GOOD AND EVIL
Prologue
Le monde n’a pas toujours été comme ça. On dit souvent que l’humanité a oublié les mythes. Moi, je crois qu’elle a simplement appris à vivre avec.
Aujourd’hui, entre deux publicités holographiques et un métro qui traverse les nuages, il n’est pas rare de croiser une dryade dans un parc public, ou un cyclope costumé qui gère la sécurité d’un gratte-ciel.
Les dragons ont des titres d’ingénieurs. Les vampires passent à la télé. Les sirènes chantent sur les toits. Tout est devenu normal.
Au-dessus de cette étrange routine moderne, il y a deux forces, aussi anciennes que le premier souffle de l’univers : les Anges, et les Démons.
Deux puissances opposées, deux visions du monde qui n’ont jamais su coexister sans détruire ce qui se trouve entre elles.
On dit que les Anges apportent la lumière, la justice, l’ordre. On dit aussi qu’ils sont froids, sans émotion, et prêts à tout pour purifier ce qu’ils jugent "imparfait".
Les Démons, eux… on les peint comme le mal incarné. Mais ceux qui ont pris le temps de regarder vraiment ont vu autre chose : une force vivante, brute, libre.
Sauvage, oui. Dangereuse, parfois. Mais essentielle.
Le problème, c’est qu’ils disparaissent. Un à un. Lentement. Comme une espèce menacée qu’on regarde mourir sans intervenir.
Je ne suis qu’une humaine. Une fille ordinaire. Ni bénie. Ni maudite. Je bois du thé, je rate mes réveils, je parle trop à mon chat.
Je ne cherche pas la guerre, ni la gloire. Je voulais juste… une vie normale.
Mais dans ce monde où même le ciel est surveillé, être normale devient une anomalie. Un vide.
Un silence que les puissants ne savent pas lire. Et parfois, ce qu’on ne comprend pas, on le craint.
Je ne sais pas ce que je suis censée faire. Je ne crois pas être spéciale. Et pourtant…
Il y a ce pressentiment, ce vertige dans ma poitrine, chaque fois que je croise un Ange ou que je ressens la chaleur mourante d’un Démon.
Comme si, sans le vouloir, je portais quelque chose d’important.
Dans ce monde qui s’effrite sous le poids de ses vérités, je suis peut-être la dernière chose qui ne brille pas… mais qui existe encore.
Chapitre 1 Les yeux qui ne dorment jamais
La nuit dernière, j’ai rêvé.
Mais ce n’était pas un de ces rêves flous qui s’évanouissent au réveil comme la buée sur une vitre. Non.
Celui-là, je l’ai senti. Comme un poison lent. Il reste encore quelque part dans mon crâne, tapi, froid.
D’abord, un cirque. Vieux, délabré, sous la pluie.
Le genre d’endroit qu’on imagine abandonné depuis des siècles, avec des rires d’enfants qui résonnent encore entre les toiles trouées.
Les lumières clignotaient dans le noir comme des avertissements, et la grande roue ne tournait plus.
Mais ce n’était pas le silence qui me mettait mal à l’aise… c’était l’attente. Quelque chose m’attendait là.
Puis, j’étais dans la forêt. La brume était lourde, presque vivante.
Un homme grand, bien trop grand pour être réel, tenait la main d’une petite fille.
N’avait pas de visage. Mais je sentais son regard. Vide. Froid. Infiniment vieux.
Et pourtant… doux avec elle. Comme si ce n’était qu’à moi qu’il voulait du mal.
Enfin, il y avait ces visages. Des dizaines, peut-être des centaines.
Aux orbites noires, béantes. Leurs mains s’accrochaient à moi, comme s’ils voulaient me retenir.
Ou m’emmener quelque part. Ils ne parlaient pas. Mais je les entendais hurler.
Je me suis réveillée en sueur, le souffle court, les draps trempés.
Il m’a fallu plusieurs minutes pour me convaincre que je n’étais pas encore là-bas.
Je suis humaine. Une simple humaine.
Et dans ce monde, c’est presque une insulte.
Je suis partie au travail comme tous les matins.
Je travaille pour une entreprise qui s’occupe de repérer, classer et “recruter” les créatures fantastiques selon leur potentiel.
Un système bien rodé : plus tu es ancien, plus tu es puissant, plus tu as de valeur.
Les hybrides enfants d’union entre humain et créature sont très recherchés.
Ils ont les pouvoirs, mais aussi la docilité humaine. Parfaits pour les postes de direction.
Et nous, les humains ? On fait tourner la machine. Sans gloire. Sans reconnaissance.
J’ai été accueillie comme toujours par Mila, ma collègue et meilleure (seule ?) amie.
Mi-sorcière, mi-humaine, c’est une beauté étrange : peau pâle de nature, cheveux blancs courts, yeux d’un bleu presque surnaturel.
Elle s’habille toujours trop légèrement pour un bureau, mais personne n’ose lui dire quoi que ce soit. Trop belle. Trop puissante.
Mila
Regarde ça, j’ai encore amélioré mon sort de bronzage !
Elle souriait, poitrine presque à l’air, avec une fierté enfantine.
Mila
Et on va avoir un nouveau partenaire commercial aujourd’hui. Paraît que c’est une créature de haut rang. Même le chef s’est mis sur son trente-et-un. Bon, j’te laisse, j’ai une réunion avec les alchimistes de R&D.
