Elle était née d’un vœu fragile, celui d’un couple déjà voué à l’échec.
Pour sa mère biologique, elle ne fut que le stigmate d’une erreur de jeunesse ; pour sa tante stérile, elle devint le miracle inespéré, l’enfant qu’elle n’avait jamais pu porter.
Quand son père adoptif , elle fut le dernier éclat d’amour qu’il restait à offrir, avant que la trahison n’éteigne, dix ans plus tard, les cendres de son mariage.
Arrachée trop tôt à l’innocence, Lara grandit sous la protection austère de sa grand-mère maternelle, jusqu’à l’âge de sa majorité. Puis, animée par une soif d’avenir, elle choisit de s’éloigner. Elle rejoignit une école de management et d’innovation technologique, espérant que ses efforts éveilleraient non seulement l’intérêt, mais aussi l’amour de Carlos le premier homme qui avait su briser ses défenses et faire naître en elle un sentiment d’une sincérité rare.
Mais ce qui aurait pu être une histoire d’amour devint une blessure. Leur relation, gangrenée par la désillusion, marqua son cœur d’un sceau indélébile. Depuis, Lara se méfiait des hommes autant qu’elle les rejetait, son âme entachée par ce goût amer laissé par l’amour trahi.
Et pourtant… Après trois années de lutte acharnée, elle réussit à décrocher une bourse d’études à l’étranger, dans le pays de ses rêves et au sein d’une école prestigieuse. Elle crut, un instant, que la vie lui offrait enfin une rédemption. Mais le destin, lui, n’avait pas dit son dernier mot.
La France fut exactement comme elle l’avait toujours imaginée : un pays de contrastes où chaque rue semblait raconter une histoire, où les pierres anciennes chuchotaient des siècles de gloire et de douleur. Elle découvrait les cafés aux terrasses bruissantes de conversations, les boulevards illuminés où l’on se perdait comme dans un rêve, et ces musées dont les toiles semblaient lui ouvrir les portes d’un autre monde. Pour Lara, c’était un rêve éveillé, une échappée hors de ses blessures.
L’université qu’elle avait intégrée figurait parmi les meilleures du pays. Passionnée par les relations internationales, elle se plongea dans l’histoire, la culture et l’apprentissage des langues étrangères. C’était pour elle une porte ouverte vers d’autres horizons, un souffle d’ailleurs qui nourrissait sa quête d’évasion. Mais au fil de ses choix, elle trouva sa voie dans la communication : d’abord fascinée par l’art de transmettre et de comprendre, elle s’orienta finalement vers la communication numérique et le management de projet, un domaine où elle pouvait allier créativité et stratégie.
Toujours active, Lara enchaînait les petits boulots dès sa première année universitaire. Elle savait qu’elle ne pouvait compter que sur ses propres forces. Elle travaillait sans relâche, car au-delà de ses propres besoins, elle portait aussi le fardeau de sa famille. Sa mère, déjà épuisée par la vie, assumait encore les frais de scolarité de Daniella et Grey, les enfants de sa sœur biologique. Alors, pour Lara, le travail était vital non seulement pour survivre, mais pour alléger un peu le poids que sa mère portait seule depuis trop longtemps.
C’est ainsi qu’elle rejoignit « MillerTech » une entreprise gigantesque, l’un des piliers du numérique dans le pays. Intégrer une telle société était, pour elle, comme toucher une part de son rêve. Mais ce rêve, aussi lumineux qu’il paraissait, se teinta vite d’ombres dès qu’elle croisa le chemin de Monsieur Miller…
Pourtant, en elle brûlait une farouche espérance : celle d’une vie meilleure. C’est avec ce feu intérieur qu’elle quitta son pays pour rejoindre Bordeaux-Montaigne, en France, afin de poursuivre des études en Relations internationales. Son cursus dans son pays lui permit malgré tout de suivre, en parallèle, un parcours en communication numérique et en management de projet.
Lorsqu’elle arriva sur le campus, l’accueil institutionnel fut chaleureux. Mais la réalité de sa vie étudiante se révéla tout autre. Sa camarade de chambre, Camie, se montrait hostile et méprisante, marquée par un racisme à peine voilé. Être rejetée n’était pourtant pas une nouveauté pour Lara — elle en avait presque fait une habitude. Après tout, même le seul homme qu’elle avait aimé l’avait rejetée sans détour, prétendant l’aimer « pour son fils ». Mais Lara n’était pas naïve : cet amour n’avait jamais été destiné à son enfant, mais à Jessica, la femme qu’il avait toujours désirée. Et pour elle, il n’avait pas hésité à piétiner deux années de relation, brisant ce qui avait été, pour Lara, son premier vrai attachement.
La vie en France lui révéla également une autre dure vérité : ses besoins quotidiens dépassaient largement ce que sa bourse pouvait couvrir. Et il lui fallait, en plus, honorer la promesse qu’elle s’était faite d’aider sa mère à financer la scolarité de ses frères et sœurs. Alors, elle n’eut d’autre choix que de chercher du travail. Elle accepta d’abord quelques emplois précaires — serveuse ici, vendeuse là — tout ce qui pouvait lui permettre de survivre.
Chaleureuse, sociable, agréable, Lara finit par trouver une certaine stabilité en travaillant dans un café proche de l’université. Le salaire, certes modeste, couvrait ses besoins les plus urgents. Mais au fond d’elle, elle savait que ce n’était qu’un palliatif, bien loin de ses véritables ambitions.
C’était un vendredi comme tant d’autres, un jour banal dans l’odeur du café chaud et les murmures des amoureux qui s’attardaient en terrasse.
