CHAPITRE 1: SOUS LES PÉTALES FANÉS

Dans la vaste maison des Hua, le silence n’était jamais paisible. Il pesait. Il étouffait.

Chaque pas résonnait dans les couloirs comme une faute, chaque regard devenait un jugement.

Et pour Hua Mei, ce silence était devenu une prison familière.

Cela faisait bientôt une semaine. Une semaine que sa mère n’avait pas quitté sa chambre, alitée, affaiblie par des années de mépris et d’humiliation. Une semaine que les préparatifs du mariage occupaient toute la maisonnée… sans qu’aucune main ne vienne effleurer la sienne.

— « Tu vas quand même pas porter ça, j’espère ? »

La voix moqueuse de Hua Lian fusa, tandis que Hua Mei, agenouillée dans la cour, tenait entre ses doigts un tissu pâle. Sa demi-sœur passa à côté d’elle avec grâce, son ombrelle glissant sur son épaule comme une extension de sa suffisance.

— « Je… Je pensais que cela irait bien avec… »

— « Ce tissu est fade. Comme toi. »

Elle rit, doucement, hautaine, avant de disparaître dans l’allée pavée.

Hua Mei baissa les yeux. Elle ne pleurait plus. Cela faisait longtemps que les larmes avaient perdu leur pouvoir dans cette maison.

Les servantes passaient devant elle sans même la regarder. Elle était invisible.

Pourtant, c’était elle qui allait se marier. C’était elle, la future épouse du deuxième fils de la noble famille Zhang.

Et malgré les coups, les humiliations, les mots blessants soufflés derrière des éventails de soie, elle s’y accrochait.

À ce mariage. À ce rêve.

Peut-être… peut-être qu'une fois mariée, elle pourrait enfin quitter cette maison. Peut-être que son futur mari la regarderait, lui parlerait avec douceur, la traiterait comme une épouse… pas comme une erreur.

Chaque soir, elle brodait en silence dans un coin de la bibliothèque, rêvant à ce visage qu’elle connaissait à peine.

Zhang Liyang.

Elle se souvenait vaguement de lui : quelques échanges formels, des lettres brèves, protocolaires.

Un sourire poli, un regard distant.

Et pourtant… son cœur s’était attaché à ce peu.

Elle s’était convaincue qu’il ne pouvait être que meilleur que les autres.

Elle voulait y croire.

Mais les jours qui passaient semblaient se moquer de son espoir.

À peine s’approchait-elle de la salle principale qu’une des vieilles servantes lui lançait, d’un ton sec :

— « Dégage de là. Tu salis le parquet avec ta poussière. »

Sa robe était pourtant propre.

Mais ses genoux portaient encore la trace des coups de la veille.

Hua Lian avait renversé un vase et, d’un simple mensonge, l’avait accusée.

La belle-mère n’avait pas hésité. Une gifle. Un mot glacial. Et le tour était joué.

Et son père ?

Absent.

Comme toujours.

Le soir, elle rejoignait sa mère, la seule à lui offrir encore une tendresse sincère.

Mais même là, le poids de l’injustice n’épargnait pas leur fragile bulle.

— « Tu dois être forte, Mei’er… » lui murmurait-elle, d’une voix brisée. « Il suffit d’atteindre le jour du mariage. Ensuite, peut-être… la lumière. »

C’est cette phrase qui la portait.

Et lorsque les lanternes commencèrent à orner les couloirs, lorsque la grande porte fut drapée de soie rouge et d’inscriptions de félicité, son cœur accéléra.

Elle ne sentait plus la douleur de ses côtes ni les courbatures de ses mains.

Elle allait se marier.

Elle allait enfin quitter cette maison.

Le jour tant attendu arriva.

Le soleil s’était à peine levé sur la capitale que déjà, la résidence Hua vibrait d’une agitation feutrée.

Les rideaux de soie ondulaient sous la brise matinale, laissant filtrer une lumière dorée sur les murs de jade pâle.

Une douce odeur de bois de santal flottait dans l’air, mêlée au parfum subtil des pivoines, disposées dans chaque recoin de la demeure.

Tout le monde murmurait depuis des mois : la fille aînée de la première épouse Hua allait se marier.

Assise devant son miroir de bronze finement ciselé, Hua Mei observait son reflet comme on contemple une étrangère.

Ses longs cheveux noirs, lavés à l’eau de riz, avaient été tressés avec une infinie patience.

Des épingles en or blanc, incrustées de pierres translucides, retenaient sa coiffure noble et discrète — tout comme elle.

Sa robe, d’un rouge profond, était brodée à la main des motifs propres à sa famille : fleurs de prunier, symbole de résilience, entrelacées de fil argenté.

C’était l’œuvre de son père, Hua Zhenyan, grand maître couturier, dont l’art était reconnu jusqu’aux provinces frontalières.

Bien que distant et souvent absent, il avait tenu à créer lui-même la tenue de sa fille aînée — ultime preuve silencieuse d’une affection jamais dite.

— « Tu es magnifique, Meimei… » murmura une servante derrière elle.

Mais Hua Mei ne répondit pas.

Son cœur battait lentement, comme si chaque pulsation s’imprimait dans sa poitrine à l’encre d’un destin déjà écrit.

Elle n’était pas nerveuse, ni heureuse.

Elle était… résignée.

Depuis un an, les fiançailles avec Zhang Liyang, le deuxième fils de la puissante famille Zhang, avaient été annoncées.

Et depuis un an, elle s’était laissée bercer par l’idée qu’un avenir meilleur l’attendait.

Elle avait appris à aimer cet homme — ou du moins, ce qu’elle croyait voir en lui.

Quelques sourires. Quelques gestes polis.

Tout cela lui semblait précieux, comme une lumière fragile dans l’obscurité de son quotidien.

Mais Hua Mei ne savait pas.

Elle ne savait pas que, derrière ces regards feutrés et ce visage avenant, se cachait une vérité bien plus cruelle.

Que Zhang Liyang, en secret, partageait déjà sa couche… et ses promesses… avec une autre.

— « Le destin des femmes est tissé par les mains d’autres. » lui disait souvent sa mère, avec un sourire douloureux.

Et Hua Mei, docile, avait suivi le fil tendu devant elle.

Jamais elle n’avait élevé la voix.

Même lorsque Hua Lian l’assaillait de mots tranchants comme des lames.

Même lorsque les coups étaient cachés derrière des gestes “bienveillants”.

Même lorsque les sourires de sa demi-sœur ressemblaient à des crocs.

Tout cela, elle l’avait accepté.

Elle croyait que tout changerait après le mariage.

Qu’en devenant épouse, elle deviendrait enfin quelqu’un.

Qu’on l’aimerait.

Qu’on la respecterait.

Une larme silencieuse roula sur sa joue.

Elle l’essuya, sans même y prêter attention.

Aujourd’hui devait être un jour heureux.

Il ne fallait pas pleurer.

Au-dehors, les sabots des chevaux foulaient le sol de pierre.

Les domestiques accouraient. Les musiciens accordaient leurs instruments.

Quelqu’un cria dans la cour :

— « Le cortège de la famille Zhang approche ! »

Hua Mei se leva lentement. Son cœur s’emballa.

Elle ferma les yeux un instant, répétant intérieurement :

Tout va bien se passer.

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Lucie Nkenos

Lucie Nkenos

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2025-07-29

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