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Stupid Love

Chapitre 1: Fils invisibles.

Kyoto — Fin d’après-midi. Une pluie fine glisse lentement sur les toits, comme si le ciel lui-même cherchait à broder une histoire silencieuse.

Dans un petit atelier discret, niché entre deux ruelles tranquilles, les aiguilles chantaient plus que les voix. Le cliquetis des ciseaux, le froissement des tissus, le souffle à peine audible d’une jeune couturière concentrée... Tout cela formait une douce symphonie domestique.

Soraya Kazuki, 20 ans, les cheveux sombres retenus en un chignon lâche, le regard calme mais un peu ailleurs, tirait lentement un fil entre ses doigts fins.

> « Celui-ci est pour la manche droite… Et celui-là pour l’ourlet. »

Elle parlait rarement à voix haute, mais ses pensées, elles, formaient un tumulte constant. Comme un tissu trop froissé qu’on n’arrive jamais à plier correctement.

Autour d’elle, les murs étaient couverts de croquis accrochés par des pinces, des échantillons de tissus suspendus ici et là, et une vieille radio en coin diffusait un jazz étouffé, presque fantomatique.

Madame Kujo, la propriétaire de l’atelier — une femme d’âge mûr, au regard sévère mais au cœur tendre — passa la tête par la porte.

— Soraya ? Tu travailles encore sur la commande de la boutique d'Asakusa ?

— Oui, il me reste juste à finir les boutons… répondit-elle, esquissant un sourire poli.

Madame Kujo hocha la tête. Elle connaissait ce sourire-là : cousu de silence, comme une robe trop serrée sur un cœur trop rempli.

— Tu sais que c'est la pause ? Pourquoi tu ne vas pas te reposer ?

— Le plus tôt j'aurai fini ces vêtements, le mieux ce sera, répondit Soraya sans lever les yeux.

— Je sais bien, soupira Madame Kujo. Mais tu devrais aussi penser à te reposer. C'est tout aussi important.

— Je vous remercie de vous inquiéter pour moi, Madame Kujo. Je me permettrai de me reposer dès que j’en aurai fini avec cette commande.

La patronne s’approcha, posant une main légère sur l’épaule de Soraya avec une douceur rare.

— Soraya… tu dois te souvenir d’un truc.

— Euh…

— Ici, nous formons tous une grande famille. Tu ne devrais pas rester seule dans ton coin, ou encore nous cacher ce que tu ressens.

Ces mots glissèrent comme une aiguille directement dans le cœur de Soraya. Puis Madame Kujo ajouta :

— Si tu trouves ça trop gênant de m’en parler, tu peux toujours discuter avec Sae. J’ai remarqué que vous étiez devenues très proches.

— Vous avez raison… répondit-elle, un peu troublée. C’est vrai que Sae est devenue une amie très proche. Je l’aime beaucoup.

Madame Kujo sourit avec satisfaction, puis se redressa doucement.

— Bien. Je vais te laisser continuer ce que tu faisais. Mais n’oublie pas de te reposer.

Une fois seule, Soraya attrapa son téléphone du bout des doigts. L’écran s’illumina.

> Nouvelle vidéo — Night Sketch – Live session Tokyo.

Elle fixa la notification pendant quelques secondes… puis éteignit l’écran. C’est à cet instant que la porte s’ouvrit.

— Soraya !!! s’écria une voix joyeuse.

— Sae !! répondit-elle en sursautant. Tu m’as fait peur.

— Désolée ! Mais tu n’étais plus parmi nous, alors j’ai décidé de te faire atterrir !

— Ah oui, vraiment ? Désolée… J’étais absorbée par mon travail. Je ne t’ai même pas entendue arriver.

— Je peux le constater, fit Sae en croisant les bras. Ça te dit de venir manger avec moi ?

— Pas aujourd’hui, Sae. refusa-t-elle poliment. J’ai encore beaucoup de travail.

— Arrête un peu ton char ! lança Sae. Je suis sûre que tu restes dans ton coin pour réfléchir… encore à Naoki.

