Le Silence De Mila
Mila avait 16 ans et ne parlait plus depuis trois ans.
Pas parce qu’elle ne pouvait pas. Parce que le monde n’écoutait jamais.
Chaque jour, elle entrait au lycée comme une ombre. Invisible. Silencieuse. Elle voyait tout : les regards fuyants, les moqueries qui glissent comme des lames, les gestes brusques qu’on appelle des jeux. Mais personne ne voyait Mila. Elle notait tout dans un carnet noir, abîmé sur les bords, qu’elle cachait sous son matelas. C’était sa voix, ce carnet. Son cri.
Chez elle, sa mère, Julia, l’aimait d’un amour épuisé. Elle parlait pour deux, depuis ce jour où Mila avait cessé de répondre. Depuis cette nuit de cris, de verre brisé, et d’une porte qui ne s’est jamais rouverte.
Julia posait parfois la main sur l’épaule de sa fille, sans attendre de réponse. Elle se contentait d’être là. Présente. En silence, elle aussi. Parce qu’il y a des douleurs qu’aucun mot ne sait traduire.
À l’école, les professeurs ne savaient plus quoi faire. Les psychologues avaient proposé des mots, des diagnostics, des étiquettes. Mais rien n’avait brisé la bulle dans laquelle Mila vivait.
Jusqu’à ce que M. Karim arrive.
Nouveau, jeune, différent. Il parlait peu, regardait beaucoup. Il avait cette façon rare d’écouter, même le silence.
Un matin, il posa une feuille blanche sur chaque bureau.
— Écrivez-moi quelque chose que personne ne vous a jamais laissé dire, dit-il.
Mila resta figée. Tout son corps voulait fuir. Mais sa main s’ouvrit. Elle sortit son carnet noir, le posa devant elle. Et écrivit :
"J’ai crié en silence. Mais personne n’a entendu."
M. Karim lut son mot. Il ne parla pas. Ne demanda rien. Il lui rendit simplement la feuille, avec ces mots écrits en dessous :
"Je t’ai entendue."
Ce soir-là, Mila pleura. Sans bruit. Pas de douleur. Juste du soulagement.
Le lendemain, elle entra en classe. Et pour la première fois en trois ans, elle parla.
— Bonjour.
Un simple mot. Mais le monde s’arrêta une seconde. Les élèves se tournèrent. Le silence était devenu plus fort que mille cris.
M. Karim répondit, calme :
— Bonjour, Mila.
Ce fut tout. Et ce fut assez.
Les jours suivants, elle continua. Un mot par-ci. Une phrase par-là. Elle redécouvrait sa voix comme on retrouve un trésor perdu. Elle la testait, doucement. Avec prudence.
À la pause, certains la regardaient avec étonnement, d’autres avec peur. Un garçon lança :
— T’as retrouvé ta langue, la muette ?
Mila leva les yeux. Ne baissa pas la tête. Sa voix était calme, mais tranchante :
— Et toi, tu vas la perdre si tu continues à parler comme ça.
Le silence, cette fois, n’était pas le sien. Il était à eux.
Plus tard, une fille l’aborda timidement. Elle s’appelait Nour. Elle dit juste :
— Merci d’avoir parlé.
Et Mila comprit que parfois, une seule voix peut ouvrir la porte à d’autres.
Le soir, elle écrivit :
"Ma voix est petite. Mais elle est à moi. Et maintenant, elle fait du bruit."
***Téléchargez NovelToon pour profiter d'une meilleure expérience de lecture !***
Comments