Quand je suis arrivée à Saint-Ange, j’avais le pressentiment que je n’allais pas aimer cet endroit.
Je ne parle pas du bâtiment – grand, froid, imposant comme tous les pensionnats privés.
Mais il y avait quelque chose dans l’air.
Comme si cet endroit respirait lentement, sous la surface. Comme si… il attendait.
Ma chambre était au 3e étage, dortoir D.
Six lits superposés, des draps trop blancs, des rideaux qui grincent.
Je me suis installée sans bruit. Les autres filles me regardaient sans dire un mot.
C’est Yuna qui m’a adressé la parole la première. Elle avait une voix douce, presque cassée.
Yuna
Tu prends le lit du fond ?
Naëlle
Oui
Elle s’est penchée vers moi.
Yuna
Ne dors pas face au mur. Jamais. Tu comprends ?
Je n’ai pas répondu. Je croyais à une blague.
Le lendemain, Camille, la fille qui occupait ce lit avant moi, avait disparu.
Personne ne savait ce qui s’était passé.
Les adultes évitaient les questions.
L’infirmière, que je n’avais jamais vue avant, nous a dit qu’elle avait été « retirée pour raisons familiales ».
Mais son armoire était encore pleine. Sa brosse à dents encore humide.
Le soir, dans le couloir, on a commencé à parler.
Une fille disait avoir vu Camille sortir dans la nuit, sans manteau.
Une autre avait entendu des pas sur le toit, des rires étouffés.
C’est là que j’ai rencontré les autres.
Elles étaient une dizaine, assises dans une pièce cachée derrière la bibliothèque.
Des coussins par terre, des bougies volées, un tableau couvert de noms.
Le nom Camille était inscrit, entouré de rouge.
Maya dirigeait la réunion. Sérieuse, concentrée.
Siham faisait des blagues.
Jade fixait la porte avec inquiétude.
Chloé, la gentille, m’a souri. Trop gentille, trop douce.
Lila prenait des photos en cachette.
Et dans un coin de la pièce…
Une fille était debout.
Grande. Mince. En uniforme noir parfaitement repassé.
Un katana attaché dans son dos.
Et surtout :
Les yeux fermés.
Toujours.
Ranya
C’est elle, Elle vient souvent ici. Mais elle parle jamais.
Naëlle
Pourquoi elle garde les yeux fermés ?
Léna
Tu préfères pas savoir
Quand quelqu’un a mentionné l’ombre dans les douches, la fille au katana a levé la tête.
Elle s’est avancée sans bruit.
Et elle a dit d’une voix basse, calme, presque lasse :
????
Ce n’est pas la première fois que ça recommence
Elle a ouvert les yeux.
Et je t’assure…
Il n’y avait rien. Juste du blanc.
Pas de pupilles. Pas de vie. Pas de lumière.
Elle était aveugle.
Mais elle voyait plus que nous tous.
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