— Quoi !!? s’écria Soraya en rougissant. Mais pas du tout ! Je me concentre sur mon travail, vraiment !

— Très bien, si tu ne veux pas venir avec moi...

Sae ouvrit alors un sac qu’elle tenait dans la main, et sortit deux boîtes de bento.

— C’est le repas qui viendra à toi.

Soraya resta figée.

— Tu as ramené ça pour moi ?

— Bien sûr, répondit Sae avec un grand sourire. Tu ne pensais quand même pas que j’allais te laisser mourir de faim et te tuer au travail ?

Soraya, touchée, sourit doucement. Son cœur s’allégea. Elle céda.

— D’accord, Sae. Tu as gagné. Je vais manger avec toi.

— Superbe !! 🤩🤩 s’exclama Sae en sautillant.

Elles s’installèrent sur un coin de table, dans une bulle de chaleur simple. Tandis qu’elles mangeaient, Sae lança, la bouche à moitié pleine :

— Dis, Soraya… tu as vu la nouvelle notification sur le groupe de Naoki ?

— Oui… je l’ai vue. répondit-elle en détournant le regard.

— Alors tu l’as vue aussi, hein ? la taquina Sae.

— Qu’est-ce que tu racontes encore… Bien sûr que je l’ai vue, c’est tout à fait normal.

— Arrête de faire semblant. Tu as encore des sentiments pour lui, ça se voit !

— Mais non, pas du tout… Je… je suis juste une très bonne amie pour lui. Rien… rien d’autre. bredouilla Soraya en rougissant.

— Mais oui, c’est ça… Tu devrais lui dire ce que tu ressens.

— Ça ne servirait à rien. dit Soraya en baissant les yeux. Il a déjà une copine. Ils sont très heureux ensemble.

— C’est vraiment dommage. Il ne sait pas ce qu’il a perdu, celui-là.

— ...

— Tu es une fille géniale, Soraya. Mais ton seul problème, c’est que tu n’arrives pas à dire clairement tes sentiments.

— Je ferai de mon mieux… Mais pour l’instant, il est déjà pris. Je ne peux rien y faire.

— Oh…

— Tant qu’il est heureux, ça suffit à mon bonheur, ajouta-t-elle avec un sourire timide.

— Eh bien toi, tu ne changeras jamais, soupira Sae.

— ...

— Bon ! relança-t-elle. Et si on regardait ce concert ensemble ?

Soraya hésita, mais finit par attraper son téléphone. Elle ouvrit l’application, cliqua sur la vidéo.

— Regarde… Ça vient de commencer, murmura Sae.

La musique débuta. Guitare électrique. Lumières bleues. Et puis... sa voix.

Naoki Fujimura.

Son cœur bondit, irrégulier, pris par surprise.

Sur l’écran, il avait laissé pousser ses cheveux. Il souriait timidement avant de chanter. La caméra glissait sur ses doigts effleurant les cordes. Elle les connaissait presque mieux que les siens.

> « Il est devenu encore plus doué… »

— Regarde ça, Soraya ! s’exclama Sae. Tu as vu ? Miyabi chante trop bien ! Et Toma, Renji, et bien sûr… Naoki.

Elle hocha la tête, le regard perdu dans l’image. Ils étaient tous là. Une image d’un passé lumineux… mais qui avait grandi sans elle.

Elles regardèrent la vidéo jusqu’à la fin. Soraya, silencieuse, ressentait une fierté profonde. Malgré la douleur, elle était heureuse pour eux.

Des heures plus tard, Sae retourna à son poste. Soraya, elle, tenta de reprendre le fil de son travail… en vain.

Ses pensées étaient noyées dans la voix de Naoki.

Elle attrapa de nouveau son téléphone, retourna sur la vidéo. Un simple tapotement. Elle la relança… puis, soudainement, coupa le son, retourna l’écran, et soupira.

> « Idiote. Tu fais quoi ? »

Ses doigts tremblaient. Elle avait cousu une couture de travers. Elle ferma les yeux.

Elle aurait pu lui écrire. “Comment tu vas ?” ou “J’ai vu ta vidéo, elle était belle.”

