Les échos du passé

Chapitre 2

Le lendemain matin, Édith se leva avant l’aube, l’esprit toujours lourd des révélations de la veille. Elle ne pouvait pas se permettre de rester dans l’incertitude. Il lui fallait des réponses, et pour cela, il fallait comprendre cet arbre, ce chêne vieux de plusieurs siècles qui semblait porter les poids du temps et des secrets du village. La brume matinale enveloppait le village de Wuzhen, rendant chaque pas d'Édith plus solennel, comme si le monde entier se taisait, attendant la suite.

Le cimetière se trouvait à quelques pas de la maison familiale. Les pierres tombales, anciennes et marquées par les années, se dressaient en rangées silencieuses, chacune portant les noms et les histoires des ancêtres. Édith se dirigea droit vers le chêne, son cœur battant plus fort à mesure qu’elle approchait. Le tronc rugueux, couvert de mousse, semblait presque l’attendre, prêt à livrer ses secrets.

Elle toucha le tronc, cette fois plus lentement, comme si elle espérait quelque chose de nouveau, de plus fort. Mais rien ne se produisit. Pas de sensation de ralentissement du temps, pas d’écho d’une mémoire oubliée. Le silence était complet, oppressant. Pourtant, quelque chose dans l’air, un frémissement imperceptible, lui faisait comprendre que l’arbre savait qu’elle était là, que ce contact était différent de tous les autres.

Elle s’assit au pied de l’arbre, les jambes repliées sous elle, et ferma les yeux. Son esprit dériva rapidement vers les paroles de la mystérieuse femme qu’elle avait rencontrée la veille. « Le secret est déjà écrit dans les racines de cet arbre », avait-elle dit. Édith se demandait si cette vérité était liée à cette ancienne promesse faite entre les villageois et l’arbre. Étienne l’avait-il su ? L’avait-il compris avant de se rendre à l’arbre pour la dernière fois ?

Au moment où elle rouvrit les yeux, une silhouette se dessina à l’horizon, juste au bord du cimetière. Une silhouette familière. C’était la vieille Marguerite, la bibliothécaire du village, une femme aux cheveux blancs, qui semblait connaître toutes les histoires, tous les secrets. Elle s’avançait lentement vers Édith, son visage marqué par les années, mais ses yeux restaient vifs, toujours curieux, comme ceux d’une jeune fille.

« Vous avez touché l’arbre, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle, sa voix basse et grave.

Édith hocha la tête, surprise par la question directe, mais quelque chose dans le regard de Marguerite lui donna l'impression qu’elle savait déjà tout.

« Je sais ce que vous cherchez, Édith. » La vieille femme se baissa lentement pour s'asseoir à côté d'elle, sans hésiter, comme si le lieu ne lui était pas étranger. « Ce que vous cherchez, ce n’est pas juste l’histoire de votre grand-père, c’est l’histoire du village. »

Édith la regarda, interdite. Marguerite semblait avoir une compréhension profonde de ce qu'elle ressentait, et peut-être même de ce qu’elle cherchait. « Vous en savez plus sur cet arbre ? » demanda-t-elle enfin.

Marguerite lui sourit, un sourire triste, presque mélancolique. « Bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. Mais tout est lié, Édith. L’arbre, votre grand-père, ce pacte. C’est une histoire de sacrifice, de mémoires volées… mais aussi de survie. »

Édith se leva brusquement, la tension montant dans sa poitrine. « Que voulez-vous dire par là ? »

Marguerite soupira profondément et leva les yeux vers l’arbre, comme si elle attendait une réponse du chêne lui-même. « Chaque génération a fait ce pacte, mais à quel prix ? Votre grand-père, Étienne, n’a pas échappé à cette règle. Ce qu’il a oublié, ce qu’il a sacrifié… vous devez savoir ce qu’il en reste. »

Édith sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. La vérité commençait à se dessiner, et elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais revenir en arrière.

Édith ne pouvait détacher son regard de Marguerite, qui semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. Les mots de la vieille femme flottaient dans l’air autour d’elle, pesant lourdement sur ses épaules. Elle se sentit submergée, comme si la terre sous ses pieds se dérobait peu à peu. Le cimetière, avec ses tombes et ses arbres silencieux, devenait un lieu aussi étranger que familier, un endroit où les secrets du passé se mêlaient aux murmures du présent.

