Notre Secret
C'est une de ces soirées d'automne dont la fraîcheur vivifiante vous donne l'impression que l'air vibre de possibilités - que tout pourrait arriver .
Depuis l'endroit où nous nous tenons sur la piste de jogging , ma soeur et moi voyons toute la ville s'étendre à nos pied . À l'autre bout de Greensburg , des gens font la fête dans la lumière déclinante du crépuscule, des corps se pressent sous une immense tente, et le vent apporte le son de leur voix jusqu'à nous.
...- Ah, Oktoberfest au Yellow Moon, me dit ma soeur en plissant les yeux les yeux et en se redressant sur la pointe des pieds dans ces ballerines éculés - comme si, en observant la fête assez longtemps, elle pouvait absorber une partie de l'excitation presque électrique qui émane de la foule....
Elle me regarde, son visage à moitié plongé dans l'ombre par la nuit qui approche.Ses lèvres sont ourlées d'un trait de crayon écarlate et peintes avec du gloss cerise.
- Tu n'aimerais pas y aller ?
^^^J'entortille une longue mèche rousse autour de mon index en réfléchissant. Non loin de nous, quelqu'un fume une cigarette. Je ne le vois pas, car la pénombre le dissimule, mais je sens l'odeur de sa clope. Il doit se trouver assez près pour nous entendre. Je souris à ma soeur.^^^
- Nous n'avons que dix-huit ans. Nous ne pouvons pas boire d'alcool, Alice
Elle me rend mon sourire.
- Tu sais bien qu'on s'en fout.
Nous avons de fausses cartes d'identité, et même si ça n'était pas le cas, Doug le barman ne nous refoulerait pas. Ma soeur et moi travaillons comme serveuses au Yellow Moon plusieurs soirs par semaine.
J'objecte :
- Ça ne marcherait pas. Tout le monde nous connaît. La moitiée du patelin doit être là. Si on se soûlait, on risquerait d'avoir des ennuis.
Nous nous sommes arrêtées pour observer les lumières de la ville. Dans la lueur argentée de la lune, ma soeur semble prête à tout : calme, pleine d'assurance, les joues rosies par l'excitation.
-Attend, lui dis-je. Tes yeux.
Elle bat des cils.
-Quoi, mes yeux ?
Une famille nous dépasse : la mère, le père et une fillette qui ne doit pas avoir plus de quatre ans.Trois ballons violets gonflés à l'hélium sont attachés à son poignet ; ils oscillent doucement dans le noir au rythme de ses pas. Ses baskets rose et blanc sont couvertes de la poussière de la piste.
Les parents s'arrêtent pour nous regarder. Ma soeur et moi nous tenons face à face. Chacune à planté son regard dans celui de l'autre, et quelque centimètres à peine séparent nos nez identiques. Nos pupilles sont dilatées ; l'espace entre nous semble bourdonner d'une énergie invisible.
La mère porte un corsaire et un débardeur rouge, alors qu'il fait assez frais pour ne plus sortir sans veste. Elle tient le main de sa fille, l'air fatigué mais heureuse.
- On ne voit pas ça tous les jours, commente-t-elle en nous dévisageant dans la pénombre. Vous êtes de vraie jumelles, non ?
Je ne détache pas mon regard de ma soeur. Un doux sourire plisse le coin de ses yeux.Elle est la personne au monde que je préfère. Ce soir, même nos souffles semblent synchrones. J'acquiesce.
-Si.
La mère s'agenouille près de sa fille.
-Regarde, ma chérie,ce sont de vraies jumelles.
Elles sont identiques.
Elle a raison malgré nos tenues différentes, et même si ma soeur est très maquillée alors que j'ai mis juste un peu de poudre et de blush, personne ne pourrait douter que nous formons une paire.
La fillette nous scrute,bouche bée. Nous lui sourions toutes les deux. Elle reporte son attention sur ses parents.
- Je veux rentrer à la maison.
On dirait qu'elle va se mettre à pleurer.
Son père et sa mère nous jettent un coup d'oeil embarrassé.
- Ah, les gamins, dis le père avec une grimace d'excuse.
Je frissonne en voyant qu'il a les dents jaunes et de travers. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose en lui me retourne l'estomac.
Tandis qu'il s'éloigne avec sa famille, j'ai l'impression que la terre tangue sous mes pieds, que tout ce qui m'entoure se décale d'une fraction de centimètre.
Je sens toujours l'odeur âcre et toxic de la cigarette, qui me donne envie de prendre mes jambes à mon cou.
Entraînée par ses parents, la fillette nous jette un coup d'œil par-dessus son épaule. On dirait qu'elle a peur. Mais de quoi : de nous ?
- Je crois qu'on lui a fou tu la trouille, chuchote ma soeur. (Elle glousse.) Nous sommes des monstres.
L'obscurité s'appaisit de seconde en seconde. Je réplique :
- Nous ne sommes pas des monstres. Laisse moi t'arranger les yeux.
Elle fouille dans son sac et me tend un tube d'eye-liner noir. Je le débouche en ordonnant :
-Ne bouge pas, Alice. Regarde les étoiles .
Elle pose ses petites mains sur mes épaules pour se stabiliser. À présent, nous sommes si proches que je vois palpiter la veines sur son cou, que je sens la chaleur de son souffle sur mon visage.
D'un geste sûr, je souligne à nouveaux ses yeux d'un trait noir. Même quand j'atteins le coin interne et que le bout du pinceau touche presque son conduit Lacrymal, ma soeur ne cille pas. J'annonce :
-Voilà. Fini .
Dans son sourire, je décèle une pointe d'anxiété.
-À quoi je ressemble ? demande-t-elle.
Je sens toujours l'odeur de la cigarette. Le couple et sa fille ne sont plus que trois silhouettes noires qui se découpent à l'horizon et rétrécissent davantage à chaque pas. Bientôt, ils franchiront un virage et disparaîtront tout à fait.
Je n'aime pas que nous soyons seules dans cet endroit, si près du mystérieux fumeur qui nous observe peut-être.
...A suivre...
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