Mais non. Elle ne le ferait pas.

Au lieu de ça, elle rangea tout, puis alla s’asseoir près de la fenêtre embuée. Un petit tabouret qu’elle aimait. Elle sortit un carnet usé, couvert de taches de thé.

Elle l’ouvrit à une page précise.

Un croquis. Un costume de scène. Une veste asymétrique, avec des broderies argentées.

En haut, griffonné à l’encre violette :

> « Pour Naoki — quand il deviendra une star. »

Elle passa lentement le doigt sur l’inscription.

Et sourit. Tristement.

> "Tu ne le sauras jamais, hein ? Que j’ai cousu mes sentiments dans chaque fil. Que je t’ai attendu, même de loin."

Une vibration douce. L’alarme du soir.

Elle referma le carnet, éteignit les lumières, et sortit.

La pluie avait cessé. Mais son cœur, lui, restait trempé.

Chapitre 2: Répétitions à distance.

Tokyo — Salle de répétition insonorisée

Le son saturé d'une guitare électrique envahit la pièce, suivi par la voix d’un chanteur légèrement désaccordé. La mélodie s’interrompt brusquement.

— « Stop, stop, stop ! » lança Miyabi Tachibana, d’un ton sec et agacé.

Tous s’arrêtèrent net. Naoki releva la tête, les doigts encore posés sur sa guitare.

— « T’étais pas là du tout, Naoki ! » grogna Miyabi.

— « Désolée, mais je crois que même mon micro a eu pitié de ta note », répliqua-t-elle.

— « …Désolé. Je… j’ai décalé, c’est vrai. »

Renji, installé à la batterie, observait la scène sans dire un mot. Il tapotait doucement une baguette sur sa cuisse, l’air pensif. Toma, affalé sur un ampli, mâchonnait son chewing-gum en lançant :

— « C’est la troisième fois aujourd’hui. Tu penses encore à ta meuf ou à ton riz d’hier soir ? »

— « Ferme-la, Toma. » soupira Naoki, sans réelle agressivité.

Il déposa sa guitare, s’étira, puis leva les yeux vers le miroir du studio. Il y vit son reflet : cheveux en bataille, des cernes discrètes sous les yeux, et ce regard… un peu vide.

Il prit son téléphone. Toujours rien.

Toujours rien...

Un message de Soraya. C’est ce qu’il espérait. Même un mot, un émoji, n’importe quoi. Mais l’écran restait désespérément silencieux.

— « Tu espérais recevoir un message de Soraya ? » lança Toma.

— « Oui… Elle ne vous a pas écrit récemment ? » demanda Naoki.

— « Pas depuis la semaine dernière », répondit Miyabi.

— « Peut-être qu’elle a beaucoup de travail, et qu’elle ne peut pas nous écrire pour le moment », ajouta Renji.

— « La connaissant, elle doit sûrement se tuer à la tâche », renchérit Miyabi.

Naoki allait ranger son téléphone quand la porte s’ouvrit brutalement.

— « Naokiiii ! »

Sayuri Minazuki débarqua comme une tornade. Mini-jupe à carreaux, sac rose bonbon à l’épaule, et un sourire jusqu’aux oreilles. Elle se jeta dans les bras de Naoki sans prévenir.

— « Sayuri !! Qu’est-ce que tu fais ici ? »

— « T’as oublié qu’on devait manger ensemble ? J’ai attendu comme une idiote chez moi ! »

Naoki lui offrit un sourire d’excuse, un peu embarrassé.

— « Pardon. On répétait encore… »

— « Mouais. Bon, je te pardonne si tu me joues la chanson que t’as composée la semaine dernière. »

Naoki rougit légèrement. En arrière-plan, Miyabi leva les yeux au ciel avant de s’éloigner vers les casiers.

— « C’est pas censé être une chanson pour tout le monde, ça ? Pas juste ta groupie privée… »

Sayuri ne réagit pas à la pique, bien que son regard ait brièvement croisé celui de Naoki. Mais lui semblait ailleurs.

— « Tout va bien, Naoki ? » demanda-t-elle, un brin inquiète.