Marguerite se leva lentement, ses gestes empreints de cette sagesse qui ne semblait pas d’origine humaine, mais d’un temps beaucoup plus ancien. « Vous ne savez pas tout, Édith. Cet arbre ne retient pas seulement les souvenirs des vivants. Il conserve aussi ceux des morts, de ceux qui l’ont touché avant. Et chaque souvenir qu’il garde, chaque vie sacrifiée, a un impact. Pas seulement sur la personne qui a fait le sacrifice, mais sur le village tout entier. »

Édith se sentit étouffer. « Mais pourquoi ? Pourquoi avoir fait cela ? Pourquoi Étienne… Pourquoi n’a-t-il jamais parlé de ce pacte ? »

Marguerite baissa la tête, ses yeux pleins de tristesse. « Parce qu'il n'avait plus de choix. » Elle marqua une pause avant d’ajouter : « Le pacte, vous voyez, n’a pas été fait volontairement au départ. C’était une nécessité, une solution trouvée dans l’urgence, dans un moment de grande souffrance. »

Elle se tourna vers l’arbre, comme si elle parlait à une vieille connaissance. « Il y a bien longtemps, ce village a été frappé par une épidémie terrible. Toute une génération a été décimée. Les ancêtres ont consulté les sages et les chamanes, mais personne ne trouvait de remède. C’est alors qu’un vieil homme, un ermite, leur parla de l’arbre. Il leur dit que, si l’on faisait un pacte avec l’arbre, un prix devait être payé en échange de la guérison. »

Édith écoutait attentivement, les yeux fixés sur Marguerite. La vieille femme n’avait pas dit un mot depuis un moment, mais son regard était lointain, perdu dans les souvenirs de son propre passé.

« Cet arbre a donné sa bénédiction au village, mais à un prix que peu comprenaient alors. Les mémoires, les souvenirs, les vies. Chaque année, une personne touchait l’arbre et y déposait une portion de sa propre existence. La communauté grandissait, les récoltes étaient abondantes, les malheurs s’éloignaient. Mais à chaque touchement, la vie de celui qui le touchait diminuait d’un mois. Ce cycle s’est installé sans qu’on en parle. Les gens ne savaient pas vraiment ce qu’ils donnaient, mais ils savaient que tout allait mieux, et que personne ne mourrait. »

Édith frissonna. Le pacte avait été passé, mais le prix payé était insidieux, invisible. « Et Étienne ? Pourquoi a-t-il caché tout cela ? »

Marguerite ferma les yeux un instant, puis posa une main sur l’épaule d’Édith. « Parce qu’il a vu. Il a vu ce qui se passait à ceux qui touchaient l’arbre. Il a vu leur vie se réduire comme un sable qui coule dans un sablier. C’est pour ça qu’il est parti en ville. Il pensait que, loin de l’arbre, il échapperait à cette malédiction. Mais il était déjà trop tard. »

Les mots de Marguerite résonnèrent dans l’esprit d’Édith comme un glas. Étienne n’avait jamais cherché à fuir la malédiction, il avait cherché à comprendre comment il pouvait l’arrêter. Mais la vérité était là, bien ancrée dans les racines du vieux chêne.

Marguerite se tourna à nouveau vers l’arbre. « La mémoire de votre grand-père est maintenant en lui. Et maintenant, c’est à vous de décider. »

Édith sentit une lourdeur s’abattre sur elle. « Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda-t-elle, la gorge serrée.

Marguerite la regarda profondément. « Le cycle doit se poursuivre, ou il s’effondrera. L’arbre doit recevoir une mémoire chaque année. Sinon, il perdra sa force et le village sera à nouveau frappé par la malédiction d’autrefois. Vous devez choisir : révéler ce secret et arrêter ce cycle de sacrifices, ou le protéger et accepter de faire face à ce que vous ne pouvez pas encore comprendre. »

Les mots durs de Marguerite étaient une sentence, une vérité trop lourde à porter. Édith sentit un tourbillon d’émotions l’envahir, mais elle savait au fond d’elle que, comme pour son grand-père, il n’y avait pas d’échappatoire. Le pacte était là, tissé dans la toile de la vie du village.

Elle se tourna vers l’arbre. Là, au centre de ce lieu qui avait vu naître tant de vies et de morts, elle comprenait enfin. L’arbre n’était pas seulement un témoin, il était le gardien du passé et de l’avenir de Wuzhen.

Elle se pencha lentement et toucha à nouveau le tronc, fermant les yeux. À cet instant, elle sentit une étrange chaleur l’envahir, comme si l’arbre elle-même la reconnaissait. Un murmure se fit entendre dans l’air, léger mais distinct : « La vérité est en vous, Édith. Vous êtes l’héritière des mémoires. »

Le poids de l’histoire, des sacrifices et des vies passées, se fit plus lourd. Édith savait que, quel que soit son choix, il marquerait à jamais son destin. Et celui du village.

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