Ici… il n’y a pas de justice.
Seulement des lois gravées par une entité et du sang versé pour les défendre. Elle décide qui vit dans la lumière… et qui pourrit dans l’ombre.
Les riches et les nobles s’épanouissent et achète leur salut, les pauvres… se taisent, ou disparaissent.
Les maréchaux sillonnent les rues comme des ombres armées.
Derrière leurs armures, il n’y a ni pitié ni visage.
On dit qu’ils ne dorment jamais.
Qu’ils ne vivent que pour tuer au nom de la Tour de la Vierge.
Au-delà des murs des grandes cités, les villages suffoquent.
Les bonnes sœurs offrent du pain… en échange de votre nom, de vos terres, de votre liberté.
Refusez, et vous mourrez.
Certains résistent encore…
On les appelle les protestants.
Ils se cachent dans l’ombre, rêvant de voir la tour brûler.
Mais leurs rêves se fanent dans la boue, la famine et la peur.
Cela dure depuis deux siècles.
Assez longtemps pour que même les morts aient oublié la vérité.
Pourtant, une prophétie persiste…
Celle qui parle d’un jeune homme prisonnier de la pierre et des huit cartes du tarot maudit, on dit qu’un jour il se réveillera, et qu’il réduira en cendre les royaumes.
Et je sais, au plus profond de moi… que la fin est imminente.
— Grand-mère, tu ne devrais pas leur raconter ça… murmura une voix grave à l’entrée. Si quelqu’un l’apprenait, cela pourrait nous coûter cher.
Elijah venait de franchir le seuil de la maisonnette en bois. Ses épaules larges ployaient sous un sac de blé fraîchement récolté, dont l’odeur de terre et de soleil s’invitait aussitôt dans la pièce. Son regard se posa sur sa grand-mère, assise près du foyer. Autour d’elle, un cercle d’enfants du village des Lys Blanc, les yeux brillants, buvaient chacune de ses paroles comme s’il s’agissait d’un trésor interdit.
— Grand frère ! protesta l’un d’eux. Ne gronde pas mami, on adore ses histoires !
— Oui, c’est vrai ! renchérit une petite fille, les joues rosies par l’excitation. Mami raconte les plus belles histoires du monde !
La vieille dame esquissa un sourire tendre et tapota doucement ses genoux.
— Tu vois, mes petits-enfants adorent m’écouter, dit-elle d’une voix douce, encore chaude de malice.
Elijah soupira et posa son sac. Ses traits se durcirent, mais dans son regard perçait une inquiétude sincère.
— Très bien… raconte-leur ce que tu veux. Mais pas cette histoire-là, grand-mère. Tu sais très bien pourquoi.
Un silence pesant tomba. La vieille femme baissa les yeux, puis fit signe aux enfants de sortir jouer. Les rires s’évaporèrent avec eux, et la petite maison sembla aussitôt s’assombrir, envahie d’une gravité sourde.
— Elijah, dit-elle doucement, ils grandiront dans ce monde. Leur cacher la vérité ne les protégera pas. La mort peut frapper à tout moment… et cette prophétie, aussi fragile qu’elle soit, reste notre dernier espoir.
Le jeune homme serra les poings. Ses mâchoires se crispèrent, et sa voix, lorsqu’il répondit, vibrait d’une colère contenue.
— Tu le dis toi-même… ce n’est qu’une histoire. Leur donner de l’espoir, c’est les condamner. C’est cet espoir qui a tué mes parents… et mes frères… et mes sœurs.
Un voile de tristesse passa dans les yeux de la vieille femme.
— Elijah… souffla-t-elle, la gorge serrée.
— Je ne veux plus perdre ma famille. Je n’ai plus que toi, grand-mère. Plus que ce village. Vous êtes ma raison de vivre… et mon devoir est de vous protéger, même si je dois porter ce poids seul.
Des larmes perlèrent dans les yeux ridés de la vieille femme, mais son sourire resta tendre, vibrant d’un amour infini.
— Je suis désolée… je ne voulais pas rouvrir tes blessures. Je t’aime tellement, mon petit ange.
Elijah ferma les yeux et posa sa main calleuse sur celle de sa grand-mère.
— Je t’aime aussi. Et ne t’en fais pas… tu n’as rien fait de mal. Ce monde est cruel. Plus tôt les enfants comprendront, mieux ils pourront survivre.
La vieille femme hocha la tête, émue.
— Nous avons de la chance de t’avoir, Elijah.
Un faible sourire étira les lèvres du jeune homme.
— Non, c’est moi qui ai la chance de vous avoir.
Un court silence retomba, seulement troublé par le crépitement du feu. Puis la vieille femme se redressa, comme si un souvenir soudain venait de lui traverser l’esprit.
— Oh, j’allais oublier… As-tu entendu les rumeurs ?
Le jeune homme arqua un sourcil.
— Tu parles du mariage de l’héritière des Han ? Tout le monde en parle au village.
— Sa cérémonie a été interrompu, ils se seraient passé quelque chose, beaucoup disent que c'est à cause de l’orage mais ce matin tous les dirigeants ainsi que certains maréchaux et partisans de la Tour de la Vierge ont été convoqué par l’empereur d’urgence.
— Ils se sont tous rendu dans les hautes montagnes ?
— Quelques choses se prépare !
— Pas de panique, je vais essayer d’en savoir plus, reste à la maison, d’accord ?.
— d’accord, fait attention à toi !
Elijah sorti de la maisonette et se dirigea vers le petit stand d’approvisionnement que tennait Nel son meilleur ami avec son père.
— T’as déjà fini ta tourné ? Demanda Nel en voyant Elijah approché
— Oui j’ai livré le blé à toutes les familles, demain ils pourront la tamiser et en faire de la farine.
— Heureusement que t’es la pour nous aider et nous guider, sans toi ce village mourrait de fin. Affirmait le père de Nel.
— Ne dîtes pas ça se sont nos efforts à tous.
— Toujours aussi humble, t’es un bon petit, vous l’êtes tous les deux, je suis tellement fière de vous.
— Merci papa !
— Merci oncle Harris. Oh d'ailleurs, est-ce que vous en savez plus sur cette affaire concernant Nüwa, l’héritiere des Han ?
— Le frère du vieux Bei Xu, confirme que toutes les figures politique et puissante des 12 royaumes ce sont rendus dans les hautes montagnes, les informations sont confidentiels mais ceux présents durant la cérémonie de mariage disent que lorsque l’orage a grondé, la jeune demoiselle est tombé en transe, elle aurait eu une prophétie, les dieux l’ont parler.
— Devrions nous nous inquiéter ? Pour les élites tout prétexte est bon pour s'attaquer à nos villages, combien de peuples ont disparus, génocider durant ces dernières années, combien de pertes humaines ?
