La musique cognait contre les murs comme si quelqu’un avait décidé que le volume pouvait camoufler le vide. Tout le monde riait trop fort, buvait trop vite, dansait comme si demain n’existait pas. Adrien, lui, n’avait aucune raison d’être là. Il s’était fait traîner par un pote qui avait juré “tu verras, ce sera pas si nul.” Mensonge habituel.
Il fixait son verre à moitié vide, accoudé au comptoir, en se disant qu’il aurait mieux fait de rester chez lui. Sa capuche tirée sur sa tête, son casque toujours dans sa poche, prêt à se barrer sans prévenir. Les gens autour n’existaient pas vraiment. Des silhouettes floues, des rires parasites.
Et puis il l’a vu.
Le mec était là depuis longtemps, probablement, mais Adrien n’avait pas fait gaffe. Grand, silhouette décontractée, un verre de soda à la main – un détail bizarre dans une pièce noyée d’alcool. Ses yeux accrochaient la lumière, deux éclats clairs qui semblaient se foutre de la foule. Il ne riait pas trop fort, ne dansait pas n’importe comment. Il observait. Comme si lui aussi se sentait étranger à cette pièce saturée de bruit.
Adrien aurait dû détourner le regard. Il ne l’a pas fait.
Leurs yeux se sont croisés, et c’était le genre de contact visuel qui dure une seconde de trop. Pas agressif, pas gênant. Juste… trop réel. Adrien sentit un frisson lui grimper le dos, alors qu’il n’avait même pas bougé. L’autre esquissa un sourire discret, comme un défi silencieux, et Adrien détourna enfin la tête, vexé de sentir son cœur battre plus vite pour un inconnu.
Le problème, c’est que quand il releva les yeux, le mec marchait déjà vers lui.
Adrien inspira profondément. Pas question d’avoir l’air impressionné. Pas question d’être ce gars facile à lire. Il serra son verre entre ses doigts, prêt à sortir une remarque glaciale si jamais l’autre ouvrait la bouche.
— T’as l’air de t’ennuyer à mourir, dit l’inconnu en posant son verre sur le comptoir.
Adrien haussa un sourcil. Direct, pas de détour. Ça le désarmait déjà.
— Bravo, t’as l’œil, répondit-il, sec.
Un silence s’installa, mais ce n’était pas lourd. Plutôt une pause étrange, comme si les deux testaient la réaction de l’autre. Le mec le fixa sans gêne, son sourire encore présent mais moins visible, plus subtil. Adrien détestait ce genre de regard. Ça donnait l’impression qu’on voyait à travers lui.
— J’m’appelle Elias, dit-il simplement.
Adrien hésita. Donner son prénom, c’était déjà une concession. Mais il se surprit à lâcher, presque contre lui-même :
— Adrien.
Le sourire d’Elias s’agrandit à peine, comme s’il avait gagné quelque chose.
Adrien détourna le regard, mais au fond, il savait déjà que la soirée venait de changer.
Adrien s’était promis de ne pas se laisser embarquer. Sauf qu’Elias restait là, posé à côté de lui, tranquille, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Pas d’effort forcé, pas de blagues lourdes pour meubler. Juste une présence qui prenait trop de place.
— Et donc… pourquoi t’es là si tu te fais clairement chier ? demanda Elias, en jouant avec son verre.
Adrien haussa les épaules.
— Question d’habitude. On m’invite, je viens. Ça fait illusion.
— Illusion de quoi ?
— Que j’suis sociable.
Un coin de la bouche d’Elias se releva. Pas un rire, pas un vrai sourire, juste un signal discret. Adrien avait l’impression qu’il s’était encore fait analyser.
— T’as réussi, dit Elias. On dirait pas du tout que t’as envie de partir.
Adrien tourna enfin la tête vers lui, un peu piqué.
— Tu me connais pas.
— Pas encore.
Ça, c’était culotté. Et Adrien ne savait pas s’il devait lever les yeux au ciel ou… rester accroché à ce “pas encore” qui sonnait comme une promesse.
La musique changea, plus lourde, plus agressive. La foule vibrait sous les basses, mais eux deux restaient en dehors, comme si la soirée tournait autour d’eux. Adrien se surprit à observer Elias, à noter la manière dont il tenait son verre comme si c’était un accessoire, le calme dans ses gestes, l’assurance nonchalante qui ne ressemblait pas à de la frime.
Elias, lui, ne lâchait pas son regard.
— Tu sais que t’as l’air plus intéressant quand tu dis rien ?
Adrien fronça les sourcils.
— C’est censé être un compliment ?
— Ouais. Les gens parlent trop. Toi, t’as ce silence qui intrigue.
