Les roses blanches du palais de Marandiel brillaient sous la lumière dorée de l’aube. Chaque matin, elles s’ouvraient lentement, comme si elles aussi attendaient une permission royale pour exister.

Célène n’en avait que faire. Du haut de ses 17 ans, la jeune servante courait à travers les haies, pieds nus, une pomme à la main et les cheveux défaits. Le bas de sa robe beige traînait dans la rosée, et ses jambes fines étaient marquées de petites coupures laissées par les branches. Elle savait qu’elle serait punie pour son retard. Mais ce matin, une voix étrange l’avait réveillée… une voix venue du vent, chuchotant des mots qu’elle ne comprenait pas.

« Viens, petite étoile… »

« Le temps du cœur approche… »

Elle s’était levée, tremblante, croyant à un rêve. Mais le vent soufflait encore, et dans les jardins du palais, les feuilles formaient un cercle étrange. Au centre, une rose rouge, unique parmi les autres, brillait d’une lumière surnaturelle.

Célène s’arrêta net.

Elle n’avait jamais vu cette fleur auparavant. Sa lumière était douce mais brûlante, comme une vérité qu’on n’est pas prêt à entendre. Une chaleur étrange monta en elle, comme si quelque chose de lointain s’éveillait dans son sang. Ses doigts frémirent. Ses yeux s’écarquillèrent.

Tout était trop silencieux. Comme si le temps lui-même retenait son souffle.

Elle s’agenouilla. Son cœur battait vite, si fort qu’elle crut qu’il allait éclater dans sa poitrine. Elle tendit lentement la main vers la rose, quand soudain… une ombre traversa le jardin.

Et c’est alors qu’il apparut.

Un jeune homme aux yeux violets, vêtus d’un manteau de soie noire brodée d’or. Il n’avait pas l’air de marcher : il flottait presque, ses pieds frôlant à peine le sol. Une brise l’entourait, faisant onduler ses cheveux sombres comme les ténèbres. Sa voix était grave, mais mélodieuse. Inhumaine. Elle vibrait dans l’air, comme un chant ancien que le monde avait oublié.

— Tu as entendu mon appel, souffla-t-il. Tu es l’Éveil.

Célène recula, terrifiée.

— Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré ici ?

Elle jeta un regard autour d’elle, cherchant une issue, une explication rationnelle, mais tout semblait irréel. Même les couleurs paraissaient plus vives, les parfums plus forts.

Le garçon sourit, doucement, presque tristement.

— Je suis le Prince d’un royaume que le tien a oublié. Et tu es celle qui me libérera.

— Je suis le Prince d’un royaume que le tien a oublié. Et tu es celle qui me libérera.

Ces mots résonnèrent en elle comme un tambour invisible. Ils la traversèrent, touchant une partie d’elle qu’elle ne connaissait pas. Une part ancienne, enfouie, mais vivante.

Elle sentit alors quelque chose chauffer dans sa paume gauche. Lorsqu’elle baissa les yeux, elle vit une faible lumière rouge, pulsant juste sous sa peau.

Un frisson la parcourut. Le monde autour d’elle semblait s’effacer.

Et le vent se leva.

Les feuilles dansèrent autour d’eux en spirales étranges, comme guidées par une force supérieure. La rose rouge s’éleva lentement dans les airs, tournoyant entre leurs deux cœurs. Lorsqu’elle éclata en poussière lumineuse, un symbole apparut sur la main de Célène : une étoile à cinq branches, entourée de flammes.

Elle cria.

Tout son être brûlait.

Puis, soudain, elle tomba dans le noir.

Le souffle court, Célène recula jusqu’à heurter un rosier. Les épines mordirent sa peau, mais elle ne sentit rien. Son regard était accroché aux yeux du mystérieux garçon – des yeux d’améthyste, profonds et anciens, bien trop sages pour appartenir à un simple humain.

Autour d’eux, le jardin semblait figé dans le temps. Les feuilles suspendues dans l’air retombaient au ralenti, comme ralenties par une magie invisible. Le vent lui-même chuchotait encore, mais sans direction, comme s’il attendait une réponse.

— C’est une farce ? dit-elle, la voix tremblante. Les nobles t’ont envoyé pour se moquer de moi ?

Elle ne voulait pas croire à ce qu’elle voyait. Elle n’en avait pas le droit. Une servante n’avait pas le luxe de rêver, encore moins d’imaginer.

— Je ne suis ni noble, ni humain, répondit-il calmement. Et tu n’es pas simplement une servante.

Il s’approcha d’un pas. L’herbe sous ses pieds ne pliait même pas. Comme s’il appartenait à un autre monde.

Célène sentit ses mains trembler. Elle voulut reculer encore, mais son dos était déjà contre la haie épineuse. Son cœur tambourinait si fort qu’elle avait l’impression que le Prince pouvait l’entendre.

— Tu mens, dit-elle. Je suis née esclave. Je nettoie leurs chambres, je sers leurs repas, je n’ai jamais été… importante.

Une amertume monta dans sa gorge. Elle avait appris à ne rien attendre de la vie. À accepter sa place, silencieusement, pour survivre.

Le garçon s’arrêta à quelques pas. Son regard s’adoucit.

— Tu es plus qu’importante. Tu es née sous l’étoile rouge. Celle qui revient tous les cent ans. L’éveil de la prophétie.

Un rire nerveux lui échappa, brisé, presque douloureux.

— Une prophétie ?… Pourquoi moi ?

Le vent souffla plus fort. Les branches au-dessus d’eux se mirent à frémir comme si la nature elle-même écoutait.

— Parce que tu es née libre, même enchaînée. Et moi… je suis lié à ta liberté.

Célène sentit alors une chaleur familière revenir dans sa main. Le symbole apparu plus tôt – l’étoile – brillait à nouveau sous sa peau, pulsant à chaque battement de son cœur.

— Qu’est-ce que c’est… que ça ?!

— Le sceau du lien, murmura-t-il. Ton âme m’a reconnu. La mienne t’attendait.

À cet instant, un souffle étrange s’échappa du corps du prince, comme une brume d’or. Elle tourbillonna autour de Célène, caressant ses joues, ses cheveux, sa peau.

Elle ferma les yeux. Une image envahit son esprit : un trône brisé, un palais en ruine, des chaînes éclatées au sol… et des centaines de visages levés vers elle.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle chancela.

— Je ne comprends rien…

— Tu comprendras. Le lien est scellé, Célène. Ton monde vient de changer.

Et, dans un souffle d’éclairs silencieux, il disparut.

Elle resta seule, au milieu du jardin sacré, avec sur la main une étoile brûlante… et dans le cœur, une peur nouvelle.

A S H K A R. R U T C H E L L ❤️

C O N T I N U A T I O N le 3/ 8…