— Nel ne t'inquiètes pas, je vais me rendre dans les cités, après avoir vendu les sacs de blé restant, je vais me renseigner, peut-être que j’en saurai plus. Si ils se sont tous réunis c'est que ce qu’à vu Nüwa est d’une gravité qu’on ne peut imaginer.
— Pas besoin de te rendre dans les cités, Yann, le fils de Melma et Hanz, revient ce soir pour fêter son anniversaire, il a éveillé un pouvoir puissant et peu désormais étudier avec les enfants des élites. Il doit sûrement savoir quelque chose.
— Yann revient ?! s’exclama Nel, les yeux brillants. C’est une excellente nouvelle ! Ça fait si longtemps qu’on ne l’a pas vu ! Depuis qu’il a été emmené par les maréchaux… il n’a jamais donné signe de vie.
Elijah esquissa un sourire nostalgique.
— Le trio, enfin réuni.
Le soir venu, le village des Lys Blanc se parait de joie. Dans la grande clairière centrale, les habitants s’étaient rassemblés autour de longues tables de bois. On partageait du pain chaud, des ragoûts fumants et du vin fruité. Les récoltes avaient été abondantes cette saison, la chasse favorable, et les transactions dans les cités plus profitables que d’habitude. Pour une fois, la peur et la misère s’étaient éclipsées au profit de la fête.
Les musiciens frappaient des tambours faits main, les enfants couraient entre les bancs, et les anciens levaient leurs gobelets en riant. Mais au milieu de cette atmosphère, une vérité silencieuse flottait : si le village survivait encore aujourd’hui, c’était en grande partie grâce à Elijah.
Quatre ans plus tôt, lorsque les soldats de la Tour avaient attaqué, il avait tout perdu : ses parents, ses frères et sœurs, sa vie d’autrefois. Le même jour, Yann avait été emmené par les maréchaux, marqué par l’éveil d’un pouvoir élémental rare. Depuis, la population avait diminué, brisée par les guerres et la famine. Et pourtant, Elijah s’était relevé. Grâce à lui, la culture des champs avait repris, la pêche nourrissait de nouveau les familles, et le commerce leur donnait une chance de subsister. Il s’était offert tout entier au village.
Alors ce soir, les villageois avaient décidé de lui rendre hommage.
— Levons tous nos verres pour Elijah ! s’écria Harris, la voix vibrante. Sans lui, le village des Lys Blanc aurait sombré dans l’oubli et la mort !
— À Elijah ! reprirent les villageois d’une seule voix, les gobelets levés vers le ciel.
Un sourire sincère fendit le visage d’Elijah.
— Merci… Merci à tous. Vous me comblez déjà de joie en vous voyant heureux. C’est ça, ma seule récompense.
— Assez parlé ! lança Nel en riant. Allez, tout le monde, dansez, chantez ! Ce soir, on fête jusqu’à demain !
Les tambours reprirent, plus puissants, les chants s’élevèrent. Les villageois se laissèrent emporter par l’ivresse de la fête, ignorant que dans l’ombre, une silhouette les observait depuis plusieurs minutes.
Yann était là.
Ses parents, occupés à féliciter Elijah, ne l’avaient même pas remarqué. Le jeune homme serra les poings. Une colère glaciale émanait de lui, palpable comme un souffle d’hiver. Puis, d’un geste brutal, il relâcha son pouvoir.
Un vent tranchant traversa la place. Les torches vacillèrent. Le froid mordit la peau. Et en un instant, la musique s’éteignit, les rires se figèrent, les visages se tournèrent vers lui.
Un silence pesant s’abattit sur la fête.
Sa mère fut la première à réagir. Ses yeux s’embuèrent tandis qu’elle reconnaissait enfin son fils.
— Yann… ? C’est bien toi ? Tu es rentré… mon fils !
Le jeune homme fit un pas en avant. Ses yeux sombres brûlaient d’une colère contenue. Sa voix, grave et tranchante, résonna comme un jugement.
— Je peux savoir ce qui se passe ici ?
Son père, interloqué, fronça les sourcils.
— Que veux-tu dire par là ? Nous avons organisé une fête en l’honneur d’Elijah. Tu te souviens, vous étiez les meilleurs amis… avant ton départ.
Un sourire amer tordit les lèvres de Yann.
— Une fête… en son honneur ? Alors que je m’abaisse à revenir dans ce village misérable, vous célébrez un simple paysan ? Un vendeur de blé ?
Un frisson parcourut l’assemblée. Les villageois échangèrent des regards inquiets, choqués par son ton méprisant.
— Fils ! s’exclama son père, rouge de colère. Surveille ton langage ! N’étais-tu pas toi aussi un paysan avant d’être emmené ? Tu pêchais du poisson, comme tout le monde, et tu étais fier de le faire !
— Ferme-la ! rugit Yann, ses yeux lançant des éclairs. Et ne t’avise plus jamais de prononcer une telle absurdité. Savez-vous seulement qui je suis devenu aujourd’hui ? Je suis membre de l’élite. Je fréquente les nobles, les descendants des hommes les plus puissants de ce monde ! J’ai eu l’honneur d’être en présence de l’héritière des Han, la sublime Nüwa… et vous, vous osez encore m’ignorer ?
Un murmure parcourut la foule. Le ton méprisant du jeune homme glaça le cœur de ceux qui, quelques minutes plus tôt, se réjouissaient de son retour.
Nel, le visage durci par la colère, fit un pas en avant.
— Yann, pourquoi parles-tu ainsi ? Nous sommes heureux pour toi ! C’est une fierté pour tout le village de te voir parmi les élites. Mais n’oublie pas : ces quatre dernières années, c’est Elijah qui nous a permis de survivre. Nous sommes paysans, oui, et nous en sommes fiers. Ne nous rabaisse pas.
Yann eut un rire froid, presque moqueur.
— Fiers ? Dans ce cas, montrez-le. Prosternez-vous devant moi. Félicitez-moi pour mon ascension. Désormais, je suis le bienfaiteur de ce village. À genoux, et je vous promets que plus jamais vous n’aurez à mendier ou à labourer cette terre misérable pour vous nourrir.
Les visages s’assombrirent. Un mélange de peur et d’indignation traversa l’assemblée. Elijah avança à son tour, son regard brûlant d’une détermination inébranlable.
— Tu vas trop loin, Yann. Adresse-toi correctement à nos aînés. Personne ici ne se prosternera devant toi. Ton pouvoir et ton statut ne te donnent pas le droit de nous humilier.
Mery, la grand-mère d’Elijah, se leva, tremblante mais ferme.
