Le ciel de Séoul pleurait doucement ce matin-là. La pluie fine s’écrasait sur les trottoirs brillants comme du verre. Ji-ae Han leva les yeux vers l’immense tour de verre devant elle. KWON CORP, en lettres dorées, trônait sur la façade.

Son cœur battait plus vite que d’habitude. Son CV légèrement froissé dans les mains, ses talons trempés, et son estomac noué. Elle n’avait pas de plan B. Si cet entretien échouait, elle était foutue.

Elle franchit les portes automatiques, saluée par l’air glacé de la climatisation et l’odeur métallique du pouvoir.

« Mlle Han ? » lança la réceptionniste sans lever les yeux de son écran.

« Le PDG vous attend au 38e. »

38 étages. 38 chances de regretter d’être venue.

L’ascenseur glissa silencieusement vers le sommet. Les parois en miroir lui renvoyaient l’image d’une jeune femme droite, mais nerveuse. Elle se força à respirer.

Quand les portes s’ouvrirent, un long couloir de moquette grise l’accueillit, vide, comme si personne n’osait traîner par ici. À l’extrémité, une immense porte noire.

Elle frappa doucement. Une voix masculine, froide et claire répondit :

« Entrez. »

Le bureau était vaste, épuré, presque trop propre. Un homme se tenait dos à elle, face à une baie vitrée qui surplombait Séoul.

Il ne se retourna pas.

« Asseyez-vous. »

Ji-ae obéit, les doigts serrés sur son sac.

Après quelques secondes, l’homme se tourna. Il était jeune pour un PDG. Une trentaine d’années, peut-être. Costume noir, regard perçant, mâchoire serrée. Son nom ? *Haneul Kwon*. Celui que les médias appelaient “le PDG fantôme” — brillant, impitoyable, et inatteignable.

« Pourquoi vous ? » demanda-t-il sèchement.

Ji-ae se redressa.

« Parce que je suis qualifiée. Et déterminée. »

Un rictus à peine visible étira ses lèvres.

« Mauvaise réponse. Les gens qualifiés, j’en ai des centaines. Je veux savoir ce que vous cachez. »

Elle se crispa.

« Je ne cache rien. »

Il se leva lentement, fit le tour du bureau, et la fixa droit dans les yeux.

« Vous avez des dettes. Un frère disparu. Pas d’appui. Vous avez besoin de ce travail plus que n’importe qui. »

Comment savait-il tout ça ?

Ji-ae ravala sa surprise.

« Je suis ici pour travailler. Pas pour être jugée. »

Il hocha la tête.

« Parfait. »

Il sortit un dossier et le posa devant elle.

« Voici votre contrat. Lisez. Signez. Et surtout, souvenez-vous d’une chose, Mlle Han... »

Il s’approcha à quelques centimètres. Sa voix baissa, grave et glaciale.

« Ici, je contrôle tout. Même ce que vous croyez savoir. »

Ji-ae fixa le stylo. Puis le papier. Puis l’homme.

Et elle signa.

Sans le savoir, elle venait de sceller un pacte qui allait bouleverser sa vie.

En quittant le bureau, Ji-ae sentit un frisson glisser dans son dos.

Quelque chose dans ce regard…

Ce n’était pas juste un emploi.

C’était le début d’un piège.

Un piège élégant, silencieux, dont elle ignorait encore le prix réel et surtout celui qu’elle allait payer.

Chaque décision prise dans cette tour aurait des conséquences.

Et certaines laisseraient des cicatrices irréversibles, des cicatrices invisibles mais bien réelles .

La première journée de Ji-ae chez Kwon Corp débuta dans un silence presque religieux. À 8h30, elle était installée à son nouveau bureau, au même étage que le PDG. Une assistante l’avait guidée sans dire un mot, lui avait tendu une chemise contenant les “règles internes”. Aucune note de bienvenue. Aucun sourire.

Règle n°1 : Ne pas poser de questions personnelles.

Règle n°2 : Ne pas utiliser l’ascenseur privé.

Règle n°3 : Ne jamais entrer dans le bureau du PDG sans convocation.

Ji-ae fronça les sourcils. Un frisson la parcourut. Elle relut chaque ligne, comme si des mots invisibles s’y cachaient.

— Alors, c’est toi la nouvelle ?

La voix la fit sursauter. Une jeune femme à l’allure vive s’appuya contre la cloison. Cheveux bruns relevés, stylo dans les cheveux, sourire taquin.

— Soo-min, assistante RH. T’as l’air tendue. Relax, on mord pas ici… enfin, pas tous.

Ji-ae esquissa un sourire.

— Ji-ae. Première journée.

— Ouais, j’ai deviné. Ce regard de “sauvez-moi je me suis perdue dans une entreprise de riches fous”. T’inquiète, je l’ai eu aussi. Viens, je te fais visiter à la pause.

Avant qu’elle n’ait pu répondre, la voix froide de l’interphone grésilla.

« Mlle Han, bureau du PDG. Immédiatement. »

Ji-ae sentit son estomac se nouer. Soo-min haussa les sourcils.

— Eh ben, t’as pas traîné.

INT. Bureau de Haneul Kwon

Il était encore debout, regard tourné vers la ville. Il ne se retourna pas.

— Vous êtes ponctuelle. C’est bien.

— Vous m’avez convoquée.

— Et vous avez obéi. Très bien.

Il se tourna enfin, son regard toujours aussi inexpressif. Il tenait une enveloppe.

— Voici une liste de tâches confidentielles. Vous n’en parlez à personne. Même pas à l’assistante RH qui s’amuse à vous tourner autour.

Ji-ae cligna des yeux.

— Vous écoutez nos conversations ?

— Je contrôle mon environnement, Mlle Han. C’est écrit dans votre contrat. Lisez mieux.

