Il avait ce genre de sourire...
Tu sais, ce genre de sourire qui ne trompe que ceux qui ne prennent pas le temps de regarder. Un sourire mécanique. Poli. Parfaitement placé. Le genre de sourire qu'on apprend à porter pour que les gens te laissent tranquille.
Le genre de sourire que tu fais quand on t'a appris, très tôt, que ta douleur ne valait pas le bruit qu'elle ferait si tu la criais.
Il s'appelait Elijah.
Mais personne n'avait vraiment appris son nom. On l'appelait "le calme", "le discret", "le gentil". Jamais *Elijah*. Parce qu'on ne prend pas la peine de nommer ce qu'on ne voit pas vraiment.
***
Troisième d'une famille de quatre enfants. Ni l'aîné prometteur, ni le dernier fragile. Il était au milieu. Entre les attentes et les oublis. Entre les cris qu'on entend et ceux qu'on ignore.
Il vivait dans un silence épais. Pas un silence paisible — un silence qui *dévorait*.
À table, on lui posait rarement des questions.
Quand il en posait, on lui répondait vaguement.
Quand il tombait malade, on disait qu'il guérissait vite.
Quand il allait bien, on ne le remarquait pas.
Alors il s'est dit très tôt que pour mériter d'exister, il devait *servir à quelque chose*. Être utile. Être celui qui écoute. Celui qui règle les conflits. Celui qui dit oui même quand il pense non. Celui qui sourit même quand tout brûle à l'intérieur.
C'est comme ça que le masque s'est formé.
***
Léna.
C'était son premier amour. Si on peut appeler ça de l'amour.
Elle ne le connaissait pas. Pas vraiment. Mais elle lui avait parlé un jour, juste une phrase, un bonjour un peu trop gentil. Et c'est tout ce qu'il avait fallu. Parce que quand t'as jamais reçu d'attention sincère, une simple phrase peut devenir ton univers.
Il est tombé amoureux d'une idée.
D'une illusion.
Et il s'y est accroché comme un noyé à une bouée percée.
Quand il lui a donné sa lettre — maladroite, tremblante, presque enfantine — elle a ri.
Et d'une voix assez forte pour que la moitié de la classe entende, elle a dit :
— Mais t'es sérieux ? Toi ? Avec moi ? Regarde-toi.
Elle est partie. Et avec elle, une partie de lui s'est effondrée.
Mais il n'a pas pleuré.
Non.
Il a juste souri.
Comme toujours.
***
Il devenait le confident de tous, mais personne ne l'écoutait.
Et à force de se plier aux autres, *il s'est perdu lui-même*.
***
Le lycée est arrivé comme un nouvel espoir.
Mais il n'a été qu'un théâtre plus grand pour jouer un rôle plus convaincant.
Elijah est devenu celui que tout le monde "aimait bien", mais que personne n'aimait *vraiment*.
Il était toujours là pour les autres, mais jamais invité aux vraies discussions.
Toujours dans les conversations de groupe, mais jamais dans les messages privés.
Toujours là. Mais jamais *vu*.
Il avait appris à imiter les émotions. À dire ce qu'on voulait entendre. À rire même quand il avait envie de hurler. À draguer sans y croire. À s'attacher sans espérer.
Et surtout, à ne *rien* ressentir vraiment.
Parce que ressentir, c'était dangereux.
Parce que ressentir, ça fait mal.
***
Et puis il y avait l'amour.
Ou plutôt, *l'absence d'amour*.
Elijah tombait amoureux de filles qu'il ne connaissait pas. Il construisait des scénarios dans sa tête. Il voyait des âmes sœurs là où il n'y avait que des échanges de regards. Et chaque rejet devenait une tragédie silencieuse.
Mais le plus dur, c'était quand il *était* en couple.
Parce qu'il n'arrivait pas à aimer. Vraiment.
Il jouait. Il souriait. Il embrassait.
Mais cette fois, il ne pouvait pas lâcher.
Il s'est mis à la suivre. Pas pour lui faire du mal. Non.
Pour la comprendre. Pour comprendre pourquoi il n'était *pas* assez.
Il notait ses trajets, ses horaires. Il apprenait ses goûts, ses amis, ses rires.
Elle ne savait pas. Jusqu'au jour où elle s'est retournée.
Et elle a eu peur.
Elle a crié.
Il a couru derrière elle. Par réflexe. Par panique. Par solitude.
Le lendemain, son nom était un murmure dans les couloirs.
Le psychopathe.
Le stalker.
Le dérangé.
Mais personne n'a demandé pourquoi.
Personne ne s'est dit que derrière cette obsession maladroite, il y avait un cœur écrasé, un gosse paumé, une âme en manque d'amour.
***
À la maison, il n'en a pas parlé. À qui l'aurait-il dit ?
Son père lisait le journal sans lever les yeux.
Sa mère cuisinait sans écouter.
Ses frères vivaient leur vie, loin de la sienne.
Il a avalé l'humiliation. Comme on avale une pierre. Lentement. Jusqu'à ce qu'elle se loge dans la gorge et t'empêche de respirer, mais que tu continues à faire comme si tout allait bien.
Alors il a redoublé d'efforts.
Être aimé devenait une mission.
Il se rendait indispensable. Il disait "je t'aide" avant même qu'on demande.
Il faisait rire les autres pour ne pas pleurer lui-même.
Mais il ne ressentait rien.
Juste un grand vide.
Il était avec des filles qu'il n'aimait pas pour ne pas être seul.
Puis il les quittait, coupable, encore plus vide qu'avant.
Et à chaque rupture, il se disait :
*Je suis foutu. Je ne suis pas fait pour aimer. Ni pour être aimé.*
***
Et pourtant, il souriait.
Tout le monde le voyait comme un garçon fort, gentil, drôle, sage.
Personne ne voyait les insomnies, les larmes sur l'oreiller, les pensées sombres.
Personne ne voyait les crises d'angoisse silencieuses dans les toilettes du lycée.
Personne ne voyait les nuits passées à se demander s'il avait un jour été *vraiment* aimé.
Pas pour ce qu'il faisait. Mais pour ce qu'il *était*.
Et au fond de lui, une voix murmurait sans cesse :
*"Si tu enlèves ton masque, ils partiront tous."*
Alors il le gardait.
Jusqu'à oublier qu'un jour, il avait eu un vrai visage.
***
Et ce vide qu'il traînait depuis l'enfance...
Ce gouffre sans fond...
Il l'a baptisé *Ecstasy*.
Pas pour le plaisir.
Mais parce que c'était le nom qu'il donnait à son illusion de bonheur.
Parce que c'était le nom de son plus grand mensonge : *faire croire qu'il allait bien.*
Mais dans le silence de sa chambre, au milieu de la nuit, il savait.
Il savait qu'il n'était qu'un fantôme déguisé en humain.
Un garçon que personne n'avait jamais vraiment regardé dans les yeux.
Et tout ce qu'il voulait, c'était que quelqu'un, une seule personne,
pose enfin la question qu'il attendait depuis toujours :
*"Elijah, comment tu vas... pour de vrai ?"*
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