— « Je vais bien. J’étais juste… perdu dans mes pensées. »

— « Et si on allait déjeuner ensemble ? » dit-elle en souriant. « J’ai pris ma journée pour la passer avec toi. Qu’est-ce que tu en dis ? »

— « … »

— « Minute, ma vieille ! » coupa Miyabi en revenant vers eux. « On a une répétition sérieuse, là. »

— « Du calme, Miyabi, » intervint Renji. « On a déjà fini, ils peuvent se détendre un peu. »

— « Ouais, c’est ça. Continuez à prendre sa défense… » grogna-t-elle. « Vous oubliez qu’on a un concert la semaine prochaine. »

— « Tu serais pas comme ça à cause d’Akira, peut-être ? » lança Toma d’un ton moqueur.

— « Qu’est-ce que tu racontes, toi ? » s’écria-t-elle, un peu gênée. « Je vois pas du tout de quoi tu parles. »

— « Arrête de faire ton charme. Avoue que tu meurs d’envie de le revoir ! »

— « Alors toi, si tu continues, je t’enfonce mon micro là où ça fait mal ! » fulmina-t-elle, les joues en feu.

— « Ça va, pas la peine de t’énerver… »

— « Attends… » intervint Sayuri, surprise. « Tu connais le guitariste Akira Shindō ? Du groupe Black Heaven !? »

— « Bien sûr qu’on les connaît », affirma Toma. « C’étaient les copains de lycée de Naoki, Miyabi et Renji. »

— « Tu es sérieux ?! » s’écria-t-elle, les yeux brillants. « C’est mon groupe préféré, j’adore leur musique ! »

— « Ah oui ? » répondit Miyabi, légèrement piquante. « Tu n’es pas fan du groupe de ton copain ? »

— « J’adore aussi votre groupe », rétorqua Sayuri. « Mais bien avant de vous connaître, j’étais déjà l’une de leurs plus grandes fans. Et surtout… j’avais un énorme béguin pour Ren Akabane. »

— « Sérieusement ? » dit Naoki, visiblement blessé dans son ego. « Et dire que je pensais faire le poids… »

— « Mais ne t’en fais pas, mon petit chéri ! » dit-elle avec un sourire enjôleur. « Tu es le meilleur petit copain que j’ai rencontré de toute ma vie. »

Naoki rougit timidement en croisant son regard.

— « Allez, viens ! » lança-t-elle en lui prenant la main. « On va s’amuser un peu. »

— « Attends un peu… Sayuri… » balbutia-t-il, en se laissant entraîner.

Ils quittèrent la salle, laissant les autres derrière eux.

— « Et le voilà déjà parti… » marmonna Miyabi, légèrement agacée. « Elle est vraiment un vrai cas-pieds. »

— « Dis-moi Miyabi, pourquoi t’apprécies pas Sayuri ? » demanda Toma, toujours moqueur.

— « Qu’est-ce que tu racontes ? Je la déteste pas. » répondit-elle. « Je trouve juste que Naoki mérite mieux qu’elle. »

— « Tout comme toi et Akira, hein ? »

— « Alors toi… tu vas souffrir. »

Extérieur — Tokyo, de nuit

Naoki marchait aux côtés de Sayuri. Les rues de Tokyo s’illuminaient, les néons reflétaient sur les vitrines, et la ville battait comme un cœur géant.

Mais dans la tête de Naoki, une autre image persistait.

Le sourire doux de Soraya.

Ses yeux brillants quand il lui jouait ses premiers morceaux, dans ce vieux parc derrière le lycée.

> “Tu deviens vraiment bon. Je suis sûre que tu vas briller.”

Elle l’avait dit comme une promesse. Pas comme un encouragement banal.

— « Naoki… Naoki ? »

— « Hein ? »

— « À quoi tu penses ? » demanda Sayuri. « Tu as l’air ailleurs. »

— « Oui… désolé. J’étais juste un peu perdu dans mes pensées. »

— « Tu penses à elle ? »

Il tourna brusquement la tête vers elle.