Adrien détourna le regard, gêné malgré lui. Il n’aimait pas être vu comme ça, surtout par un inconnu. Mais il ne pouvait pas nier que quelque chose dans cette phrase l’avait touché.
Un pote d’Adrien apparut à ce moment, déjà bien trop bourré.
— Frère ! T’es là ! Viens danser, sérieux !
Adrien leva les yeux au ciel.
— Pas mon truc.
Le pote insista, tira sur sa manche, mais Elias intervint sans même hausser la voix :
— Laisse-le.
Le pote lança un regard bizarre à Elias, puis lâcha Adrien et retourna vers la piste. Adrien ne dit rien, mais il avait remarqué : Elias n’avait même pas eu besoin d’élever le ton. Sa présence suffisait.
— Tu commandes souvent les gens comme ça ? demanda Adrien.
Elias haussa les épaules.
— Quand c’est nécessaire.
Adrien resta un instant silencieux. Son cœur battait trop vite, encore, et ça l’agaçait. Il se détestait d’être impressionné. Mais il ne pouvait pas nier qu’Elias avait quelque chose. Quelque chose qui lui donnait envie de rester, au lieu de fuir comme d’habitude.
Il vida son verre d’un trait.
— T’as gagné, lâcha-t-il.
— Gagné quoi ?
— Dix minutes de ma soirée. Pas plus.
Elias sourit franchement, cette fois.
— Ça me suffit.
Et Adrien sut, malgré lui, qu’il mentait….
petit aperçu des personnages !!
Adrien !!!
Elias 💕!!!
Adrien n’avait pas vu les minutes filer. Il avait promis dix minutes, mais ça faisait déjà plus d’une heure qu’il restait assis au comptoir, en compagnie de ce type qu’il ne connaissait pas deux heures plus tôt. Elias parlait peu, mais chaque phrase semblait calibrée pour le retenir. Pas du blabla inutile, pas de confidences lourdes, juste ce qu’il fallait pour donner envie d’écouter la suite.
Quand la musique finit par lui taper trop fort sur les nerfs, Adrien posa son verre vide et se leva.
— J’me tire.
Elias haussa un sourcil.
— Je t’accompagne.
— J’ai pas demandé.
— J’ai pas demandé non plus.
Adrien serra les dents, mais il ne protesta pas davantage. Trop fatigué pour discuter, trop intrigué pour lui dire non. Ils traversèrent la foule ensemble, et Adrien remarqua que les gens semblaient s’écarter légèrement quand Elias passait. Pas de bousculade, pas de “pardon” hurlé. Juste un chemin qui s’ouvrait. Comme si tout le monde sentait qu’il prenait sa place, qu’il imposait sa trajectoire.
Dehors, l’air frais de la nuit claqua contre le visage d’Adrien. Il respira enfin, débarrassé des basses qui martelaient ses tempes. Elias alluma une cigarette et lui en tendit une.
— Je fume pas, dit Adrien.
— Moi non plus, répondit Elias en coin, avant de tirer une taffe.
Adrien secoua la tête, à moitié amusé, à moitié agacé.
— T’es chelou.
— Merci.
Un silence. Mais pas gênant, encore une fois. Adrien leva les yeux vers le ciel : quelques étoiles à peine, noyées par les lumières de la ville. Il n’avait pas envie de rentrer, mais il refusait de l’avouer.
— Tu rentres où ? demanda Elias.
— Vers République.
— Ça tombe bien, moi aussi.
Adrien se retourna vers lui, méfiant.
— Tu me suis ?
— Pas encore, dit Elias en souriant.
Il avait toujours ce ton, mi-vrai mi-blague, qui rendait chaque phrase suspecte. Adrien soupira et commença à marcher. Elias suivit, calme, à côté de lui.
Ils traversèrent quelques rues, leurs pas résonnant sur le trottoir vide. Les voitures passaient par à-coups, et la ville semblait plus tranquille qu’à l’intérieur de la boîte. Adrien n’aimait pas trop les silences à deux. Mais bizarrement, celui-là ne le dérangeait pas.
Elias finit par briser l’équilibre :
— T’as toujours l’air prêt à mordre.
— Normal. C’est pratique.
— Pour quoi ?
— Pour que les gens s’approchent pas trop.
Elias s’arrêta, le força à ralentir.
— Et moi, alors ?
Adrien planta son regard dans le sien. Les pupilles d’Elias brillaient sous la lumière d’un lampadaire, et Adrien sentit de nouveau cette irritation étrange : le mélange d’envie et de refus, le cœur qui bat trop vite alors que le cerveau hurle “fuis.”