— Nous n’avons pas besoin de ton aide, Yann. Alors va-t’en. Quitte ce village si tu n’es plus des nôtres !
— Pour qui est-ce que tu te prends, sale gamin ? hurla oncle Harris, le visage rouge de colère.
Yann tourna lentement la tête vers lui. Ses yeux se rétrécirent, et sa voix se fit glaciale.
— Baisse le regard quand tu t’adresses à moi, vieux débris.
Il leva une main, et une bourrasque invisible frappa Harris de plein fouet. L’homme fut projeté en arrière et s’écrasa lourdement dans un tas de bois mort. Les cris d’effroi fusèrent, des femmes accoururent, les enfants pleurèrent.
Nel, hors de lui, serra les poings et bondit en avant. Mais une poigne ferme l’arrêta : le père de Yann lui bloquait le passage. Ses yeux, embués de larmes, se posèrent sur son fils.
— Yann… Comment as-tu pu ? Cet homme… ces gens… tout ce village, ce sont les tiens ! N’est-ce pas ta famille ?
Un silence pesant tomba. Yann balaya la foule d’un regard froid, presque dégoûté.
— Retire ce que tu viens de dire, père. Je ne suis lié d’aucune manière à ces paysans. Ces… sales mendiants ne sont rien pour moi. Rien.
Un frisson parcourut l’assemblée. Le silence n’était plus seulement de la peur, mais de la douleur. Ce n’était plus le fils prodigue qui se tenait devant eux… mais un étranger.
Elijah fit un pas vers lui, les poings serrés. Sa voix claqua, ferme et sans trembler :
— Si tu nous méprises autant, alors pourquoi es-tu revenu ? Personne ne t’a forcé à franchir ces portes. On se fiche de tes pouvoirs, de ton titre et de ton élite. Ici, nous sommes une famille. Nous sommes fiers de ce que nous sommes. Et si ça ne te convient pas… alors pars. Laisse-nous en paix.
Un sourire cruel tordit les lèvres de Yann.
— Tu te crois au-dessus de moi ? Tu crois qu’ils t’admirent ? Tu n’es qu’un moins que rien, Elijah. Si je le voulais, je réduirais ce village en cendres, et vous finiriez tous mendiants, écrasés sous la boue. Alors réfléchissez bien. Il n’est pas trop tard pour plier le genou devant moi.
Sa mère se redressa, la voix brisée mais ferme.
— Fils… il vaut mieux que tu partes.
Yann se figea, les yeux écarquillés.
— Qu’as-tu dit… ?
— Je ne sais pas ce qu’ils t’ont appris là-bas, reprit-elle, mais tu es devenu comme eux. Comme ces hommes de la Tour qui massacrent des innocents au nom de leur supériorité. Tu n’es plus mon fils… Pas tant que tu parleras ainsi. Alors pars. Et ne reviens que lorsque tu auras retrouvé ton cœur.
Un éclat de rage passa dans le regard de Yann.
— Tu oses me chasser ? Tu préfères ce… ce sale paysan à ton propre fils ? Regarde-moi ! J’ai réussi ! Je suis des leurs, je suis de l’élite ! N’es-tu pas fière ? Si tu viens avec moi, mère, je t’offrirai une vie digne, loin de cette misère. Toi aussi, père. Quittons ce trou de rats !
Mais son père secoua lentement la tête. Sa voix, grave et ferme, résonna dans le silence.
— Nous n’irons nulle part, Yann. Ici, c’est notre maison.
— Yann… murmura Elijah, la voix lourde d’un avertissement. Tu devrais rentrer avant de..
— Toi, tais-toi ! rugit Yann, ses yeux emplis de haine. Tout est de ta faute ! Tu te crois supérieur, tu crois qu’ils t’admirent plus que moi ! Mais je vais te remettre à ta place. Tu seras le premier à te prosterner devant moi. Et tous les autres suivront… Vous me supplierez de vous sauver. Retenez bien mes mots.
— Fils… tenta encore son père.
Yann se détourna brusquement, ses pas claquant dans le silence figé.
— Tu seras fière de moi, père. Je le jure.
Et il quitta la place sans un regard en arrière.
Un silence pesant s’abattit. Ses parents, honteux, s’excusèrent de son comportement. Il fallut de longues minutes pour que les villageois, encore secoués, reprennent le fil de la fête. Les rires et les chants reprirent timidement, mais quelque chose s’était brisé.
Au milieu des danses, Elijah resta à l’écart. Son regard se perdit dans la nuit, le cœur serré. Une ombre grandissait en lui, une intuition froide : ce soir n’était pas la fin d’une dispute… mais le commencement de quelque chose de bien plus sombre.
Il ignorait encore si ce pressentiment venait des paroles de Yann… ou de la prophétie de Nüwa.
Dans les hautes montagnes, là où l’air se raréfie et où les nuages s’enroulent autour des cimes comme des serpents brumeux, se tenait le plus grand rassemblement de l’ère.
Sous la vaste voûte de marbre noir du Palais des Brumes, les flammes des torches vacillaient, incapables de dissiper l’atmosphère lourde qui pesait sur l’assemblée.
Les cinq grands maréchaux se tenaient debout, alignés devant le trône impérial. Leur simple présence faisait trembler la salle :
• Eto Valez, colosse taciturne à la barbe de fer, dont la hache massive reposait contre son épaule.
• Dame Enola, drapée dans des voiles écarlates, ses yeux perçants scrutant chaque visage comme pour sonder les âmes.
• Henpton Lee, fin stratège au regard froid, les doigts toujours posés sur la garde de son sabre.
• Ishan Var, aux cicatrices innombrables, qui semblait un mur vivant, forgé par des décennies de guerre.
• Et enfin Lady Deville, silhouette sombre à la chevelure argentée, dont la simple voix pouvait glacer le sang.
Derrière eux, rassemblés en un demi-cercle, se trouvaient les chefs des douze royaumes, les rois et seigneurs les plus puissants de l’Empire, accompagnés de leurs généraux et de leurs plus fidèles soldats. Parmi eux, l’imposant Barton Reiz, chef de guerre redouté, veillait sur ses hommes comme un lion sur sa meute.
Mais toute l’attention convergeait vers le trône impérial, où siégeait Han Xūxi, l’Empereur de l’Empire Han. Sa stature imposante et son regard sévère imposaient silence et respect. À ses côtés se tenait sa fille, Nüwa, encore pâle, ses mains tremblantes serrées contre sa robe blanche, ainsi que Zhang Hao, son fiancé, dont la main crispée sur la garde de son épée trahissait l’inquiétude.