— « …Hein ? »

— « À cette fille. Ton amie d’enfance. Celle dont tu parles parfois. »

Il hésita, puis hocha lentement la tête.

— « Un peu, ouais. Pour être franc, elle me manque. »

Sayuri garda le silence quelques secondes, puis prit sa main avec douceur.

— « Tu sembles beaucoup tenir à elle, non ? »

— « Oui. Vraiment. Si tu la rencontrais, je suis sûr que tu l’aimerais autant que nous. »

— « Elle a l’air d’être une fille géniale… » sourit-elle. « Mais pourquoi elle n’est pas ici, avec vous ? »

— « Elle travaille dans un magasin de stylisme. Elle crée des vêtements. C’est compliqué pour elle de venir jusqu’à Tokyo. »

— « Attends… Elle est styliste ?! » s’exclama Sayuri, les yeux brillants. « Il faut absolument que je la rencontre ! »

— « Ah oui… ? » dit-il, un peu surpris.

— « Absolument ! Tu n’imagines pas tout ce que je pourrais apprendre avec elle. Et si c’est elle qui nous habille pour notre futur mariage… Je suis sûre qu’on serait beaux comme des dieux. »

Naoki éclata de rire, tellement surpris qu’il ne pouvait pas s’en empêcher.

— « Tu te moques de moi ! » dit-elle, les joues gonflées.

— « Mais non, pas du tout. C’est juste que… c’est inattendu. »

— « Ouais, c’est ça… » grogna-t-elle. « Quoi qu’il en soit, tu devrais l’inviter un de ces jours. »

— « C’est pas l’envie qui me manque. Mais elle est tellement occupée… »

— « Alors compose quelque chose. Et envoie-le-lui. Même si tu ne sais pas quoi dire. »

— « Tu crois vraiment que ça lui ferait plaisir ? »

— « Mais oui ! » s’exclama-t-elle. « Je suis sûre que ça lui ferait chaud au cœur. »

Naoki la regarda, un peu surpris. Parfois, Sayuri semblait plus perspicace qu’elle ne le montrait.

— « Allez, on rentre maintenant ? » proposa-t-elle en se levant du banc.

— « D’accord. »

Ils reprirent la route, bras dessus bras dessous, comme deux amoureux ordinaires. En chemin, ils achetèrent des glaces, les dégustèrent en riant, et prolongèrent la balade jusqu’à chez elle.

Après l’avoir raccompagnée, Naoki rentra seul chez lui. Douche. Dîner rapide. Puis il alla s’allonger dans sa chambre.

Mais le sommeil ne venait pas.

Quelque chose le troublait. Ou plutôt, quelqu’un.

Pourquoi ce silence, Soraya… ?

Il se leva, marcha jusqu’à son balcon. L’air de Tokyo était tiède, chargé de lumière.

Il sortit son téléphone, commença à écrire :

> Salut. J’espère que tu vas bien.

Il hésita. Puis… effaça le message.

— « Qu’est-ce que je fais ? » soupira-t-il.

Il leva les yeux vers le ciel, pensif.

— « Je me demande ce que tu fais, actuellement, Soraya… »

Devant lui, la ville s’étendait comme une scène vide. Silencieuse. Et un peu trop loin.

Chapitre 3:Je vais bien.

Kyoto.

Un matin calme. Le ciel est d’un blanc laiteux, presque irréel, comme suspendu dans le silence.

Dans l’atelier encore désert, seule la machine à coudre murmure. Le tissu glisse entre les doigts de Soraya Kazuki, appliquée. Ou du moins… elle essaie.

— Mince, je l’ai raté, souffle-t-elle en fronçant les sourcils.

Ses yeux sont cernés. Elle garde une expression impassible, maîtrisée, mais ses gestes… eux, trahissent la fatigue. Une couture déborde. Elle soupire, défait le fil, recommence.

— Soraya, tu es sûre que ça va ? demanda Sae, un peu inquiète.

— Oui, ça va. J’ai juste été un peu distraite, répondit-elle avec un petit sourire timide.

— Tu devrais faire une pause. Ça fait des jours que tu travailles sur cette commande.

