NovelToon NovelToon

Pardonne-moi De T’Aimer

Une promesse au goût de pizza

La maison des Brown avait toujours eu cette atmosphère chaleureuse qui manquait cruellement à Leif. Le salon baignait dans la lumière dorée d’un après-midi de printemps, les manuels de mathématiques étalés sur la table basse au milieu d’un désordre organisé de feuilles volantes et de stylos.

« Tu comprends rien ou tu fais exprès ? » lança Maël, exaspéré, en jetant son crayon d’un geste théâtral.

Leif leva les yeux de sa copie, un sourire en coin. À seize ans, il avait déjà cette assurance tranquille qui imposait le respect, même à ses amis. Sa voix ne montait jamais vraiment ; elle avait cette fermeté douce qui faisait taire sans écraser.

« C’est toi qui compliques tout. Regarde. »

Il se pencha vers le cahier de Maël, leurs épaules se frôlant. Sa main traça une équation, ses explications patientes découpant la logique comme une évidence. C’était ça, Leif : transformer le chaos en clarté.

Un bruit de pas dévala l’escalier. Rapide, léger. Il ne leva pas la tête tout de suite, mais quelque chose en lui se tendit imperceptiblement.

« Maël, maman dit que… »

La voix s’interrompit net.

Quand Leif redressa enfin les yeux, il vit Chrysander. Pieds nus, les cheveux en bataille, probablement réveillé d’une sieste improvisée. Dix ans. L’air encore enfantin… mais les yeux, eux, n’avaient rien d’innocent. Des yeux clairs, vifs, qui semblaient sonder plus qu’ils ne regardaient.

Un instant, ils se fixèrent. Et Leif eut la sensation étrange que le temps suspendait son souffle.

« Qu’est-ce que maman dit ? » marmonna Maël, absorbé par son brouillon.

Chrysander cligna des paupières, comme s’il sortait d’un rêve.

« Qu’elle rentre tard ce soir. Papa aussi. »

« Cool, pizza surgelée au menu », grommela Maël.

Mais Chrysander ne bougea pas. Il resta là, planté, le regard fixé sur Leif avec une intensité presque dérangeante.

Leif, pour une raison qu’il ne s’expliqua pas, brisa le silence :

« Tu veux qu’on commande une vraie pizza ? »

Le sourire qui éclata sur le visage de l’enfant eut un effet inattendu : un serrement, léger mais réel, dans la poitrine de Leif.

« Tu restes dîner ? »

« Si ça vous dérange pas. »

« Ça me dérange pas », répondit Chrysander trop vite, ce qui fit rire Maël.

« Toi, on t’a rien demandé, microbe. »

« Je suis pas un microbe ! » répliqua Chrysander, vexé.

« Maël », coupa Leif d’un ton calme mais ferme. Juste assez pour imposer le silence.

Le petit lui lança alors un regard différent. De la gratitude. De l’admiration.

La fin de journée se déroula comme suspendue. Maël finit par comprendre ses équations. Chrysander s’installa près d’eux avec un livre, mais ses yeux revenaient sans cesse, furtivement, vers Leif. Et Leif… faisait semblant de ne pas remarquer.

Ce n’était rien. Juste un gamin qui admirait l’ami de son frère. Rien de plus.

Alors pourquoi cette sensation étrange au creux du ventre ?

Quand la pizza arriva, Chrysander se débrouilla pour s’asseoir à côté de lui. Quand ils mirent un film, il se blottit contre son flanc avec la désinvolture désarmante de l’enfance. Et quand Leif dut partir, vers vingt-deux heures, Chrysander traîna des pieds jusqu’à la porte.

« Tu reviens quand ? »

Question simple, innocente. Mais elle fit quelque chose à Leif qu’il ne sut pas nommer.

« Bientôt », promit-il.

En rentrant chez ses grands-parents, pédalant sous un ciel piqué d’étoiles, Leif réalisa que cette promesse avait le goût d’un serment silencieux. Il ne savait pas encore pourquoi… mais il savait qu’il la tiendrait.

