Je crois que c’était un mardi. Enfin, je crois. Tous les jours se ressemblent un peu, tu sais, quand tu jongles entre les couches, les cours et les clients désagréables. Ce matin-là, j’ai ouvert les yeux en entendant Asher pleurer. Encore. Il n’était même pas encore 6h. J’ai grogné dans mon oreiller et j’ai tendu la main vers mon téléphone posé sur la table de nuit.
6 h 42.
— Oh mon Dieu... ! Je suis en retard !
Je me suis levée d’un bond, encore à moitié endormie, les cheveux en bataille, le cœur qui battait déjà comme si j’avais couru un marathon. Asher pleurait plus fort. Je suis allée le chercher, l’est pris dans mes bras et je l’ai bercé comme je pouvais, tout en ramassant des vêtements au sol, en essayant de trouver une tétine, et en pensant à ma journée qui commençait déjà mal. Je me suis préparée vite, lui aussi. J’ai mis ses petites affaires dans son sac, attrapé mon sac à moi, et on est sortis en courant, comme d’habitude. Ma mère habite à trois blocs de chez moi. Elle râle souvent, mais elle adore son petit-fils. En arrivant, je lui ai tendu Asher avec un petit sourire coupable.
— Je suis désolée, maman. Encore en retard...
— Je suis habituée, ma fille. Va à l’école, je m’occupe de lui.
Je lui ai murmuré un merci et j’ai couru jusqu’au métro. Dans le wagon, j’ai pris le temps de souffler un peu. J’ai regardé mon reflet dans la vitre. Cernes. Cheveux attachés à la va-vite. Mais vivante. Présente. Une mère. En cours, j’ai retrouvé Séraphina et Hailey. Mes deux meilleures amies. On se connaît depuis qu’on est mômes. C’est fou, non ? Parfois, on traverse des vies entières avec des gens qu’on croit connaître...
— As-tu encore galéré ce matin ? a dit Aile en souriant.
— Tombe. Asher m’a réveillée trois fois cette nuit... je suis un zombie.
On a rigolé un peu, parlé de tout, de rien. Comme d’habitude. Comme si tout allait bien. L’après-midi est passée vite. Vers 18h, j’ai pris le chemin du supermarché où je bosse comme caissière. J’étais crevée, mais je n’avais pas le choix. Il y avait du monde, comme toujours. Des clients pressés, impolis. L’un d’eux a levé la voix quand je lui ai dit que le scanner ne reconnaissait pas sa carte. Il m’a traitée de bonne à rien. Je suis restée calme. J’ai l’habitude. Mais monsieur Lambert, mon manager, est arrivé à ce moment-là. Il a pris ma défense sans crier, juste avec autorité.
— Elle fait ce qu’elle peut, monsieur. Vous allez vous calmer maintenant. Quand le client est parti, il m’a souri doucement.
— Tiens bon, Ellie. Je sais que ce n’est pas facile, mais tu t’en sors très bien.
— Merci... C’est gentil.
À 22h passées, j’ai enfin quitté le boulot. Je suis allée récupérer Asher chez ma mère. Elle m’a dit qu’il avait été calme, qu’il avait bien mangé.
— Merci maman. Tu n’imagines pas combien je te suis reconnaissante.
— Rentre vite, repose-toi un peu. Tu fais déjà assez.
J’ai marché jusqu’à la maison avec Asher endormi contre moi. Il faisait un peu froid ce soir-là. Le genre de froid qui pique les joues, mais qui réveille.
Une fois à la maison, j’ai couché Asher, pris une douche rapide, et je me suis installée sur le canapé, mon téléphone en main.
Un appel entrant : Séraphina. Je l’ai décroché, un peu étonnée.
— Allô ?
— Hé, ma belle... Je t’appelle parce qu’on a eu une idée avec Aile. Tu te souviens de Colton ?
— Le gars de notre classe ? Ouais.
— Ben, on prépare une surprise pour son anniversaire. C’est dans deux jours. On a tout organisé. C’est à Brooklyn, dans un petit local. On voulait savoir si tu voulais venir. Je sais que t’as Asher et tout... mais bon, si jamais tu peux.
Elle parlait vite, comme toujours. J’ai souri, un peu hésitante.
— Je vais voir... Peut-être que je peux demander à ma mère. Ça ne me ferait pas de mal de sortir un peu.
— Parfait ! Je t’enverrai les infos. Tu vas voir, ça va être sympa. Tu mérites de t’amuser un peu.
Sur un raccroché. Et là, dans le silence, j’ai senti un petit doute m’envahir. Rien de précis. Juste... une impression. Comme une ombre sur mon cœur. Mais j’ai secoué la tête. J’étais juste fatiguée.