Un silence pesant régnait, seulement brisé par le craquement du feu dans les braseros. Enfin, la voix de l’Empereur résonna, grave et tranchante :
— Ma fille, Nüwa, tu as vu ce que nul ne devait voir. Les dieux eux-mêmes t’ont parlé. Devant ces hommes, devant ces femmes, tu vas répéter ta vision. Que chacun ici mesure la gravité de nos choix.
Nüwa inspira profondément, mais son souffle s’étrangla. Elle ferma les yeux, et déjà, son corps se mit à trembler. Elle se revoyait encore, plongée dans la tempête, ses oreilles déchirées par le tonnerre, ses yeux brûlés par les visions. Elle dut s’agripper au bras de Zhang Hao pour ne pas s’effondrer.
Sa voix, faible au départ, emplit peu à peu la salle.
— Les dieux… m’ont montré les cartes du Tarot maudit. J’ai vu les fils du destin s’entrelacer, les royaumes consumés par le feu, et la fin de notre ère… Huit ombres sont apparues devant moi. Leurs noms me furent soufflés comme un jugement irrévocable.
Un frisson parcourut l’assemblée. Certains guerriers serrèrent leurs armes, d’autres rois échangèrent des regards inquiets. Mais Nüwa poursuivit, malgré ses larmes.
— Le premier… La Divinatrice. Une silhouette voilée, sans visage, autour de laquelle tournaient des dizaines de cartes, animées d’une volonté propre. Ses yeux voyaient au-delà du présent, au-delà du temps.
Un murmure s’éleva. Dame Enola fronça les sourcils.
— Une entité de clairvoyance… si cet être existe, il est capable de manipuler le destin lui-même.
Nüwa serra ses mains contre sa poitrine et continua.
— Le deuxième… Le Marchand de la Mort. Un chevalier squelette, son armure brisée résonnant comme un glas, marchant dans les décombres. Il portait sur son dos un sac… un sac de farine pourrie. Là où il passait, il ne restait que famine et ruine.
À ces mots, Barton Reiz frappa le sol du plat de sa lance.
— Des chimères ! Un squelette marchant parmi nous ? Ce ne sont que des contes pour effrayer les enfants.
Mais Lady Deville le fit taire d’un simple regard glacé.
— Continue, Nüwa.
La voix de la jeune héritière se brisa, mais elle n’eut pas le choix.
— Le troisième… Le Voyageur. Un jeune homme… Il marchait seul, un sac à dos sur l’épaule, au milieu de cadavres empilés. Ses pas ne faisaient aucun bruit, mais derrière lui s’étendait la désolation.
Un silence pesant suivit. Henpton Lee serra son sabre.
— Un messager de mort déguisé sous une innocence trompeuse.
Nüwa pleura, mais continua.
— Le quatrième… L’Ange Déchu. Ses ailes noircies, son auréole brisée, mais il… il souriait. Un sourire effroyable, empli de mépris pour les vivants et pour les dieux eux-mêmes.
À ces mots, plusieurs moines de la Tour de la Vierge se signèrent, effrayés. La présidente Soul-Maria baissa les yeux, et sa fille Senna murmura une prière.
— Le cinquième… Le Mangeur de Givre. Un démon des blizzards. Sa peau entière était de glace, ses yeux blancs comme la neige… Il avançait dans une plaine rouge de sang, et partout où il posait le pied, tout mourrait gelé.
Eto Valez grogna, serrant sa hache.
— Un tel monstre, je l’abattrai de mes propres mains.
Mais Nüwa n’entendit pas. Ses yeux brillaient d’effroi.
— Le sixième… La Guérisseuse. Une enfant de Gaïa, le corps couvert de lianes et de fleurs. Mais ses racines perçaient la chair, brisaient les os… Elle guérissait et détruisait tout à la fois. Sa douceur n’était qu’un masque, sa puissance… inarrêtable.
Un long frisson parcourut la salle. Certains commencèrent à se lever, protestant que cela relevait de l’hérésie, que ces paroles ne pouvaient venir des dieux. Mais l’Empereur fit un geste, et le silence revint.
Nüwa, au bord de l’épuisement, prononça la suite d’une voix tremblante.
— Le septième… Le Fabricant de Sable. Un démon nomade, né dans le désert. Partout où il passait, il ne restait qu’une traînée de poussière, et les vents portaient l’odeur de la mort. Son corps n’était que sable, son souffle… une tempête.
Le silence devint étouffant. Chaque mot semblait un fardeau supplémentaire pesant sur les épaules de l’assemblée.
Enfin, Nüwa leva les yeux vers son père. Ses lèvres tremblèrent, mais elle dit ce qu’elle redoutait le plus.
— Et le dernier… Le Cartomancien. Un démon coincé dans la pierre, percé d’aiguilles et de fils. Ses mains pouvaient recoudre le destin, mais au prix de l’anéantissement. Il est… celui que les dieux craignent. Celui qui déclenchera la fin, la mauvaise fortune.
La salle entière bascula dans la stupeur. Un silence de mort tomba, si lourd qu’on pouvait entendre les battements de cœur des plus faibles.
Puis un brouhaha éclata : des rois crièrent au blasphème, des maréchaux s’accusèrent entre eux, certains parlèrent de guerre préventive, d’autres de rituels pour briser la prophétie.
Mais au milieu du tumulte, Nüwa se replia sur elle-même, sanglotant, revivant encore et encore la vision.
Elle avait vu les huit ombres. Elle avait senti la fin approcher.
Et dans un murmure presque inaudible, elle souffla :
— Ils sont déjà parmi nous.
Le silence pesant qui avait suivi les paroles de Nüwa se brisa dans un fracas de voix discordantes. Les représentants des royaumes, les maréchaux, les partisans de la Tour et même certains nobles s’entre-déchiraient à coups de cris et d’accusations. L’immense salle de marbre résonnait de leurs disputes, comme si les murs eux-mêmes tremblaient sous le poids de la peur.
— Ce ne sont que des illusions ! s’écria Henpton Lee, frappant la table de son poing. Depuis quand les songes d’une enfant dictent-ils le destin de nos royaumes ?
— Tu oses insulter la princesse héritière ? rugit Dame Enola, ses yeux flamboyant d’indignation. L’esprit divin a parlé à travers elle, et tu l’ignores au risque de tous nous condamner !
— Des contes de vieilles sorcières ! renchérit un ministre du royaume de Sagitta. Des cartes et des noms… ce ne sont que des symboles sans valeur.
À cet instant, une voix rauque s’éleva du fond de la salle. La vieille reine-mère d’Aries, drapée dans une cape de fourrure sombre, se leva lentement de son siège. Ses yeux voilés par l’âge brillaient pourtant d’une clarté inquiétante.
— Vous êtes des fous… dit-elle, chaque mot résonnant comme une malédiction. Vous feignez l’ignorance, mais la prophétie avait déjà été révélée… par le Démon sans Nom.