L’ange et les ombres

« Chrys ! Par ici ! »

Aurora agitait les bras au milieu de la cour, ses cheveux roux éclatant sous le soleil de midi. Chrysander Brown lui répondit d’un sourire éclatant.

Il traversa la cour, ses amis déjà attroupés autour de leur banc habituel. Grayson, l’éternel blagueur, se battait avec son sac à dos, et Morgan pianotait sur son portable.

« Encore en retard », fit remarquer Morgan sans lever les yeux.

« Je fais mon entrée », répliqua Chrysander avec une révérence exagérée qui arracha des rires.

Les regards suivaient chacun de ses gestes. Depuis qu’il était arrivé au collège, Chrysander avait cette aura magnétique. Doux, souriant, presque irréel avec ses traits délicats, il était devenu le garçon qu’on saluait toujours, qu’on complimentait, qu’on voulait approcher.

« T’as vu la tête de Mme Rivers quand t’as rendu ton contrôle d’histoire ? » lança Grayson.

Chrysander éclata de rire.

« Elle croyait que j’avais copié, non ? »

« Évidemment ! Qui décroche 19 sans tricher ? »

« Moi », dit-il en haussant innocemment les épaules.

Ils rirent encore. C’était ça, le rôle de Chrysander : l’ange du collège, celui qui plaisait à tout le monde. Et ça marchait. Les professeurs le voyaient comme un modèle. Les autres élèves l’admiraient.

Mais ses trois amis savaient. Eux seuls voyaient les colères soudaines, les éclats d’orgueil, l’impatience derrière le masque.

Aurora plissa les yeux, moqueuse :

« Tu fais ton sourire parfait, là. Ça veut dire que t’as envie de frapper quelqu’un. »

« Peut-être », répondit-il avec un petit sourire trop poli.

Quelques heures plus tard, dans les toilettes du collège.

Chrysander s’appuya contre le lavabo, passant de l’eau fraîche sur son visage. La porte grinça.

« Eh, Brown. »

Il releva la tête. Luca Harrison entra, accompagné de deux autres élèves. Le type parfait pour jouer au petit chef : grand, costaud, et persuadé que tout le monde devait lui céder la place.

« Alors comme ça, monsieur le chouchou des profs pense qu’il est intouchable ? » ricana Luca.

Chrysander essuya son visage avec calme.

« Tu veux que je signe un autographe ? »

Les deux garçons derrière Luca éclatèrent de rire. Mauvais choix : Luca fronça les sourcils, vexé. Il avança d’un pas.

« Fais pas le malin, Brown. T’as pas tes copains ici. »

Chrysander redressa la tête. Son sourire disparut. Dans ses yeux, une étincelle sombre passa.

« Tu crois que j’ai besoin d’eux pour te remettre à ta place ? »

Le silence tomba. Puis, en quelques mots secs, en quelques piques bien choisies, Chrysander démontra tout. La nullité de Luca en sport, ses mauvaises notes, la peur ridicule qu’il avait de sa propre mère. Ses mots claquaient, incisifs, comme des lames invisibles.

Luca blêmit. Ses amis ne riaient plus.

Chrysander approcha, un rictus aux lèvres.

« Retente un jour de me parler comme ça, et tu verras si je suis l’ange que tout le monde croit. »

Il sortit, laissant les trois garçons médusés derrière lui.

Le soir venu, dans sa chambre, Chrysander s’effondra sur son lit. Le silence de la maison pesait. Il tira son carnet de croquis de sous l’oreiller. Les pages s’ouvrirent toutes seules à un dessin inachevé : un visage.

Leif.

Son crayon s’attarda sur la ligne de la mâchoire qu’il n’avait pas finie. Il fixa le dessin longtemps, trop longtemps.

« Pourquoi tu viens plus ? » murmura-t-il pour lui-même.

Depuis quelques mois, Leif avait trouvé mille excuses pour éviter la maison des Brown. La fac, le travail, les examens… toujours une raison. Toujours un sourire poli.

Chrysander posa son crayon. Sa poitrine se serra.

Il n’aimait pas l’admettre, mais il lui manquait. Plus qu’il n’aurait dû.