Le lendemain, j’avais un drôle de goût dans la bouche. Tu sais, ce genre de sensation que tu ressens quand tu sais que quelque chose approche… mais que tu ne sais pas encore quoi. Comme une odeur de pluie avant la tempête. Mais ma journée a commencé comme les autres. Asher m’a réveillée à l’aube, j’ai préparé son biberon, je l’ai changé, habillé, bercé, déposé chez maman. Elle m’a encore dit de faire attention à moi, que j’avais l’air plus fatiguée que d’habitude.
— Je vais bien, maman. C’est juste la routine.
Elle n’a rien répondu. Elle m’a juste regardée. Tu sais, ce regard que les mères lancent quand elles sentent que quelque chose se passe… mais qu’elles ne veulent pas poser la mauvaise question. À la fac, j’ai retrouvé Seraphina et Aile comme d’habitude. Elles étaient déjà assises au fond de l’amphithéâtre, en train de chuchoter.
— T’as reçu mon message ? a demandé Seraphina en me voyant arriver.
— Oui, j’ai vu. J’en ai parlé à maman. Elle peut garder Asher samedi soir.
— Super. Franchement, tu ne vas pas le regretter. Ça va être une soirée de dingue.
Elle m’a souri, mais… je ne sais pas. Il y avait un truc dans son sourire. Quelque chose de… forcé. De tendu. Je me suis dit que j’étais parano. J’ai toujours été un peu trop sensible.
— Et Colton, il ne sait rien ? a demandé Aile en jouant avec une mèche de ses cheveux.
— Rien du tout. Il croit qu’on va juste se poser au fast-food avec les gars. Il va halluciner.
On a rigolé, un peu. J’ai fait semblant que tout allait bien. Peut-être que j’avais besoin d’y croire moi-même. Sûrement que j’avais juste envie d’être “normale” pour une fois. Une fille de vingt ans, avec des amis, une soirée à venir, des vêtements à choisir. Juste ça. Après les cours, je suis passée au centre commercial en vitesse. J’ai trouvé une robe pas trop chère, un peu ample, mais jolie. Noir simple, comme moi. Pas de fioritures. J’ai pensé à la fête. À ce que j’allais porter. À ce que les autres allaient penser. C’était idiot, mais ça me distrayait.
Vers 18 h 30, j’ai commencé mon service au supermarché. Mon dos me faisait mal, j’avais mal aux pieds, mais comme toujours, j’ai pris sur moi. Les clients sont passés les uns après les autres. Certains gentils. D’autres méprisants. À un moment, un homme a levé la voix, encore une fois. J’ai cru qu’il allait m’insulter, mais monsieur Lambert est intervenu, comme la veille.
— Ça va aller ? m’a-t-il demandé une fois que le client est parti.
— Oui. Merci. Je crois que j’ai juste besoin d’un peu de sommeil.
Il m’a regardée longtemps, comme s’il voulait dire quelque chose de plus. Mais il ne l’a pas fait. Quand j’ai fini mon service, il était presque 22h. J’ai couru jusqu’à chez maman pour récupérer Asher. Il dormait déjà. Elle l’avait couché dans un petit pyjama bleu qu’elle venait de lui acheter.
— Tu comptes vraiment y aller à cette fête ? a-t-elle murmuré en me regardant ?
— Oui… J’ai besoin de sortir un peu. Juste une soirée.
— Sois prudente. Je ne veux pas te retrouver en larmes comme l’an dernier.
Je n’ai pas répondu. J’ai pris Asher, je l’ai embrassée, et je suis rentrée chez moi. La nuit, une fois qu’il a été endormi, je me suis posée sur mon lit, les écouteurs dans les oreilles. J’ai mis de la musique douce. J’ai fermé les yeux. Et puis… mon téléphone a vibré
Seraphina :"Je t’envoie l’adresse pour samedi. On t’attend à 20h. Mets ta jolie robe noire. Tu vas briller, ma belle ✨".
J’ai souri doucement. J’ai éteint l’écran. Je ne savais pas encore que ce fût le dernier message qu’elle m’enverrait sans mensonge.
Le jour d’après, j’étais nerveuse. Pas stressée comme quand j’oublie un devoir ou que je suis en retard au boulot. Non… c’était plus diffus. Comme une brume dans la tête, un nœud dans le ventre que je n’arrivais pas à défaire. J’ai passé la matinée avec Asher. On a joué, il a babillé, il a ri. Il était beau, comme toujours. Serein. Innocent. Il me regardait avec ses grands yeux ronds, sans savoir à quel point c’était lui qui me tenait en vie. Je l’ai confié à maman en début d’après-midi.
— Tu es sûre de vouloir y aller ? m’a-t-elle encore demandé.
— Maman… je vais bien. J’ai juste besoin de souffler un peu. C’est une soirée. Je reviens demain matin.
