Chapitre 2: Le sacrifice des invisibles

Il y avait dans l’air une odeur de jasmin trop sucrée, de luxe et de mensonge. La maison était pleine. Des bruits de pas précipités résonnaient dans les couloirs, des cris étouffés fusaient dans les escaliers, et dans un coin du grand salon décoré pour l’occasion, Naelia, immobile, observait l’agitation avec une étrange lucidité.

Ce devait être le plus beau jour de la vie de Liora.

C’était censé l’être.

Mais voilà presque trente minutes que plus personne ne savait où était la mariée. Pas un message, pas un appel, pas un mot laissé sur un bout de papier. Rien. Comme si elle s’était évaporée.

— Elle l’a fait, murmura Naelia, plus pour elle-même que pour les autres.

Elle savait. Liora ne cessait de répéter qu’elle n’aimait pas ce garçon, que ce mariage arrangé n’avait aucun sens, que la robe était trop lourde, que la cérémonie était trop pompeuse, que tout ça n’était qu’un échange de faveurs entre familles. Liora détestait l’idée d’appartenir à quelqu’un. Alors elle s’était envolée. Avec son amour interdit. Avec ses rêves.

Et elle, Naelia, était restée. Encore.

— Comme toujours… c’est moi qu’on oublie.

Jusqu’à ce que la voix stridente de Diane, sa belle-mère, brise cette illusion de silence.

— Naelia !

Naelia sursauta. La robe de satin qu’elle portait n’était pas la bonne. Elle ne portait ni talons ni maquillage. Elle n’était qu’un corps de secours, une ombre en marge de cette famille qui l’avait recueillie mais jamais aimée.

Diane fonça vers elle comme une furie, suivie de deux domestiques et de leur père qui avait visiblement perdu toute contenance.

— Où est Liora ? Tu étais avec elle ce matin !

— Elle… elle ne m’a rien dit. Je croyais qu’elle était dans sa chambre…

— Tu mens ! cria Diane. Tu la couvres ! Tu sais très bien où elle est partie, avec ce vaurien sans nom !

— Je vous jure que je ne—

— Tais-toi.

Un silence tendu tomba. Naelia baissa les yeux. Elle sentait déjà que ce qui allait suivre n’aurait rien d’un dialogue.

Diane se retourna brusquement vers le père des filles.

— On ne peut pas annuler. C’est impossible. Toute la presse est là, les Dervan ont envoyé des représentants politiques ! Ce serait un scandale. Une ruine.

— Je sais, murmura son mari. Mais on ne peut pas marier une fille qui s’est volatilisée…

Diane fixa Naelia. Et soudain, un sourire faux se dessina sur ses lèvres.

Un sourire dangereux.

— À moins qu’on ait une remplaçante.

Le père tourna lentement la tête vers sa fille cadette. Puis, comme s’il comprenait l’idée, il ferma les yeux. Naelia sentit la panique monter dans sa gorge.

— Non. Non non non. Vous plaisantez ? Je ne peux pas…

— Tu peux. Et tu vas le faire.

La voix de Diane était glaciale. Autoritaire. Inflexible.

— Tu es sa sœur. Vous avez presque les mêmes traits. Et surtout… tu n’as pas le choix.

— Mais ce n’est pas moi qu’il va épouser ! Je ne peux pas prendre sa place, ce n’est pas juste, c’est de la folie !

Diane s’approcha lentement, planta ses ongles dans son bras et murmura entre ses dents :

— Ce mariage est stratégique. Tu crois que les Dervan ont proposé cette alliance parce qu’ils étaient amoureux ? Tu crois que ce garçon tient à ce mariage ? Il n’a pas son mot à dire, pas plus que toi. Il va signer, il va sourire pour les caméras, et demain, ce sera oublié. S’il découvre que ce n’est pas Liora, on dira que c’était une crise passagère, une surprise, une réorganisation. On gérera. Mais il faut que tu montes à l’autel.

Naelia tremblait. Son corps refusait. Ses jambes devenaient floues.

— C’est un mariage, pas un défilé. Il va me voir. Il saura.

— Il ne te connaît pas. Il ne connaît personne ici. Et crois-moi, il ne regardera pas longtemps. Ce n’est pas ton visage qui l’intéresse. C’est l’empire de ton père. La signature. Les apparences. Le contrôle. Tu crois que tu comptes ? Tu n’es qu’un pion, et aujourd’hui tu vas servir à quelque chose.

— Maman… essaya de dire doucement Naelia. Je ne suis pas Liora.

— Et alors ?! Tu as toujours vécu à travers elle, pourquoi ce jour serait différent ?

Naelia ne sut jamais vraiment comment elle fut entraînée dans la chambre de Liora. Tout alla très vite. On referma la porte. Une maquilleuse se pencha sur elle, tremblante, sans poser de question. Une coiffeuse releva ses cheveux en chignon. Une domestique sortit la robe de sa housse, cette robe que Liora avait tant haïe, cette cage de tulle et de soie que Naelia allait porter.

Elle voulait dire non. Elle voulait crier, fuir, protester.

Mais elle avait appris depuis longtemps que ses protestations n’étaient que du vent. Elle n’était pas importante. Elle n’était que celle qui remplaçait.

Alors elle ferma les yeux.

Et elle tendit les bras.

La robe glissa sur sa peau avec une lenteur cérémonieuse. Elle était magnifique. Trop grande à certains endroits, mais ajustée à la hâte. La maquilleuse posa des faux cils, du blush, du rouge à lèvres. Le voile fut placé. Les gants ajoutés. Les talons attachés.

Quand Naelia se regarda dans le miroir, elle faillit ne pas se reconnaître.

— Tu es parfaite, murmura Diane derrière elle.

Naelia répondit à peine. Elle était au bord des larmes, mais son maquillage était trop précieux pour pleurer.

L’heure tourna. Les portes s’ouvrirent.

Les invités se levèrent. L’orchestre commença à jouer.

Et Naelia, figée, agrippée au bras de son père, marcha jusqu’à l’allée centrale. Chaque pas sonnait comme un verdict. Chaque regard posé sur elle l’enfonçait un peu plus dans ce mensonge. Elle avait l’impression d’étouffer sous le voile, sous le tissu, sous le poids du silence.

Et lui était là.

Ezran Dervan.

Le fiancé. L’homme que Liora avait fui. L’héritier d’une fortune froide et sans faille. Il se tenait droit, impassible, dans son costume sombre. Beau à couper le souffle. Froid comme l’hiver. Ses yeux se levèrent vers elle.

Il ne sourit pas. Il ne fronça pas les sourcils.

Il la regarda. Longuement.

Naelia sentit ses jambes trembler. Son cœur tambourinait dans sa poitrine.

Et pourtant, il ne dit rien.

Il n’y eut pas un mot.

Pas un soupçon d’étonnement dans son regard.

Elle était là. À la place d’une autre.

Et il semblait s’en moquer.

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