La villa Valente, perchée sur les hauteurs de Palerme, respirait le luxe et le danger. Le marbre sous les talons, les lustres de cristal au-dessus des têtes, et les regards chargés de non-dits… Tout ici brillait, mais rien n’était vraiment vivant.
Emma descendit les escaliers lentement, telle une reine malgré elle. Vingt ans. Une robe noire fendue sur la cuisse, un collier discret autour du cou, et ce regard droit, qui défiait le monde sans même essayer. Depuis l’enfance, elle avait appris à marcher sans trembler au milieu des loups. Ce soir-là, elle allait en rencontrer un de plus.
Dans le grand salon, les hommes riaient fort et buvaient encore plus fort. Mais il ne riait pas, lui.
Alex Moretti. Trente ans. Patron de la mafia milanaise. Un silence glacial autour de lui, comme si même l’air évitait de le frôler. Costume noir, chemise ouverte, regard d’acier. Assis dans un fauteuil, il observait. Toujours. Et quand ses yeux croisèrent ceux d’Emma, il arrêta de respirer.
Elle sentit le choc. Un frisson brutal dans le dos. Pas de sourire. Pas de salut. Juste ce regard — brutal, précis, presque… possessif.
— C’est lui, murmura son père derrière elle. Alex Moretti. Sois polie.
Elle ne répondit pas. Elle n’aimait pas les ordres. Encore moins ceux qui lui demandaient de se soumettre à un inconnu, même s’il avait les clés de la moitié du pays.
Il s’approcha plus tard, quand les verres furent vides et les voix, un peu plus floues.
— Emma Valente, dit-il doucement.
— Vous me connaissez ?
— On ne présente pas une tempête. On l’annonce.
Un silence. Elle aurait dû rougir. Baisser les yeux. S’en aller.
Mais Emma n’était pas une fille qu’on domptait.
— Et vous, vous êtes quoi ? Le calme avant ? Ou les ruines après ?
Il sourit, enfin. Un sourire sans chaleur, mais dangereux. Comme un loup qui reconnaît enfin un adversaire à sa taille.
— Je suis celui qu’on ne regarde pas trop longtemps… si on veut rester sage.
Elle leva le menton, défi ouvert.
— Bonne nouvelle. Je n’ai jamais été sage.
À cet instant précis, il sut. Elle n’était pas un jouet. Pas un trophée. Elle était une tentation. Une erreur. Et dans son monde, les erreurs se paient très cher.
Mais Alex n’était pas du genre à reculer.
Et Emma n’était pas du genre à fuir.
Alex n’avait pas l’habitude qu’on lui parle comme ça. Encore moins venant d’une fille qu’il aurait dû ignorer.
Mais il n’arrivait pas à décrocher. Elle ne se tenait pas droite comme les autres. Elle n’essayait pas d’être jolie. Elle l’était sans effort, sans permission. Une beauté sauvage, insolente. Incontrôlable.
— Ton père ne t’a jamais appris à te méfier des hommes comme moi ? demanda-t-il, son regard planté dans le sien.
Emma haussa une épaule.
— Si. C’est pour ça que je ne vous fais pas confiance.
— Mais tu me parles quand même.
— Ce n’est pas vous qui m’intimidez, Alex. C’est ce que je pourrais faire, si je commençais à vous apprécier.
Une phrase jetée comme une gifle douce. Il recula légèrement, surpris. Pas physiquement, non. Mais dans sa tête, dans ce territoire où personne n’osait entrer. Il y avait quelque chose de profondément dérangeant chez elle. Et fascinant. Comme une grenade dégoupillée qu’on admire au lieu de la jeter.
— Tu sais ce que ton père attend de cette soirée ? murmura-t-il, en s’approchant d’elle.
— Oui. Un pacte. Une alliance. Des verres levés et des poignées de main fausses.
— Et toi ? Tu attends quoi ?
— Rien. Surtout pas de vous.
Mensonge.
Elle-même le sentait. Il y avait quelque chose d’électrique dans l’air depuis qu’il était entré dans la pièce. Quelque chose d’interdit. De brûlant.
Elle tourna les talons avant qu’il ne puisse répondre, comme si elle en avait déjà trop dit. Mais dans son dos, elle sentait encore ses yeux sur elle. Il ne la quittait pas du regard.
Et c’était réciproque.
Plus tard dans la soirée, alors que les rires s’étaient calmés et que les accords étaient presque signés, Alex sortit fumer seul sur la terrasse. Il n’aimait pas ces réunions. Trop d’hypocrisie. Trop de regards qui veulent tuer en souriant.
Il alluma sa cigarette. Les lumières de la ville brillaient en contrebas. Et puis, il l’entendit.
— Vous n’êtes pas sociable, on dirait.
Elle s’était approchée sans bruit, comme une ombre. Une robe noire dans la nuit, des cheveux relevés, un regard trop franc.
— Et toi, tu ne sais pas rester à ta place.
Un sourire, léger. Presque complice.
— Peut-être que ma place est là où on ne m’attend pas.