Un frisson parcourut l’assemblée. Même les maréchaux se figèrent.
— Deux siècles plus tôt, continua-t-elle, cet être maudit, dernier héritier du peuple de la Forêt Noire, enfermé dans la pierre par nos ancêtres, avait parlé. Il avait annoncé que son retour serait précédé par un orage… un orage qui ébranlerait jusqu’aux cieux. Et cette nuit… la tempête a grondé.
Les mots tombèrent comme des coups de tonnerre. Le murmure des nobles devint un tumulte, certains se levant de leurs sièges, d’autres frappant leurs sceptres contre le sol en signe de protestation.
— Mensonges ! cria un conseiller de Taurus.
— Blasphème ! hurla un partisan de la Tour.
Mais la vieille sorcière leva un doigt tordu, imposant le silence.
— Le Crocheteur… celui qui tire les fils du destin. Il s’est libéré. Et c’est cela qui a fait trembler les dieux. Vous pouvez nier, mais bientôt, ses pas feront vibrer vos royaumes.
Un silence mortel s’abattit sur l’assemblée. Puis, dans un souffle glacé, Barton Reiz, massif dans son armure noircie par mille batailles, se leva. Sa voix grave coupa l’air comme une lame.
— Alors je me rendrai dans les Terres Oubliées. Je foulerai la Forêt Noire. Je veux voir de mes propres yeux si le démon est encore prisonnier… ou s’il marche déjà parmi nous.
Les soldats derrière lui, vêtus de capes écarlates, frappèrent le sol de leurs lances en signe d’approbation.
— Et pour les autres ? gronda Ishan Var, son regard acéré fixé sur Nüwa. Les sept entités décrites par la prophétie… allons-nous rester les bras croisés ?
Lady Deville, froide et implacable, intervint :
— Non. Si ces êtres existent, ils doivent être anéantis avant même que leur destin ne s’accomplisse. Nous lancerons une chasse à l’homme. Quiconque correspondra aux visions de la princesse devra être éliminé.
Nüwa sursauta. Son cœur se serra. Elle sentit la salle se refermer autour d’elle comme un piège.
— Non ! s’écria-t-elle, sa voix brisée d’émotion. Vous ne comprenez pas… Ce que j’ai vu n’était pas une certitude, mais un avertissement. Les cartes montrent des possibles, pas des coupables. Si vous lancez une chasse à l’homme, vous condamnez des innocents !
Des murmures éclatèrent, certains acquiesçant, d’autres ricanant avec mépris. Mais avant qu’elle ne puisse ajouter un mot, Zhang Hao, son fiancé, posa une main ferme sur son épaule.
— Nüwa, assez, dit-il d’une voix douce mais inflexible. Laisser planer le doute, c’est offrir une chance au chaos. Cette prophétie doit être étouffée dans l’œuf.
Il se tourna vers l’assemblée et s’inclina.
— Je me porterai volontaire pour la chasse. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour mettre un terme à cette menace… et pour que notre mariage ait lieu sans que l’ombre de cette prophétie ne plane sur nous.
Des applaudissements éclatèrent. Des voix crièrent son nom. Et l’Empereur Han, le visage fermé, se leva pour mettre fin au conseil.
— Assez. L’affaire est tranchée. Barton Reiz partira pour la Forêt Noire. Les maréchaux et nos élites lanceront la chasse. Que la prophétie soit étouffée avant qu’elle ne consume le monde.
La salle se vida peu à peu, laissant derrière elle une tension étouffante.
Dans ses appartements, Nüwa s’effondra sur un coussin de soie, ses mains tremblantes pressées contre son visage. Les images des cartes maudites tournaient encore dans son esprit, s’enchaînant comme des chaînes invisibles.
La porte s’ouvrit doucement. Une silhouette lumineuse entra. Senna. Ses longs cheveux blonds cascadaient sur ses épaules comme une rivière d’or, ses yeux gris brillaient d’une inquiétude contenue. Elle s’approcha en silence, posa une main délicate sur l’épaule de Nüwa.
— Je savais que je te trouverais ici, souffla-t-elle.
— Senna… murmura Nüwa, les yeux rougis. Tout cela est ma faute. Si des innocents meurent… ce sera à cause de moi.
Senna secoua doucement la tête, ses voiles de soie frémissant autour d’elle.
— Ne dis pas cela. Les dieux n’ont pas voulu que tu portes seule ce fardeau. Écoute-moi… Si la chasse doit avoir lieu, nous trouverons un moyen de protéger les innocents.
— Mais comment ? gémit Nüwa. Je ne peux quitter le palais, pas sans être surveillée…
Senna serra sa main avec douceur. Son sourire pâle se fit plus grave, plus résolu.
— Demain, je participerai à la distribution du pain, comme toujours. J’en profiterai pour confier un message discret à un villageois. Lui passera le mot, et ainsi de suite. Quand la chasse commencera, les royaumes sauront. S’ils ne correspondent pas aux descriptions, ils pourront se cacher, se protéger… et personne ne mourra injustement.
Nüwa leva les yeux vers elle, troublée.
— Senna… tu risquerais tout pour ça ? Ta mère… si elle l’apprend…
— Ma mère veut faire de moi une image parfaite. Une poupée immaculée. Mais moi… je veux être ton amie, et faire ce qui est juste. Les dieux ne veulent pas que des innocents périssent.
Un silence doux s’installa entre elles. Deux âmes liées, prisonnières de devoirs trop lourds, mais unies dans un même espoir fragile.
— Merci… souffla Nüwa en serrant la main de Senna contre son cœur.
Et dans l’ombre, au-delà des murs du palais, le destin se mettait déjà en marche.
La nuit n’avait pas encore entièrement avalé le ciel que les tambours de guerre résonnaient déjà sur les murailles de l’Empire. À la lueur des torches, Barton Reiz chevauchait en tête d’une colonne de soldats vêtus d’acier sombre. Leur marche lourde, rythmée par les sabots et les lances, vibrait comme un écho de malheur dans les rues de la capitale.
Les passants, éveillés par le tumulte, sortaient en hâte de leurs maisons pour voir défiler la troupe. Nul cri d’encouragement, nulle fleur lancée sur leur passage : seulement des regards muets, empreints d’angoisse. On murmurait déjà que Barton se dirigeait vers les Terres Oubliées, là où nul homme ne revenait indemne.
Cette décision du conseil, portée par les messagers, s’enflamma bientôt jusque dans les couloirs dorés des manoirs des élites. Dans l’aile réservée aux fils et filles de la haute noblesse, un vaste domaine qui servait d’école à la nouvelle génération, la rumeur courait plus vite que le vent. Les jeunes gens en uniformes stricts, capes brodées aux couleurs de leurs maisons, parlaient à voix basse entre les colonnes de marbre et les cours d’entraînement où l’on apprenait à manier l’épée, les arcanes ou la maîtrise des flammes.
