus. »
Avant qu’elle ne puisse répondre, la porte s’ouvrit brusquement et Catherine fit irruption dans la pièce, son regard perçant fixé sur Jennifer.
« Tu as intérêt à ne pas traîner », lança-t-elle sèchement. « La famille Edison n’attend pas les retardataires. »
Jennifer sentit son sang se glacer, mais elle garda la tête haute.
« Je ferai de mon mieux, madame », répondit-elle calmement.
Catherine ricana et sortit sans un mot de plus.
Le reste de la journée fut un tourbillon de tâches ménagères, d’observations silencieuses et de petites humiliations à peine voilées. Chaque fois que Jennifer croisait le regard de Lucas ou de Catherine, elle sentait leur jugement peser sur elle comme une ombre oppressante.
Pourtant, au milieu de cette tempête froide, il y eut des moments de lumière. Un sourire furtif échangé avec un autre domestique, une main tendue discrètement pour l’aider à porter un panier trop lourd, un mot gentil murmuré quand personne ne regardait.
Le soir venu, alors qu’elle rangeait les derniers objets dans le salon, Jennifer s’arrêta un instant devant un vieux portrait accroché au mur. C’était celui d’une femme élégante au regard doux mais résolu. Quelque chose dans ce visage lui parla profondément.
« Qui est-ce ? » demanda-t-elle à Marie qui venait d’entrer.
« C’est la première madame Edison », répondit-elle avec respect. « Une femme qui a tenu tête à beaucoup ici. On raconte qu’elle avait un cœur grand comme ça, malgré les apparences. »
Jennifer sentit une bouffée d’espoir l’envahir. Peut-être que cette maison n’était pas seulement faite de froideur et d’arrogance. Peut-être que sous ces murs épais sommeillait encore une part d’humanité.
En quittant la maison ce soir-là, elle se promit de découvrir cette part cachée, coûte que coûte.
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