— D’accord. Mais envoie-moi un message dès que tu arrives là-bas, d’accord ? Et fais attention à toi. Les gens ne sont pas toujours ce qu’on croit.
J’ai hoché la tête, mais j’ai senti quelque chose dans sa voix. Une peur discrète. Ou peut-être que c’était la mienne. De retour à l’appart, je me suis préparée. J’ai pris une longue douche. J’ai mis la robe noire que j’avais achetée, celle qui m’allait bien sans en faire trop. J’ai coiffé mes cheveux, mis un peu de mascara, du gloss. J’avais presque oublié à quoi je ressemblais quand je prenais le temps.
À 19 h 40, mon téléphone a vibré
Hailey :
"On est en route, on passe te chercher dans 10 minutes."
Je suis restée debout devant la porte, en mettant mon manteau, puis j’ai vérifié une dernière fois mon sac. Clés. Téléphone. Rouge à lèvres. J’ai hésité, puis j’ai glissé une photo d’Asher dans une petite poche intérieure. Je ne sais pas pourquoi. Juste… au cas où.
À 19 h 50, une voiture s’est arrêtée devant mon immeuble. J’ai reconnu Seraphina au volant. Aile était à l’arrière. La musique était forte, les basses faisaient vibrer la portière. Elles m’ont fait signe de monter.
— Allez, princesse ! cria Seraphina par la fenêtre. On t’attend pour briller ce soir !
J’ai souri timidement. J’ai descendu les escaliers en courant, et j’ai ouvert la portière.
— T’es superbe, Ellie, m’a dit Hailey. Cette robe noire, waouh !
— Merci, j’ai répondu en m’installant.
J’ai mis ma ceinture. La voiture a démarré. La nuit était tombée. Les lumières de la ville défilaient sur les vitres, floues comme mes pensées. Dans la voiture, on parlait. On riait. Enfin… surtout elles Moi, je regardais les rues de New York défiler. J’avais un goût de silence dans la gorge, même si la musique résonnait.
— Ça va ? m’a demandé Seraphina sans détourner les yeux de la route.
— Oui… Juste un peu fatiguée.
— Ce soir, tu oublies tout. Tu laisses la Ellie maman à la maison, d’accord ? Ce soir, tu redeviens juste… toi.
J’ai souri. Faussement. Et la voiture a continué d’avancer. Je ne savais pas qu’elle roulait vers la fin d’un monde que je croyais connaître.
La voiture s’est arrêtée devant une grande maison, dans un coin un peu reculé de Brooklyn. Pas tout à fait abandonné, pas tout à fait animé non plus. C’était un quartier que je ne connaissais pas. Les lampadaires semblaient éclairer à moitié. Trop jaune. Trop calme.
— C’est ici ? j’ai demandé en regardant la bâtisse.
— Ouais, répondit Séraphina en coupant le moteur. C’est un pote à Colton qui a prêté sa maison le temps d’un week-end. T'inquiète, on va bien s’amuser.
Aile s’est empressée de sortir de la voiture, claquant la portière comme si elle ne tenait plus en place.
Je suis restée quelques secondes de plus, hésitante. Mon téléphone vibrait dans ma poche. C’était un message de maman.
Maman :« Asher a bien mangé. Il s’est endormi tout doucement. Profite, mais reste prudente. Je t’aime. » Je lui ai répondu vite fait, le cœur un peu serré. « Merci maman. Je t’aime aussi. Je rentrerai demain matin. » Puis j’ai rangé le téléphone. Et je suis sortie. On a marché vers la porte. Séraphina a frappé d’un coup sec. La porte s’est ouverte aussitôt, comme si quelqu’un nous attendait juste derrière. Un garçon blond, que je ne connaissais pas, nous a accueillies avec un sourire trop large pour être sincère.
— Entrez, les filles. Faites comme chez vous.
L’intérieur était éclairé aux néons. Rose. Violet. Vert. Une ambiance étrange, presque irréelle. Une dizaine de personnes étaient déjà là, en train de boire, de danser, de rire trop fort. Je ne connaissais personne. Séraphina me tendit un gobelet en plastique.
— Bois un peu, tu vas te détendre. Promis, c’est léger. J’ai secoué la tête.
— Non merci, je préfère rester sobre ce soir. Elle a haussé les épaules.
— Comme tu veux, maman Ellie
Le surnom me piqua plus que je ne voulais l’admettre.
Hailey s’était déjà fondue dans la foule. Séraphina m’a attrapée par la main.
— Viens, je vais te présenter deux ou trois personnes.