— Ne t’en fais pas Sae, ça va aller, dit-elle poliment.

Au fond de l’atelier, Madame Kujo l’observe depuis la salle des stocks. Silencieuse. Les bras croisés. Elle fronce les sourcils : voilà trois jours que Soraya ne parle presque pas.

Elle s’avance lentement.

— Soraya, l’interpella-t-elle.

— Ah, c’est vous, Madame Kujo ! s’exclama Soraya. Je ne vous ai pas entendue.

— Je m’en doute bien, répondit-elle, le regard perçant. Tu es sûre que tout va bien ?

— Oui, affirma Soraya. J’étais juste en train de faire les dernières retouches.

— Tu n’as pas l’air d’être dans ton assiette.

— Non, je vais parfaitement bien. Ne vous en faites pas, ajouta-t-elle avec un sourire presque trop maîtrisé.

— Tu dors, ces temps-ci ? demanda alors Madame Kujo.

— Oui, un peu… dit-elle.

Un mensonge. Poli. Automatique.

Et Madame Kujo le comprend parfaitement.

— Tu n’en as pas l’air.

— C’est vrai que ces derniers temps, je ne dors pas assez… mais j’ai quand même du temps pour récupérer.

Madame Kujo ne répond pas. Elle s’éclipse un instant, puis revient avec une tasse fumante.

— Tiens, prends ça.

— Mais...

— Mes employés ont besoin de force pour bien réussir leur travail. Allez, prends-la.

Soraya, surprise, saisit la tasse chaude, l'air un peu ailleurs.

— Merci, Madame Kujo.

— Ne me remercie pas. C’est aussi mon rôle de prendre soin de vous, dit-elle avec douceur avant de s’éloigner.

Soraya la regarde disparaître dans l’atelier. Son regard revient vers le thé, puis vers son téléphone, posé juste à côté.

Écran noir.

Elle appuie. L’écran s’allume.

Une vidéo est en suggestion : "Naoki Fujimura - Acoustic Live // Night Sketch"

Juste en dessous : « Des fans spéculent sur sa chanson inspirée par une histoire vraie. »

Elle ne clique pas. Elle fixe l’écran comme on fixe une vitre qu’on n’a plus la force de traverser.

> Tu brilles… mais moi, je m’efface.

— Je me demande si les choses auraient pu être différentes, murmure-t-elle à mi-voix.

Elle ouvre l’application Messages. Ses doigts hésitent, puis tapent :

> « Salut… Je t’ai vu dans la vidéo. Tu as l’air bien. Je suis contente pour toi. »

Elle relit.

Efface tout.

Puis réécrit, plus neutre :

> « Comment va Tokyo ? »

Un instant d’hésitation. Puis elle appuie sur « envoyer ».

L’écran affiche : Message envoyé.

Pas lu. Pas de réponse.

Elle range son téléphone. Baisse la tête.

Et reprend la couture.

— Je m’en doutais… Franchement, à quoi est-ce que je m’attendais ?

Après-midi – Quartier Teramachi

Soraya sort pour livrer une commande.

Les rues sont animées, mais elle, elle marche vite. Comme si elle fuyait quelque chose.

— J’espère que tout va bien avec ta copine, Naoki… pensa-t-elle, le regard perdu.

Dans une vitrine de magasin, une télévision diffuse un extrait du groupe de Naoki. D’autres passants s’arrêtent pour regarder.

— Vous avez vu ? Ils sont vraiment doués, ce groupe ! s’exclame un homme.

— Oui, je les adore. Ils ont de super chansons… et y’a même des garçons mignons, ajoute une jeune fille en riant.

Soraya s’arrête, surprise.

— Oh… ! s’étonne-t-elle.

Le son est coupé. Mais elle reconnaît immédiatement son visage.

Naoki.

— C’est Naoki… ? répète-t-elle, bouche entrouverte.

Son sourire.

La foule qui l’entoure.

Il brille. Vraiment.

— Tu l’as vraiment fait, Naoki… Je te félicite, murmure-t-elle, sincèrement heureuse.