Elle est partie, me laissant seule à mon poste, au fond du couloir.
C’est là que je l’ai entendu.
? ? ?
Excusez-moi… Où se trouve le bureau du chef ?
Je n’ai même pas levé les yeux tout de suite. Juste tendu le doigt en direction de l’aile est.
Mais quand mon regard a fini par remonter… j’ai vu quelque chose.
Mais un œil. Rouge. Sanglant. Unique. Il n’était pas là, pas vraiment. C’était comme un écho dans ma tête, une vision superposée.
Un œil gigantesque, inhumain, qui me regardait. Qui me voyait.
Ma gorge s’est serrée. Mon souffle s’est coupé.
J’ai chuté, mes jambes incapables de me porter. J’étouffais. Comme si cet œil essayait de me vider de moi-même.
Il m’a suffi d’un seul regard vers lui, l’homme, pour comprendre : ce n’était pas un simple partenaire commercial.
Ce n’était pas un sourire humain. C’était quelque chose d’autre. Une grimace ancienne, pleine de souvenirs de feu et de chaos.
Je crois que j’ai murmuré quelque chose. Peut-être juste un mot.
Démon…
Chapitre 2 Comme si j'avais été disséquée
Je me suis réveillée dans une pièce que je ne connaissais pas.
Le plafond était blanc, froid, sans décor.
La lumière, trop vive, bourdonnait comme une mouche invisible. L’air sentait le désinfectant, le métal, et…
Quelque chose d’autre. Quelque chose que je n’arrivais pas à nommer. Une odeur ancienne, presque religieuse.
Comme si la pièce avait abrité autrefois des prières, ou des morts.
J’étais allongée sur une sorte de lit d’infirmerie. Mon cœur battait lentement, mais lourdement. Mon corps semblait engourdi, comme si je revenais de très loin.
C’était Mila. Assise à côté de moi, jambes croisées, bras posés sur ses genoux.
Elle me regardait avec ce même regard tranquille qu’elle avait même quand tout explosait autour.
Mila
Tu t’es évanouie. Ça a duré quelques minutes, pas plus. On t’a transférée ici pour te surveiller.
Je me suis redressée lentement. J’avais encore cette sensation de poids sur la poitrine, comme une main invisible qui refusait de me lâcher.
Je me suis souvenue de l’œil. Du sourire. De ce visage ou plutôt de ce qu’il cachait.
Liora
Il y a un démon dans le bâtiment.
ai-je murmuré, les mains tremblantes.
Mila ne sembla pas surprise.
Elle se leva, replaçant distraitement sa veste entrouverte.
Mila
C’est notre nouveau partenaire commercial. On n’en sait pas beaucoup plus, mais… il est très influent. Et très dangereux. Tu ferais mieux de faire profil bas.
Elle s’approcha de la porte, puis se retourna une dernière fois :
Mila
Sois prudente. Et surtout… ne le regarde pas trop longtemps dans les yeux.
Je restai seule. Enfin, pas pour longtemps.
Car à peine la porte se refermait derrière elle que l’air changea.
Comme si l’atmosphère elle-même retenait son souffle.
Grand. Élégant. Silencieux. Un costume sombre parfaitement taillé. Des cheveux noirs lisses. Des yeux… non. Un regard. Celui qui déshabille l’âme.
Mais ce n’était pas un sourire humain.
C’était celui d’un prédateur qui ne cache même plus ses crocs.
Il ne s’assit pas tout de suite. Il me détailla longuement, des pieds à la tête, comme on observe un objet étrange exposé dans une vitrine. Puis, lentement, il tira la chaise à côté du lit et s’installa.
Asmodiel
Nom : Liora Haven.
Sa voix était douce, presque chaleureuse. Trop douce.
Asmodiel
Âge : 24 ans.
Sexe : féminin.
Née dans le district bas de la Ville-Secteur 3. Parents : Sara Haven, humaine, morte il y a 8 ans.
Père inconnu, présumé disparu. Aucune mutation génétique, aucun pouvoir latent, aucun historique d’hybridation. Études moyennes. Santé fragile à l’adolescence. Allergie au pollen synthétique de génération 4. Une tentative de fuite à l’âge de 16 ans. Rêves récurrents non expliqués depuis l’âge de 12 ans. Isolation sociale. Comportement passif. Frustration intérieure non exprimée. Peur du feu. Trouble du sommeil. Dépression masquée depuis deux ans. Préférence marquée pour les espaces clos. Soupçons d’éveil psychique, non confirmés.
Il parlait sans respirer.
Chaque mot était un clou qu’il enfonçait dans ma réalité.
Je ne bougeais pas. Je n’arrivais même pas à respirer.
C’était impossible. Il savait tout. Des choses que même moi, je n’avais jamais dites à personne.
Asmodiel
Tu ne t’es jamais demandé pourquoi tu rêvais de choses que tu n’as jamais vues ?
Il pencha la tête, un peu, comme un corbeau curieux.
Asmodiel
Tu n’es peut-être pas aussi humaine que tu le penses, Liora.
Il marqua une pause. Un silence. Il sourit à nouveau, mais cette fois… c’était un avertissement.
Asmodiel
Et moi, je suis ici pour le découvrir.
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