Dans une salle obscure, éclairée par les flammes vacillantes de chandeliers, Yann se tenait entouré de ses compagnons. Son visage portait encore l’ombre de l’humiliation qu’il avait subie face à Elijah. Son sourire mauvais fendit ses traits lorsque la nouvelle de la chasse à l’homme fut confirmée.
— Vous comprenez ce que cela signifie, n’est-ce pas ? souffla-t-il, sa voix basse et venimeuse. Des listes vont être établies, des soupçons jetés, des innocents accusés… C’est l’occasion rêvée.
Ses amis, intrigués, échangèrent des regards hésitants.
— Que veux-tu dire ? demanda l’un d’eux.
— Je parle de vengeance, répondit Yann en serrant les poings. Ce misérable Elijah, ce rat de campagne, m’a fait plier devant tout le monde. Eh bien… bientôt, je le ferai disparaître. Et quand son nom sera effacé, toute la reconnaissance du village du Lys Blanc… toute cette gloire qui aurait dû m’appartenir… sera enfin mienne.
Un silence pesant suivit ses paroles. Certains sourirent, d’autres pâlirent. Mais Yann, lui, savourait déjà son plan comme un poison doux amer.
Au même moment, loin des marbres et des intrigues, le village du Lys Blanc vivait encore au rythme simple des saisons. Dans les champs de blé dorés, Elijah travaillait dur sous le soleil de plomb. Sa chemise trempée collait à sa peau, ses mains rugueuses enserraient la faux avec habitude. À ses côtés, Nel, toujours vif et bavard, lui lançait des blagues pour alléger la fatigue. Autour d’eux, les villageois chantaient parfois pour se donner du courage.
— Hé, ne vous épuisez pas, lança Oncle Harris, la voix forte malgré son âge. N’oubliez pas la distribution du pain ce soir. Les nonnes de la Tour de la Vierge ne tolèrent jamais les retardataires !
Les rires fusèrent, mêlés à des soupirs de soulagement : ce pain, rare et sacré, était attendu par tous comme une bénédiction.
Le soleil déclinait, drapant le ciel de couleurs incandescentes, rose et orangé, quand de fines pluies commencèrent à tomber. Les villageois rentraient peu à peu dans leurs maisons, tandis que les silhouettes blanches des nonnes s’approchaient du cœur du hameau. Drapées de longs voiles immaculés, elles formaient une procession austère, portant des paniers d’osier emplis de miches encore chaudes.
Mais Elijah, absorbé par son travail, était resté au champ.
Nel, inquiet, se présenta devant les nonnes pour réclamer une miche supplémentaire.
— Mon ami est resté aux blés, dit-il avec insistance. Il n’a pas reçu sa part… je peux la prendre pour lui.
La none supérieure, femme sévère au regard de fer, le toisa longuement.
— Assez de mensonges, petit. Le pain n’est pas pour ceux qui négligent la bénédiction des dieux.
Nel protesta, mais les nonnes se détournèrent, fermes.
C’est alors que Senna, pâle et silencieuse parmi elles, fit un pas en avant. Son voile de soie brodé d’or scintillait sous les gouttes de pluie.
— Je m’en chargerai, dit-elle soudain d’une voix claire.
Un silence choqué s’abattit sur la place. Jamais la fille d’une lignée aussi noble ne se serait abaissée à courir après un paysan. Même Nel la dévisagea, bouche bée. Mais avant que quiconque ne puisse l’arrêter, Senna souleva les pans de sa robe et s’élança à travers les chemins boueux, tenant fermement le pain contre elle.
Elijah, penché sur les gerbes, redressa la tête en voyant la silhouette lumineuse courir vers lui. Il écarquilla les yeux, stupéfait.
— Qu’est-ce que…?
Lorsqu’elle atteignit le champ, haletante, Senna se redressa et lui tendit le pain avec douceur.
— Tu es Elijah, n’est-ce pas ? murmura-t-elle.
Le jeune homme, méfiant, fronça les sourcils. Il jeta un regard autour d’eux, inquiet.
— Qu’est-ce qu’une demoiselle de ton rang fait ici ? Y a-t-il… un problème au village ?
Senna secoua la tête. Sa voix trembla légèrement, mais son regard demeura ferme.
— Rien de grave. Pas encore. Mais je devais te voir… et te prévenir.
Et alors, au milieu du champ bercé par la pluie fine et les lueurs du crépuscule, elle lui révéla tout : le conseil, la prophétie, la tempête, et la chasse à l’homme décrétée par l’Empereur lui-même.
Les mots frappèrent Elijah comme des coups de tonnerre. Il pâlit, le pain glissant presque de ses mains.
— Impossible… Ce… ce sont des contes ! Ma grand-mère racontait toujours cette histoire… Je croyais que ce n’était qu’une fable pour nous effrayer…
Son souffle s’accéléra. Ses yeux se levèrent vers le ciel, comme s’il cherchait déjà des réponses.
— Alors… la fin est proche ? Comment allons-nous survivre à ça ?
Il tourna vers Senna un regard bouleversé.
— Mais pourquoi ? Pourquoi toi, une noble, tu viens nous aider ?
Senna inspira profondément. Ses yeux gris, emplis de sincérité, s’ancrèrent dans les siens.
— Parce que je refuse de voir mourir des innocents. Parce que… ce n’est pas ce que les dieux veulent.
Un silence lourd s’installa, seulement troublé par le bruissement du blé et le martèlement lointain des tambours de guerre qui résonnaient encore dans les souvenirs d’Elijah.
Elijah
Nëwa
Senna
Yann
Nel
Elijah resta silencieux un instant, le souffle court, encore secoué par les révélations de Senna. Ses yeux fixaient la jeune fille, comme s’il cherchait désespérément à lire au plus profond de son âme.
— Merci, dit-il enfin d’une voix grave. Merci de m’avoir dit la vérité… Mais cette prophétie… que dit-elle exactement ? Que devons-nous craindre ?
Senna hésita. Elle ouvrit la bouche, prête à parler, mais un craquement sec derrière elle coupa son élan.
Une ombre se jeta entre eux, et une claque claqua dans l’air humide du crépuscule. La joue pâle de Senna se tourna sous la violence du coup.
— Insolente ! rugit une none à la coiffe sévère. Tu oses désobéir aux ordres et traîner dans la boue avec un… un rustre pareil ?
Elijah, figé, sentit le sang bouillonner dans ses veines. Mais la main de la none s’éleva de nouveau, cette fois pour le pointer du doigt.
