NovelToon NovelToon

Barbie ?

le réveille de l'ombre

Il était cinq heures du matin quand la voix glaciale de Martha Miller déchira le silence de la maison.

— Debout, Caprice. C’est l’heure.

Caprice ouvrit les yeux dans l’obscurité. Ses draps étaient encore tièdes, mais sa mère ne lui laissait jamais le luxe d’une seconde de plus. Depuis que Léoni, sa sœur, était partie pour l’université d’Oxford, la maison ne comptait plus que deux habitantes : Martha et Caprice. Et l’air semblait devenu plus lourd, chaque pièce un piège clos.

La jeune fille traîna ses jambes vers la salle de bain. Ses paupières mi-closes, ses gestes lents trahissaient un corps qui n’avait pas l’habitude de se lever avant l’aube. Pourtant, elle obéissait toujours. Elle n’avait pas le choix.

Pendant qu’elle enfilait ses vêtements de sport devant le miroir, sa mère s’était faufilée dans sa chambre. Officiellement pour « mettre un peu d’ordre ». Officieusement pour inspecter. Martha ne supportait pas l’idée que sa cadette échappe à son contrôle.

Elle commença par lisser les draps, vérifiant les plis comme une juge d’un concours de beauté. Puis ses doigts s’enfoncèrent sous le lit, balayèrent les ombres à la recherche d’objets suspects. Elle ouvrit la poubelle, fouilla le bureau, tira sur les tiroirs comme une policière en pleine perquisition.

Enfin, dans une vieille trousse scolaire, elle trouva ce qu’elle cherchait sans le dire : une barre de chocolat, soigneusement dissimulée. Son visage s’assombrit, ses lèvres se pincèrent.

Quand Caprice sortit de la salle de bain, les cheveux encore humides collés à son front, elle vit immédiatement l’objet de son crime posé sur le lit.

— C’est ça, ton secret ? souffla Martha d’une voix douce et tranchante comme une lame. Voilà pourquoi tu es molle, pourquoi tu n’arrives jamais à suivre.

Caprice baissa la tête, triturant nerveusement ses mèches entre ses doigts. Ce geste innocent eut l’effet d’une gifle pour sa mère.

— Arrête de tripoter tes cheveux ! gronda-t-elle. Tu crois que Léoni se tenait comme ça quand elle avait ton âge ? Non. Elle courait déjà plus de dix kilomètres à l’aube. Toi, tu n’en feras pas cinq. Tu en feras dix. Tous les jours. Jusqu’à ce que cette faiblesse disparaisse.

Puis elle ajouta, avec un sourire cruel :

— Un jour, tu finiras par fondre, Caprice. Peut-être qu’il restera enfin quelque chose de beau en dessous.

La jeune fille sentit ses joues brûler. Son cœur se serra, Les mots transpercèrent Caprice. Elle serra les dents, enfila ses baskets, et suivit sa mère dehors.

La rue encore sombre de Maplewood Drive s’étendait devant elles, silencieuse, avec ses lampadaires jaunâtres et ses pelouses parfaitement taillées. Les autres maisons dormaient. Les Miller, elles, couraient.

Caprice avait déjà le souffle court au bout de quelques minutes. Ses poumons brûlaient, ses jambes lourdes suppliaient d’arrêter. Derrière elle, la voix de sa mère claquait, implacable :

— Redresse tes épaules ! Respire avec ton ventre, pas comme une petite chose apeurée ! Tu crois que les présidents du conseil s’effondrent au premier kilomètre ?

Footing

Caprice, le ventre creux — elle n’avait rien avalé depuis la veille —, sentit très vite ses jambes se transformer en plomb. Une nausée acide remonta dans sa gorge. Le monde autour d’elle tanguait. Le vertige la prenait, chaque pas résonnait comme un coup de marteau dans son crâne.

— Respire avec ton ventre, pas comme une petite souris apeurée ! aboya sa mère depuis le vélo.

Mais Caprice n’entendait plus qu’un brouillard de sons. Les maisons, les arbres, même la silhouette de Martha semblaient lointains, irréels. Elle courait dans un rêve fiévreux.

Soudain, Martha freina. Le téléphone vibrait dans son sac de sport. Elle décrocha d’un geste sec, ordonnant à Caprice de continuer.

Caprice s’effondra presque sur le trottoir, s’asseyant lourdement, le souffle sifflant. Ses mains tremblaient. Elle avait l’impression que ses poumons allaient éclater.

Elles firent une pause de cinq minutes. Martha parlait au téléphone, concentrée sur une conversation à voix basse. Caprice, elle, essayait tant bien que mal de reprendre son souffle.

Puis, tout bascula.

Au loin, un grondement de moteur. Caprice releva la tête. Une voiture rouge déboulait à toute allure, phares allumés, fonçant droit sur le passage réservé aux joggeurs et aux piétons.

— Maman… souffla Caprice, mais sa mère, distraite, continuait à parler au téléphone.

Le temps sembla ralentir. La voiture approchait, trop vite, bien trop vite. Caprice écarquilla les yeux, paralysée. Sa gorge se noua. Sa mère se retourna enfin, l’expression figée.

Et puis — boum !

Un fracas assourdissant éclata juste devant elles. Des éclaboussures chaudes et poisseuses jaillirent, recouvrant Caprice. Sa bouche, ses joues, ses vêtements : tout était maculé de sang. Elle resta immobile, incapable de crier.

Sur le bitume, à quelques mètres d’elles, gisait une biche. Son corps encore tremblait par à-coups, ses yeux vides fixant le ciel. L’animal avait traversé au mauvais moment, fauché par la voiture qui disparut aussitôt dans la nuit.

Caprice, couverte du sang de la bête, ne bougea pas. Ses yeux fixaient la carcasse, comme hypnotisés. Aucune larme, aucun cri. Seulement un silence froid.

Martha, elle, lâcha son téléphone qui tomba dans l’herbe. Ses mains tremblaient tout en regardant sa fille avant de recupérer son téléphone au sol , et de composait en hâte le numéro des secours. Elle dévisageait sa fille avec un mélange d’horreur et d’incompréhension.

— Mon Dieu… Caprice…

Mais l’adolescente resta de marbre. Figée, le regard rivé sur la masse ensanglantée.

Caprice resta plantée au milieu de la route, figée, le souffle coupé. Le sang chaud qui maculait sa peau et ses vêtements commençait déjà à sécher, collant contre son sweat. Ses yeux restaient accrochés à la biche éventrée, à ses convulsions qui s’éteignaient peu à peu dans un silence pesant.

— Caprice ! Tu… tu vas bien ?! cria Martha, raccrochant brusquement son téléphone pour composer le 911.

Mais sa voix tremblait. Pour la première fois, elle paraissait moins solide, moins sûre.

Caprice tourna lentement la tête vers elle. Aucune larme. Aucune peur. Son visage était lisse, presque vide d’expression. Elle se contenta de hausser imperceptiblement les épaules, comme si tout cela n’était qu’un détail.

Ce calme glaça sa mère.

— Ne reste pas là ! Reviens sur le trottoir, immédiatement !

Caprice obéit mécaniquement, sans dire un mot. Ses jambes tremblaient de fatigue, mais elle ne montrait rien. Martha, encore secouée, rangea son téléphone après avoir prévenu les secours. Puis, avec une dureté retrouvée, elle lança :

— Essuie-toi. Et tiens-toi droite. Tu ne vas pas me faire honte en rentrant ainsi.

La route fut vite contournée, et elles regagnèrent la maison dans un silence étouffant.

Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!

téléchargement PDF du roman
NovelToon
Ouvrir la porte d'un autre monde
Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!