« Tu m’évites », chuchota-t-il en traçant distraitement une ombre sur le papier, « Tu finira par réapparaître . »

Il referma brutalement le carnet, comme pour étouffer son propre aveu.

Puis, allongé dans l’obscurité, il resta là, les yeux ouverts, fixant le plafond.

Un ange pour le monde entier.

Un garçon obsédé et impatient, quand il était seul.

La pause

La cloche sonna depuis déjà plusieurs minutes et la cour s’était vidée peu à peu. Chrysander attendait toujours. Assis sur les marches, il fixait la grille du collège, le menton posé sur sa main. Ses amis l’observaient de loin, installés sur leur banc habituel.

« Tu vas finir par geler sur place », lança Grayson, amusé.

Aurora roula des yeux. « Il attend encore ton cher Leif. »

« C’est pathétique », ajouta Morgan sans lever les yeux de son portable.

Chrysander ne répondit pas. Il se contenta de tapoter du pied, agacé. Leif avait promis. Et quand il promettait, il devait tenir.

Un grondement de moteur monta soudain au loin. La tête de Chrysander se redressa aussitôt.

La moto s’engagea dans l’allée. Leif, casque noir sur la tête, ralentit avant de couper le moteur devant la grille.

Chrysander croisa les bras, déjà boudeur.

« T’es en retard », lâcha-t-il d’un ton sec.

Leif retira son casque, dévoilant son sourire calme.

« Salut à toi aussi. »

Il leva ensuite une main vers les trois sur le banc.

« Hey. »

Aurora lui répondit par un signe de la main enjoué.

« Salut, Leif ! Toujours aussi classe. »

Grayson siffla d’un air moqueur. « On dirait un héros de film. »

Morgan haussa simplement les épaules, mais ses yeux suivaient la moto avec envie.

Leif les salua d’un signe de tête avant de reporter son attention sur Chrysander.

« Alors ? Tu voulais me voir. »

Chrysander haussa les sourcils.

« J’voulais pas. Tu avais dit que tu passerais. »

« Et je suis passé », répondit Leif simplement.

Le silence s’installa quelques secondes. Chrysander mordilla l’intérieur de sa joue.

« T’évites encore la maison », lâcha-t-il enfin, plus bas.

Leif ne répondit pas tout de suite. Son regard, tranquille en apparence, se détourna vers la cour vide.

« J’ai beaucoup de boulot à la fac. »

« Mensonge. »

Leif soupira. Il connaissait trop bien cette mine boudeuse, ces lèvres pincées, ces yeux brillants de reproches.

« Tu deviens insupportable quand tu décides d’avoir raison. »

« Parce que j’ai raison », répliqua Chrysander sans ciller.

La cloche retentit de nouveau, appelant les élèves à retourner en classe. Grayson et Morgan se levèrent, Aurora fit un clin d’œil à Chrysander avant de partir.

« On dirait que t’as gagné ton pari », souffla-t-elle. « Il est venu. »

Chrysander rougit à peine, mais détourna vite la tête.

« À plus tard », lança Leif en remettant son casque.

Chrysander serra les poings, partagé entre l’envie de le retenir et l’orgueil de ne pas supplier.

« Tu repasseras demain ? »

Leif hésita une fraction de seconde, puis hocha la tête.

« On verra. »

Il enfourcha sa moto, démarra, et disparut dans le vrombissement du moteur.

Chrysander resta planté devant la grille encore quelques secondes, l’air contrarié. Puis il finit par tourner les talons, le cœur battant trop vite sans qu’il comprenne pourquoi.

Le silence retomba comme toujours les jours depuis quelques temps.

Chrysander descendu dans la cuisue.L'air frais de novembre le saisit. La terrasse était déserte, éclairée seulement par les lumières du salon qui filtraient à travers les rideaux.

Chrysander s'accouda à la rambarde, tournant le dos à la maison.

Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!

téléchargement PDF du roman
NovelToon
Ouvrir la porte d'un autre monde
Veuillez télécharger l'application MangaToon pour plus d'opérations!