Dans la vitrine, son propre reflet se superpose à l’image.

Une silhouette pâle. Presque invisible à côté de lui.

> Je ne devrais pas… m’accrocher à ça.

Elle détourne les yeux. Reprend sa marche.

— De toute façon, il a déjà une copine. Et moi… je suis juste son amie. Et c’est comme ça.

— Oui. S’il a besoin de mon aide, je serai là. Comme une vraie amie le ferait.

Mais ses mains tremblent légèrement.

Elle avait beau se le répéter… elle ne pouvait pas étouffer ces sentiments indéfiniment.

Soir – Retour à l’atelier

Elle rentre enfin, dépose ses affaires, et se dirige vers l’arrière-salle.

— Eh Soraya !! s’écrie Sae en la voyant.

— Sae… Qu’est-ce que tu fais encore à l’atelier ?

— À ton avis ? Tu n’étais pas encore rentrée, alors je t’ai attendue !

— Tu n’étais pas obligée de le faire, tu sais.

— Mais qu’est-ce que tu me racontes encore là ? soupira-t-elle. Je te rappelle que je suis ton amie. Et en tant qu’amie, j’ai le devoir de te soutenir !

— C’est vraiment très gentil.

— Dis-moi un peu… Il t’a écrit, au moins ?

— De qui tu parles ?

— Allez, fais pas l’innocente. Tu sais parfaitement de qui je parle.

— Tu sais qu’il a une copine… Je ne peux quand même pas lui faire ça.

— Arrête, Soraya. Tu penses un peu à toi ? s’exclama Sae, peinée. Tu ne cesses de penser à son bonheur, et toi, tu t’éteins à cause d’un amour que tu ne peux même pas lui avouer.

— Mais non, tu te trompes. Je ne ressens rien pour lui. Naoki est juste mon ami.

— Tu parles… Tu essaies encore de te convaincre de ça.

— C’est juste que…

— Tu devrais vraiment lui parler ! s’écria-t-elle. Il a beau avoir une copine, ça ne veut pas dire qu’il finira sa vie avec elle. Réfléchis-y.

Soraya reste figée. Silencieuse.

Puis elle se lève.

— Je me fais vraiment du souci pour toi, conclut Sae. Tu devrais essayer de lui en parler.

Elle s’en va, laissant Soraya seule dans l’atelier.

Les mots de Sae résonnaient. Et même si elle ne voulait pas l’admettre… elle savait que c’était la vérité.

Nuit – Dans l’arrière-salle

Soraya ouvre doucement son carnet de croquis.

Une robe. À moitié dessinée.

— Je me souviens encore de ça, murmure-t-elle.

Une robe inspirée d’un souvenir.

Un jour où Naoki avait joué sous un cerisier en fleurs.

> — Qu’est-ce que tu fais, Soraya ?

— Ne regarde pas, c’est pas encore fini !

— Tu fais encore des croquis ?

— Oui, mais celui-là est spécial. Je te le montrerai une fois terminé.

— Tu peux au moins me dire ce que c’est !

— Désolée, tu n’en sauras rien ! dit-elle en lui tirant la langue.

Ce souvenir… elle l’avait gardé précieusement.

Sur le croquis, un tissu couleur pétale. Un col souple. Une jupe légère comme le vent.

Elle trace une ligne. Puis une autre.

Puis… elle s’arrête.

> À quoi ça sert ?

— De toute façon… il ne le verra jamais.

Elle referme brusquement le carnet.

— Si seulement je le lui avais dit…

Son poing se serre. Puis elle murmure :

— Non. Non… C’est absurde. C’est mieux ainsi.

Son téléphone vibre. Un message de Renji :

> “Toujours à Kyoto ?

Le groupe est un peu… agité. Tu nous manques.”

Elle hésite. Puis répond :

> “Je vais bien. J’avance. C’est juste… un peu calme ici.”

Mensonge. Encore un.

Elle envoie le message. Puis regarde l’atelier vide.

— En fait… vous me manquez terriblement, pense-t-elle.

Elle serre les bras autour d’elle, comme pour ne pas se dissoudre dans le silence.

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