Elle serra les dents, prit l’enveloppe sans un mot. Il reprit.

— Je veux votre loyauté totale. Si ce poste vous semble “normal”, alors vous êtes naïve. Tout ce que vous ferez ici aura un but. Même les détails.

— Et si je refuse une tâche ?

Il s’approcha lentement, la dominant de toute sa hauteur.

— Alors vous quittez ce bureau. Et vous perdez tout ce que vous êtes venue chercher.

Le silence entre eux était presque plus oppressant que ses mots.

— Ai-je été clair ? demanda-t-il enfin.

— Parfaitement, répondit-elle, la voix plus assurée qu’elle ne le ressentait.

De retour à son poste, Ji-ae ouvrit l’enveloppe. À l’intérieur : une série de noms, de salles à réserver, de dossiers à consulter. Rien d’anormal. Mais une ligne attira son attention.

“Dossier MIN-JUN HAN – Archives privées – Accès niveau 3.”

Son cœur manqua un battement. Min-jun. Son frère.

Ce nom qu’elle n’avait plus entendu depuis un an.

Elle relut plusieurs fois, tremblante. Pourquoi ce nom apparaissait-il ici ? Était-ce une coïncidence ? Un test ? Ou… un piège ?

Elle releva les yeux, et à cet instant, croisa le regard de Haneul à travers la vitre teintée de son bureau. Il la fixait. Sans un mot. Sans un geste.

Mais elle comprit. Il savait.

Et il attendait de voir ce qu’elle ferait.

La soirée tombait sur Séoul quand Ji-ae descendit au niveau 3, là où se trouvait l’archivage privé. Aucun employé n’était visible dans les couloirs. Les néons diffusaient une lumière blafarde. L’endroit sentait le papier ancien, l’encre, et quelque chose d’autre… le silence.

Elle tendit sa carte d’accès à la borne.

BIP.

Accès refusé.

Un second essai.

Toujours refusé.

— Vous n’avez pas les autorisations pour cet étage, Mlle Han.

Ji-ae sursauta. Une voix masculine, calme mais tranchante, venait de sa gauche. Un homme plus âgé en costume sombre l’observait. Badge : Directeur Oh.

— Je... je devais récupérer un dossier spécifique, dit-elle en essayant de garder contenance.

— Vous êtes ici depuis moins de 24h. Les archives privées sont réservées aux cadres. Qui vous a donné cette instruction ?

Ji-ae hésita. Elle ne pouvait pas prononcer son nom. Pas sans conséquences.

— J’ai dû me tromper, dit-elle simplement.

Le regard de Directeur Oh s’attarda sur elle une seconde de trop, comme s’il scannait quelque chose. Puis il esquissa un sourire vide.

— Soyez prudente, Mlle Han. L’erreur est une chose. La curiosité, une autre.

Il tourna les talons.

Ji-ae resta figée quelques instants, le cœur battant. Elle se détourna rapidement, remontant vers son étage. Elle n’avait même pas commencé à chercher, et déjà, elle attirait l’attention.

Le lendemain, Ji-ae retrouva Soo-min à la cafétéria. Elle n’avait pas dormi. Le nom de son frère tournait en boucle dans sa tête.

— Tu vas bien ? demanda Soo-min en posant son gobelet de café. T’as une tête à faire fuir les clients.

— Mal dormi, répondit Ji-ae. Trop de trucs à assimiler.

— Ou t’as croisé le regard de Monsieur Kwon plus de trois secondes ? Ça arrive aussi.

Ji-ae esquissa un sourire, mais son esprit était ailleurs.

— Dis, demanda-t-elle à voix basse, tu connaissais quelqu’un ici nommé Min-jun Han ?

Soo-min releva la tête lentement.

— Ce nom me dit quelque chose. Je crois qu’il bossait ici, y a un an ou deux. Pourquoi ?

— Mon frère.

Soo-min ouvrit de grands yeux.

— Sérieux ? Tu l’as dit à personne ?

— Non. Et je ne compte pas le faire.

— Bonne idée. Y a eu des rumeurs sur lui. Genre... disparition étrange, dossiers volés. Tout le monde a étouffé l’affaire. Depuis, plus personne n’en parle.

Ji-ae sentit ses mains devenir moites. Son intuition était donc juste.

— Tu sais dans quel service il travaillait ?

— R&D je crois. Il était discret. Mais proche de quelqu’un ici...

— Qui ?

— Aucune idée. Mais si tu veux creuser, t’as intérêt à faire ça en mode ninja.

Ji-ae acquiesça lentement. Elle venait de mettre le pied dans quelque chose de bien plus vaste qu’un simple job.

Plus tard dans la journée, une nouvelle convocation tomba.

“Bureau du PDG. Maintenant.”

Ji-ae entra, tendue. Haneul était assis, un dossier ouvert devant lui.

— Vous avez tenté d’accéder aux archives privées sans autorisation.

— C’était une erreur. Je me suis trompée d’étage.

— Mauvais mensonge. Vous avez vu un nom qui vous intéresse. Min-jun Han. Votre frère.

Ji-ae le fixa, glacée.

— Vous m’avez fait venir ici exprès ?

— Je voulais tester vos réactions. Vous vous êtes débrouillée. Mais sachez ceci : ici, toute vérité a un prix. Et vous n’avez aucune idée de ce que votre frère a déclenché.

— Dites-moi ce qu’il a fait.

— Je vous dirai... le jour où vous prouverez que vous pouvez supporter la vérité.

Il referma lentement le dossier, comme s’il venait de clore une porte derrière elle.

Et pour la première fois, Ji-ae sentit qu’elle venait d’entrer dans un jeu dont elle ne contrôlait aucune règle.