Lara, habituée à ses routines de service, s’affairait avec la grâce discrète de ceux qui ont appris à se fondre dans le décor.
— Lara, mon enfant !appela Pierre, son patron, avec sa voix un peu rauque. Tu peux prendre la commande de la terrasse ? Hani n’est pas encore revenue de sa pause.
Elle s’avança alors, un plateau entre les doigts, son sourire de façade accroché comme une armure fragile.
— Bonjour, dit-elle doucement. Qu’est-ce que je peux faire pour vous, mademoiselle ?
Un silence bref, puis une voix éclata, pleine de surprise acide :
— Salut Lara... je ne savais pas que tu travaillais ici.
Elle leva les yeux. Camie. La coïncidence avait un goût amer, presque cruel.
— Salut, Camie. Oui, je travaille ici. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Mais déjà, Camie s’était détournée vers ses amis, l’air complice, presque venimeux. Et d’une voix basse, mais volontairement audible, elle lâcha :
— Alors... c’est elle, ta coloc de Mada ? Oh, je savais que les Malgaches étaient pauvres... mais pas à ce point.
Un rire étouffé s’ajouta, venimeux comme un souffle froid.
— Malgré la bourse, tu dois encore travailler ? souffla une autre, les lèvres recourbées en un sourire cruel.
Lara sentit le poids de leurs mots s’enfoncer comme des aiguilles. Mais au lieu de vaciller, elle releva la tête. Ses yeux brillèrent, non de larmes, mais d’une étrange intensité, quelque chose entre la douleur et la fierté. Et d’un sourire lumineux, presque désarmant par sa sincérité, elle répondit :
— Oui, mademoiselle. Alors... quel café souhaitez-vous ?
Son ton était léger, presque chantant, mais dans son regard, il y avait ce feu farouche qu’aucune humiliation ne pouvait éteindre.
À ce moment précis, une ombre glissa sur la terrasse.
Hani venait de revenir de sa pause. Son allure, toujours un peu mystérieuse, semblait trancher avec l’insouciance bruyante de la bande attablée. Ses cheveux noirs encore humides d’un souffle de vent, ses yeux d’un vert sombre, et cette façon de marcher — lente, presque prédatrice.
Il s’arrêta derrière Lara, assez près pour que sa présence impose le silence un instant. Ses amis ricaneurs se figèrent, troublés malgré eux.
— Tout va bien, Lara ?demanda-t-il d’une voix basse, presque caressante, mais où vibrait une menace glaciale pour quiconque oserait répondre à sa place.
Lara ne bougea pas, son sourire toujours figé comme une barrière.
— Oui… je prends juste leur commande.
Hani posa sa main sur le dossier de la chaise la plus proche, ses doigts effleurant le bois comme s’il mesurait la solidité de la scène — ou celle des gens qui s’y trouvaient. Puis son regard se planta dans celui de Camie, un regard lourd, dérangeant, presque trop intense.
— Alors faites votre choix, mesdames, dit-il avec une politesse glacée. Le café n’attend pas, et Lara a mieux à faire que de supporter vos… bavardages.
Camie détourna les yeux, soudain mal à l’aise. Ses amies, qui ricanaient encore une minute plus tôt, avaient retrouvé un mutisme nerveux.
Lara, elle, sentait le trouble grandir dans sa poitrine. Hani… toujours ce mélange déroutant de protection et de danger. Elle ne savait jamais s’il était son bouclier ou une autre forme de tempête prête à s’abattre.
Camie toussota, gênée. Ses doigts jouaient nerveusement avec la cuillère encore vide devant elle.
— Un cappuccino… s’il te plaît, finit-elle par dire, la voix moins assurée.
Ses amies suivirent, l’une demandant un latte, l’autre un simple café noir. Les mots tombaient, lourds, sans la désinvolture d’il y a quelques minutes. Lara les nota d’un geste rapide, son sourire poli toujours en place. Elle sentait la tension qui vibrait autour d’elle, comme une corde tendue prête à se rompre.
— Très bien, dit-elle calmement. Vos commandes arrivent.
Elle se tourna alors vers la cuisine, son plateau serré contre elle comme un bouclier. La brume des conversations de la terrasse se referma derrière son dos, mais elle percevait encore ce silence froid laissé par l’intervention d’Hani.
Derrière elle, il la suivit du regard, ses yeux verts voilés d’une intensité qu’il ne montrait à personne d’autre. Il ne dit rien. Mais dans sa posture, il y avait cette façon d’affirmer silencieusement : tant que je suis là, personne ne t’atteindra.
En cuisine, Lara déposa les bons de commande, échangea quelques mots brefs avec le barista, puis inspira profondément. Elle voulait se débarrasser de ce tremblement intérieur, ce mélange amer de honte et de gratitude.
Quand elle ressortit, elle passa par la caisse. Le tintement discret de la machine, les tickets qui s’imprimaient, les pièces qui s’entrechoquaient : ce bruit mécanique était étrangement rassurant. Ici, tout était clair, ordonné, sans jugement. Elle reprit son rôle, la tête légèrement baissée, mais ses pensées restaient enchaînées à ce qui venait de se produire sur la terrasse.
Et elle le sentit avant même de lever les yeux : Hani, adossé nonchalamment au comptoir, la fixait encore.
— Tu n’as pas à supporter ça, Lara,dit-il enfin, à voix basse. Jamais.
Il ne souriait pas. Et dans ses mots, il n’y avait pas de tendresse apparente, seulement une noirceur possessive qui la troubla plus qu’elle ne l’aurait voulu.
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