J’ai suivi, un peu à contrecœur. On m’a présenté des gens dont je n’ai pas retenu les prénoms. Des garçons un peu trop curieux. Des filles qui me dévisageaient comme si j’étais une pièce dépareillée dans leur puzzle parfait. Je riais par politesse. Je souriais pour me défendre. Mais à l’intérieur, j’étais tendue. Quelque chose clochait. Peut-être l’endroit. Certainement les regards. Probablement juste… mon instinct. À un moment, j’ai quitté le salon pour m’éloigner un peu. J’avais besoin d’air. J’ai trouvé un couloir plus calme, des portes fermées, une lumière tamisée. Je me suis adossée au mur, j’ai fermé les yeux une seconde. Ma tête tournait légèrement. Pourtant, je n’avais rien bu.
Un rire lointain. Une musique qui changeait de rythme. Et puis… un murmure à peine audible.
— Elle est là… Je me suis redressée. Rien. Juste Séraphina qui arrivait dans le couloir, un sourire tranquille aux lèvres.
— Tu fais quoi ici toute seule ? Tu ne vas pas nous lâcher si tôt quand même ?
— Non… j’avais juste besoin de souffler un peu.
— D’accord. Viens, on va monter à l’étage. On a une surprise pour Colton, et tu vas adorer. C’est presque l’heure.
J’ai voulu dire non. Mon cœur me disait non. Mais j’ai dit oui. Et j’ai suivi Séraphina dans les escaliers.
Je montais les escaliers lentement, derrière Séraphina. Chaque marche grinçait, comme si la maison elle-même hésitait à nous laisser passer.
— Tu verras, me dit-elle en se retournant brièvement. Il va adorer. Et toi aussi, peut-être.
Elle a souri. Pas un vrai sourire. Plutôt un masque. Arrivée à l’étage, elle a ouvert une porte sur la gauche. Une chambre. Assez grande, décorée bizarrement, comme si on avait voulu cacher quelque chose avec trop de bibelots, trop de posters, trop de tout. Je suis restée près du seuil, les bras croisés.
Hailey était déjà là, assise sur le lit, en train de feuilleter un vieux magazine.
— Tu fais genre t’as peur ? demanda-t-elle sans lever les yeux. Ce n'est qu’un anniversaire. Détends-toi, Ellie.
— Je suis juste fatiguée, c’est tout.
— T’as toujours été fatiguée depuis que t’as eu le gosse, hein ? ajouta Séraphina avec un petit rire. Mais t’inquiète, on va te changer les idées ce soir.
Je n’ai rien répondu. J’ai regardé autour. Sur le bureau, il y avait une bouteille ouverte. Deux verres. Un sac à dos.
— C’est à Colton, ça ? ai-je demandé.
— Hm-hm, fit Séraphina en s’asseyant sur le bord de la fenêtre. Il ne devrait pas tarder.
Je regardais par la fenêtre, mais je ne voyais personne arriver. Le ciel était noir, complètement. Et mon cœur, lui, tapait fort. Je m’adossai contre le mur, mes doigts glissant machinalement dans la poche arrière de mon jean. Mon téléphone. Je l’avais encore. J’ai regardé l’heure. 21 h 37. Je pensais à Asher. À sa peau douce, son petit rire qui s’échappait quand je lui chatouillais le ventre. À ses yeux fermés quand il dormait contre moi. Et là, je me suis sentie idiote. Qu’est-ce que je faisais ici ? Avec elles ? Dans cette maison bizarre, loin de mon fils, loin de tout ce qui me donnait un semblant de paix ?
— Je crois que je vais redescendre, leur ai-je dit.
— Non, pas encore, Ellie, répondit Hailey sans même me regarder. Ce n'est pas poli de partir avant que la surprise commence.
— Ce ne sera pas long, ajouta Séraphina d’une voix douce, presque trop douce. Juste un petit moment. Après, tu pourras t’en aller.
Un frisson m’a traversé le dos. Je me suis redressée.
— Vous êtes sûres que c’est une fête pour Colton ?
— Bien sûr, dit Séraphina. Pourquoi tu poses cette question ?
— Juste… une impression.
Elle s’est levée de la fenêtre et s’est approchée de moi, lentement.
— Tu penses qu’on te ment ?
Je ne savais pas quoi répondre. Alors, je suis restée silencieuse. Ce n’était pas ce qu’elle disait. C’était comment elle le disait. Elle a posé une main sur mon épaule.
— Ellie… on est tes amies, tu te souviens ?
Je l’ai regardée. Et pour la première fois, j’ai vraiment vu quelque chose d’autre dans ses yeux. Quelque chose de froid. De distant. Presque vide.
Un bruit en bas.
Une porte qui s’ouvre.
Des rires.
— Il est là, dit Hailey en se levant. L’heure de la surprise.
Séraphina s’est tournée vers moi, un sourire étrange étirant ses lèvres.
— Tu viens ?
Je n’ai pas répondu. Mais j’ai marché. Mes jambes tremblaient un peu. Et mon cœur battait plus fort que jamais.
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