— Et toi ! Comment oses-tu lever les yeux sur une fille de son rang ? Tu crois séduire avec tes manières de paysan ? C’est un crime que même les dieux ne pardonnent pas !
Il voulut répondre, mais deux autres nonnes avaient déjà saisi Senna par les bras, la traînant sans douceur. Le regard de la jeune fille, malgré les larmes qui lui montaient aux yeux, chercha une dernière fois celui d’Elijah. Un regard muet, implorant qu’il comprenne.
Puis elles disparurent dans la lueur dorée du soir, laissant Elijah seul dans le champ.
Non loin, Nel, qui avait assisté à la scène, arriva en riant, la main sur le ventre.
— Alors ça ! Tu n’auras pas tenu deux minutes avant de te faire arracher ta princesse, Elijah !
Mais il se figea quand il vit le sérieux dans les yeux de son ami. Elijah posa une main ferme sur son épaule.
— Nel, écoute-moi. Ce n’est pas un jeu. Ce qu’elle m’a dit… c’est grave. Le conseil prépare une chasse. Ils croient que les entités de la prophétie se cachent parmi nous.
Nel cligna des yeux, perdu.
— Tu veux dire… le vieux conte des cartes maudites ?
— Ce n’est pas un conte. C’est réel. Et si nous ne faisons rien, le Lys Blanc sera le premier à brûler. Nous devons prévenir les autres. Sauver ceux qui peuvent encore fuir.
Le rire de Nel s’éteignit. Il hocha lentement la tête, conscient que l’heure des plaisanteries venait de s’achever.
Au même instant, dans les hauteurs de l’académie, Yann avançait d’un pas rapide dans les couloirs sombres de la Tour. Son cœur battait d’excitation à mesure que son plan se dessinait. Arrivé devant les gardes, il demanda audience aux maîtres de la Tour.
Avec un ton grave, feignant la peur, il souffla :
— J’ai des informations. Dans le village du Lys Blanc… on murmure qu’une des Huit entités du Tarot Maudit s’y cache.
Les prêtres échangèrent des regards alarmés. L’un d’eux serra son sceptre d’onyx.
— Es-tu certain de ce que tu avances, garçon ?
Yann baissa humblement les yeux, mais un sourire cruel flottait déjà sur ses lèvres.
— Aussi certain que la mort elle-même.
Pendant ce temps, loin des manoirs, la marche de Barton Reiz poursuivait son rythme de tonnerre à travers les routes boueuses. La troupe, silhouette noire sous la lune, approchait des confins de la forêt Noire. Mais avant d’y entrer, ils firent halte près du village des Cerisiers, bourgade ancienne, connue pour ses fêtes colorées et ses vieilles légendes.
Dans les tavernes, les murmures s’étaient changés en rumeurs brûlantes. Barton, assis à une table de bois, écoutait d’une oreille attentive les ragots qui enflaient autour de lui.
— On dit qu’un jeune homme étrange a été recueilli par Baba-Ayara, la divinatrice, glissa un vieillard édenté. Sa peau sombre comme l’écorce, ses yeux pourpres comme le vin. Elle l’aurait trouvé près du vieux pont de pierre… à moitié mort.
Un autre ajouta, la voix basse :
— Certains prétendent qu’il vient des Terres Oubliées. Qu’il a franchi ce que nul n’a jamais osé franchir.
Les poings de Barton se crispèrent sur sa chope. Son regard d’acier brilla d’un éclat féroce.
— Conduisez-moi à Baba-Ayara, ordonna-t-il. Tout de suite.
Un silence lourd s’installa dans la taverne. Puis, lentement, les villageois s’inclinèrent. Car on savait qu’on ne refusait rien au commandant Reiz.
La maison de Baba-Ayara se trouvait à l’écart du village, au bord d’un petit bois de cerisiers dont les fleurs fanées jonchaient encore le sol humide. Une bâtisse modeste, faite de pierres sombres et de poutres tordues, d’où s’échappait une fumée épaisse à l’odeur de plantes séchées et de racines brûlées.
Barton Reiz frappa à la porte d’un coup sec. Elle s’ouvrit d’elle-même, grinçante, comme si la vieille l’attendait déjà.
— Entrez, murmura Baba-Ayara d’une voix rocailleuse.
La vieille divinatrice était voûtée, ses longs cheveux gris retombaient en mèches folles sur un voile rouge sombre. Ses yeux, laiteux mais étrangement perçants, semblaient lire dans l’âme des hommes.
Barton entra, suivi de deux de ses soldats, tandis que les autres restaient en faction dehors. La pièce était éclairée par la seule flamme tremblotante d’une lampe à huile, projetant des ombres inquiétantes sur les murs couverts de symboles et de talismans.
Ils prirent place autour d’une table basse. Baba-Ayara versa lentement un thé noir au parfum amer dans de petites coupes de terre cuite. Elle les tendit sans un mot. Barton ne toucha pas à la sienne, son regard rivé sur la vieille.
— On raconte que tu as recueilli un étranger, dit-il froidement. Peau sombre. Yeux pourpres. Je veux le voir.
La vieille esquissa un sourire édenté.
— Je ne reçois que ceux qui ont besoin d’un toit… dit-elle d’un ton calme. Mais nul aux yeux pourpres n’a franchi ma porte.
Un silence pesant tomba. Les soldats échangèrent des regards méfiants. Barton, impassible, se contenta d’appuyer ses deux mains gantées sur la table, penché vers elle.
— Ne me mens pas, vieille. Je n’ai pas chevauché jusqu’ici pour des contes de taverne.
Sans répondre, Baba-Ayara sortit une petite boîte de bois sculpté et en renversa le contenu sur la table. Des dés gravés de symboles occultes roulèrent, heurtant le bois avant de s’immobiliser en formant un étrange motif. Les lignes semblaient s’entrecroiser pour dessiner des glyphes que nul ne comprenait… sauf elle.
Ses yeux s’écarquillèrent. Elle inspira profondément.
Alors, l’air de la pièce se fit lourd, étouffant. La lampe vacilla, puis s’éteignit d’elle-même. Une obscurité épaisse engloutit tout. Au-dehors, le ciel s’embrasa soudain, zébré d’éclairs furieux, et un grondement de tonnerre fit trembler la terre.
Les soldats bondirent sur leurs pieds, effrayés. Des villageois, rassemblés à l’extérieur, crièrent et se mirent à prier.
Seule Baba-Ayara resta immobile. Sa voix s’éleva, basse et grave, résonnant comme venue d’ailleurs :
— Tu n’entends donc rien, Barton Reiz ? Tu n’entends pas l’avertissement des cieux ? Si tu entres dans la Forêt Noire, tu condamnes les Douze Royaumes. Tu les laisseras sans protection… et quand tu reviendras, il ne restera que cendres et lamentations.