— Toi… t’écoutes pas, dit Adrien finalement.
Elias sourit.
— Exact.
Ils reprirent leur marche, et Adrien se détestait de ne pas lui avoir claqué un “dégage.” Mais quelque chose au fond l’empêchait. Peut-être parce qu’il savait que ce “toi” sonnait déjà comme une exception.
Ils arrivèrent au métro. Les grilles étaient déjà fermées, minuit passé depuis longtemps. Adrien soupira.
— Génial. Pas de métro.
— Tu rentres à pied ? demanda Elias.
— J’ai pas le choix.
Elias écrasa sa cigarette encore à moitié intacte contre le bitume.
— Je viens.
Adrien leva les yeux au ciel.
— Sérieux, tu peux pas juste rentrer chez toi ?
— Pas envie.
C’était simple, sec, mais dit avec un calme désarmant. Adrien ne répondit pas. Ils reprirent leur marche, traversant des rues presque désertes. Les réverbères diffusaient une lumière jaune, et la ville semblait avoir ralenti. Adrien aimait ce genre d’instant : quand Paris n’était plus qu’un décor fatigué, un peu sale, mais étrangement rassurant.
Elias brisa encore le silence.
— Tu marches vite.
— Tu parles trop.
Elias rit doucement. C’était la première fois de la soirée qu’Adrien l’entendait vraiment rire, et il détesta l’effet que ça lui faisait. Un truc léger, naturel, qui donnait envie d’en entendre plus.
— T’es pas obligé de me supporter, dit Elias.
Adrien s’arrêta net, surpris.
— Hein ?
— Si vraiment j’te saoule, tu me dis de dégager et j’me barre.
Adrien le fixa. Ça ressemblait à une provocation, mais le ton était sérieux. Elias attendait une réponse, sans sourire. Adrien ouvrit la bouche… et la referma. Parce que le “dégage” restait coincé dans sa gorge.
— … T’es chiant, finit-il par dire.
Elias sourit de nouveau.
— Donc je reste.
Adrien secoua la tête, reprit sa marche, mais il sentait son cœur battre encore plus fort.
Ils arrivèrent sur une grande avenue. Les feux tricolores clignotaient dans le vide, quelques taxis passaient en trombe. Elias s’arrêta au milieu du trottoir, les mains dans les poches.
— Tu sais que tu fais semblant d’être froid, mais que ça marche pas ?
Adrien se retourna, agacé.
— Et toi, tu sais que tu parles comme si tu me connaissais ?
— C’est pas faux, répondit Elias. Mais j’ai pas besoin de beaucoup pour comprendre les gens.
— Et moi, t’as compris quoi ?
Elias le fixa longuement. Trop longuement. Adrien sentit son ventre se tordre sous ce regard.
— Que t’attends juste quelqu’un qui insiste.
Adrien resta muet. Ses lèvres bougèrent, mais aucun mot n’en sortit. Il aurait voulu balancer une réplique cinglante, mais rien ne venait. Et le pire, c’est qu’il savait qu’Elias avait touché juste.
Il détourna les yeux, reprit sa marche en silence. Elias suivit, sans insister davantage. Mais Adrien avait la certitude que cette phrase allait résonner dans sa tête toute la nuit….
porte de son immeuble, le cœur battant un peu trop vite. Il avait prié intérieurement pour qu’Elias lâche l’affaire avant d’arriver jusque-là, mais non. Le gars suivait toujours, calme, comme s’il avait été invité.
Dans le hall désert, Adrien se retourna, les clés à la main.
— Bon. C’est là. Merci d’avoir squatté tout le chemin.
— Tu veux que je parte ? demanda Elias.
Adrien inspira.
— C’est toi qui décides pas, normalement ?
Elias esquissa un sourire, puis haussa les épaules.
— Alors décide.
Adrien le fixa quelques secondes. Il aurait dû dire “oui, barre-toi.” Fermer la porte, couper net. Mais les mots ne sortaient pas. Pas parce qu’il avait peur. Pas parce qu’il ne savait pas comment. Juste parce qu’au fond, il n’avait pas envie.
Il tourna la clé dans la serrure, ouvrit la porte, et lâcha :
— Tu rentres pas.
Puis, après une seconde de flottement :
— … sauf si t’as vraiment rien d’autre à foutre.
Elias sourit franchement, pour la première fois de la nuit. Il entra sans attendre.
Adrien ferma la porte derrière lui et déposa ses clés sur la table du couloir. L’appartement était sombre, un deux-pièces mal rangé, avec des livres empilés un peu partout et un vieux canapé qui prenait la moitié du salon. Elias balaya la pièce du regard, comme s’il cherchait à enregistrer chaque détail.