Barton demeura impassible, bien qu’un éclair illumina son visage fermé.
— Où est-il ? fit-il d’une voix glaciale.
La vieille hocha la tête lentement.
— Celui que tu cherches… je l’ai vu. La nuit de la tempête. Il s’est effondré devant mon seuil, brisé par la route. Je l’ai soigné, oui. Mais il n’est pas resté. À peine avait-il repris son souffle qu’il demanda son chemin. Puis il disparut, comme une ombre.
Le silence tomba à nouveau, seulement brisé par le fracas du tonnerre.
Le calme de Barton se fissura. Il se redressa d’un bond, son poing s’abattant sur la table, renversant les dés.
— Vieille folle ! rugit-il. Pourquoi ne l’as-tu pas tué ? Pourquoi n’as-tu pas prévenu la Tour ? Les maréchaux ? Tu as abrité un monstre et tu l’as laissé fuir !
Les soldats tirèrent leurs lames à moitié, prêts à fondre sur elle, mais Baba-Ayara ne bougea pas. Elle soutint son regard brûlant avec une sérénité glaçante.
— Parce que ce n’est pas un monstre, dit-elle. C’est un signe. Et les signes ne s’abattent pas comme du bétail.
Un silence terrible suivit, les murs semblant vibrer de la fureur contenue de Barton.
Baba-Ayara, toujours assise, regardait Barton avec ses yeux voilés mais pleins d’une étrange lucidité. Sa voix, calme mais tranchante, fendit le silence :
— Ce n’était pas mon destin de l’arrêter…
Un murmure parcourut la pièce. L’un des soldats s’avança, le visage grave, tenant fermement la garde de son épée :
— Capitaine… dans la prophétie, une Divinatrice est mentionnée. Ça ne peut être qu’elle. Elle est l’une des entités du Tarot Maudit !
Un autre appuya aussitôt, suivi par le reste de l’escorte. Tous fixaient Baba-Ayara comme si elle n’était plus une vieille femme, mais une menace à abattre.
Barton, les mâchoires serrées, fit un pas vers elle, sa main se posant sur la garde de son épée. L’air se fit plus lourd encore, chargé d’électricité et de colère contenue.
Baba-Ayara éclata d’un rire rauque, grinçant, qui résonna comme un écho malsain dans la maison. Elle ne bougea pas d’un pouce, défiant Barton du regard.
— Tu te trompes de cible, Barton Reiz… dit-elle en reprenant son souffle.
Elle ramassa lentement ses dés occultes et les relança sur la table. Les symboles se dessinèrent d’eux-mêmes, formant une constellation inquiétante. À peine eut-elle lu leur message qu’un silence glacial envahit la pièce.
Puis elle déclara d’une voix profonde :
— Ce n’est pas la Divinatrice que tu dois craindre. Bientôt… un marchand sans âme distribuera la mort. Veille à tes descendants, capitaine, car c’est dans ton propre sang que le mal frappera.
Les soldats reculèrent d’effroi. Leurs yeux s’agrandirent, certains se signèrent, d’autres murmurèrent des prières. Mais Barton resta de marbre, bien qu’une ombre traversa son regard.
— Assez de tes énigmes, vieille folle, gronda-t-il. Tu te joues de moi. Où se trouve le démon sans nom ? Dis-le, ou je t’arrache la langue.
Le tonnerre gronda de nouveau, comme pour ponctuer sa menace. Baba-Ayara, impassible, plongea ses doigts noueux dans les dés et les serra contre sa poitrine.
— Le soir de la tempête… il a frappé à ma porte, oui. Mais je n’étais pas la Divinatrice qu’il cherchait. Il s’est contenté de demander sa route. Et puis, il s’en est allé.
Son sourire se fit cruel, presque moqueur.
— Tu arrives trop tard, Barton Reiz. Le démon sans nom marche déjà vers son destin.
Un silence terrible suivit ses paroles. Les soldats attendaient l’ordre, tremblants entre la peur de la tuer et la crainte de ce qu’elle représentait. Barton, lui, restait figé, déchiré entre son instinct de soldat et la conscience qu’un pas de travers face à elle pouvait signer sa perte.
Barton, le visage déformé par la colère, dégaina à demi son épée, prêt à fondre sur Baba-Ayara. Ses soldats, nerveux, attendaient l’ordre. Mais avant qu’il ne fasse un pas de plus, un grondement sourd résonna dans la pièce.
Un jeune garçon venait d’apparaître à l’entrée de la maison. Ses pieds nus frappèrent le sol de bois avec une force insoupçonnée. Une onde invisible se propagea, secouant murs et poutres. Dans un fracas, soldats et villageois furent repoussés en arrière comme balayés par une bourrasque.
Barton, seul, parvint à résister, mais ses bottes glissèrent sur le sol, ses jambes s’enfonçant légèrement sous l’impact.
Le garçon, frêle en apparence mais les yeux brûlants d’une lueur farouche, se plaça devant sa grand-mère, en position de défense. À ses chevilles, deux fils rouges ornés de morceaux de charbon scintillaient comme s’ils brûlaient d’une flamme invisible. Son simple débardeur et son short froissés juraient avec la puissance qui émanait de lui.
— Ça suffit ! gronda-t-il d’une voix claire. Laissez ma grand-mère tranquille, ou je vous jure que vous le regretterez.
Un silence incrédule tomba. Les soldats échangèrent des regards incertains, certains déjà terrifiés par ce qu’ils venaient de subir.
Baba-Ayara se leva lentement, posa une main protectrice sur l’épaule du garçon et le repoussa légèrement derrière elle. Ses yeux d’ombre se plantèrent dans ceux de Barton.
— Je t’ai déjà dit, Barton Reiz, ton plus grand malheur ne viendra pas de moi… ni même de ce que tu crois chasser.
Elle leva une main vers lui, ses doigts squelettiques tremblant d’une énergie contenue.
— Le marchand de la mort approche. Retourne protéger les tiens, protège tes enfants… avant qu’il ne soit trop tard.
Un souffle étrange parcourut la pièce. Puis, dans un geste sec, Baba referma ses mains. Les lourdes portes de bois claquèrent violemment, se fermant d’elles-mêmes sous les yeux écarquillés des soldats. L’écho résonna comme le glas d’une malédiction.
À l’extérieur, les villageois s’étaient rassemblés, inquiets, murmurant des prières à voix basse. Barton, haletant, la main toujours crispée sur la garde de son épée, resta figé devant la maison close. Ses hommes, tremblants, attendaient ses ordres, incapables de cacher leur peur.
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