— T’habites seul ? demanda-t-il.
— Ouais.
— Ça se voit.
Adrien arqua un sourcil.
— Ça veut dire quoi, ça ?
— Ça veut dire que personne te dit de ranger.
Adrien lâcha un petit ricanement, malgré lui.
— T’es gonflé pour un invité surprise.
— Je préfère dire… invité toléré.
Adrien secoua la tête, alla chercher deux verres dans la cuisine et posa une bouteille de coca sur la table.
— J’ai que ça.
— Parfait, dit Elias en s’asseyant sur le canapé.
Il s’installa comme s’il était chez lui, détendu, les bras posés sur le dossier. Adrien s’assit à l’autre bout, volontairement loin. Mais la distance ne changeait rien : Elias avait une présence qui remplissait l’espace.
Ils burent quelques gorgées en silence. Puis Elias tourna la tête vers lui.
— T’as remarqué que t’arrêtes pas de dire “non” mais que tu finis toujours par dire “oui” ?
Adrien leva les yeux au ciel.
— T’analyses toujours tout ?
— Seulement quand ça m’intéresse.
Un silence retomba. Mais cette fois, il était lourd. Adrien sentait son cœur cogner contre sa poitrine. Il savait qu’il devait mettre une barrière, dire un truc clair, couper court. Mais il ne bougea pas. Et Elias non plus.
Puis Elias se pencha légèrement, sans quitter son regard. Pas brusque, pas intrusif. Juste assez pour que l’air devienne électrique entre eux.
— Dis-moi de partir, dit-il doucement.
Adrien ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Ses doigts serraient le verre, ses poumons semblaient coincés. Et il comprit, dans ce silence, que la nuit ne s’arrêterait pas là.
Adrien n’avait jamais été du genre à perdre ses moyens devant quelqu’un. Normalement, il gardait toujours le contrôle, le mur froid qui décourageait les autres. Mais Elias avait trouvé une faille, sans forcer, juste en restant là.
Il posa son verre, doucement, comme pour ne pas briser le silence.
— Tu dis rien, donc je suppose que je reste, murmura Elias.
Adrien voulut répliquer, mais Elias s’était déjà rapproché. Pas brutalement, pas avec un geste qu’on pourrait repousser facilement. Plutôt comme une évidence, comme si l’espace entre eux n’avait jamais eu de raison d’exister.
Adrien se raidit, son souffle plus court.
— Tu devrais pas…
— Je devrais pas quoi ?
Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Adrien sentait son parfum, un mélange discret, pas étouffant. Rien d’agressif. Et pourtant, tout était trop intense.
— T’approcher, lâcha Adrien dans un souffle.
Elias sourit.
— Alors pousse-moi.
Adrien resta figé. Sa main trembla à peine sur l’accoudoir, comme s’il hésitait à le repousser pour de vrai. Mais il ne le fit pas. Et Elias, patient, attendait, ses yeux plantés dans les siens.
Le silence devint insupportable. Adrien céda. Pas complètement, pas un abandon total, mais juste assez : il laissa ses doigts effleurer la manche d’Elias, comme un aveu maladroit qu’il n’osait pas formuler.
Elias posa sa main sur la sienne, ferme mais pas possessif.
— Voilà, dit-il doucement. Tu vois ? Rien de compliqué.
Adrien ferma les yeux une seconde. Sa tête criait de reculer, de briser ce moment avant qu’il devienne irréversible. Mais son corps, lui, ne bougeait pas.
Elias s’approcha encore, assez pour que leurs souffles se mélangent. Adrien sentit la chaleur de ses lèvres sans qu’elles se touchent encore. Il se surprit à attendre, à désirer. Et ça, c’était ce qui l’effrayait le plus.
— Tu veux ? demanda Elias, la voix basse.
Adrien déglutit. Sa réponse n’eut pas besoin de mots. Il ne recula pas.
Et quand leurs lèvres se rencontrèrent enfin, ce fut d’abord un choc : rapide, maladroit, comme si Adrien voulait tester avant de s’engager. Mais Elias suivit, patient, sans brusquer. La douceur inattendue fit exploser les défenses d’Adrien. Son cœur battait si fort qu’il avait peur que l’autre l’entende.
Il recula brusquement, une seconde après, essoufflé.
— Putain…
Elias le fixa, calme.
— Trop ?
Adrien détourna les yeux.
— Pas assez.
Un silence tendu, puis Elias rit doucement, un rire qui allégea tout d’un coup. Adrien se laissa retomber contre le canapé, la main encore serrée dans la sienne.
Et pour la première fois depuis longtemps, il ne pensa pas à fuir….
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