Il inspira lentement, comme pour calmer quelque chose en lui. C’était mauvais, tout ça. Dangereux. Elle n’était qu’un pion dans un jeu plus grand. Mais elle le regardait comme si elle en avait conscience, et qu’elle s’en foutait.
Elle posa les mains sur la rambarde, à côté de lui. Si près qu’il sentait son parfum — quelque chose de discret, mais addictif.
— Si tu continues comme ça, murmura-t-il, je vais finir par te vouloir.
— Et si je te dis que c’est peut-être ce que je cherche ?
Silence. Il tourna la tête vers elle. Leurs visages étaient à quelques centimètres. Il aurait suffi d’un mouvement. Un seul.
Mais il ne bougea pas.
— Tu joues avec le feu, Emma Valente.
Elle le fixa, sans ciller.
— C’est vous, le feu, Alex Moretti. Moi, je veux juste voir jusqu’où je peux m’approcher… avant de me brûler.
Le lendemain matin, le soleil de Sicile n’apportait aucune paix. Emma fixait son reflet dans le miroir, brossant ses cheveux avec lenteur, comme pour se donner un rythme. Comme si elle pouvait oublier la veille.
Mais les yeux qu’elle avait croisés, elle ne les oublierait pas. Pas de sitôt.
Elle avait joué avec le feu. Et le feu l’avait regardée en retour.
Une voix frappa à la porte.
— Emma, descend. Ton père veut te voir.
— J’arrive, grogna-t-elle, agacée.
Elle enfila une robe plus sage — bleu nuit, col montant, aucun bijou. Elle ne voulait pas qu’on lise sur elle ce qu’elle sentait brûler à l’intérieur.
Dans le salon, son père discutait avec deux hommes de confiance. La tension était palpable. Il se tourna vers elle, le visage dur.
— Tu as parlé avec Alex Moretti hier soir.
Ce n’était pas une question. C’était une déclaration.
— Oui.
— Trop longtemps.
— Il m’a parlé. J’ai répondu. C’est tout.
— Ne joue pas à ça avec moi, Emma. Ce n’est pas un homme pour toi. Et ce n’est pas un homme à provoquer.
Elle soutint son regard, calmement.
— Je ne suis pas une marchandise, papa.
Il tapa du poing sur la table.
— Tu es ma fille. Et dans ce monde, ça veut dire quelque chose. Alex Moretti n’est pas un prétendant. Il est un allié, un poison, et un danger. Tu restes loin de lui. C’est clair ?
Elle ne répondit pas. Mais au fond d’elle, une idée s’était déjà enfoncée comme une lame :
s’il est aussi dangereux que tu le dis… alors pourquoi est-ce que je n’arrive pas à l’oublier ?
⸻
De l’autre côté de la ville
Alex était assis dans son bureau, à l’arrière d’un restaurant qu’il utilisait comme couverture. Ses hommes parlaient, négociaient, plaisantaient même.
Mais lui, il ne disait rien.
Il pensait à elle.
À ses yeux, à sa façon de le défier. À cette voix calme, insolente, qui résonnait encore dans sa tête. Il n’avait pas l’habitude qu’on le trouble. Encore moins à ce point-là.
Un de ses lieutenants entra sans frapper.
— Valente a dit quelque chose. Il ne veut pas que tu t’approches de sa fille.
— Et pourquoi me dirait-il ça ? lança Alex, les yeux plissés.
— Parce qu’il t’a vu la regarder. Et il connaît les hommes comme toi.
Alex esquissa un rictus.
— Il croit que je joue ? Il ne comprend pas. Ce n’est pas un jeu.
— Alors c’est quoi ? demanda le lieutenant, prudent.
Un silence.
— C’est une erreur, souffla Alex.
Il savait que c’était vrai.
Mais certaines erreurs, on les fait quand même.
⸻
Retour à la villa Valente — Minuit
Emma ne dormait pas. Elle ne dormait plus depuis qu’il avait prononcé son prénom.
Elle sortit en douce, enjamba le petit muret du jardin, traversa la ruelle déserte. Une adrénaline douce la guidait. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait. Elle savait juste où elle allait.
Elle envoya un message à un numéro qu’elle n’aurait jamais dû avoir.
Je suis dehors. Dis-moi que je fais une connerie.
La réponse arriva en quelques secondes :
Tu fais une connerie.
Mais je viens.
Une voiture noire s’arrêta au bout de la ruelle. Pas de plaque. Vitres teintées. Emma ne bougea pas. Elle savait que c’était lui. Elle le sentait.
La portière s’ouvrit lentement.
— Monte, dit-il sans un mot de plus.
Elle hésita une seconde. Juste une. Puis elle entra dans la voiture, et tout changea.
L’intérieur sentait le cuir, le danger, et lui.
Alex ne la regardait pas, pas tout de suite. Il conduisait en silence, concentré. Emma sentait son cœur battre plus fort que d’habitude. C’était insensé. Irrationnel. Mais elle n’avait jamais eu aussi envie de faire une erreur.
Ils roulèrent pendant dix minutes, sans se parler. Jusqu’à une villa isolée, protégée par un portail métallique et des caméras. Il arrêta le moteur. Ouvrit la porte.
— Tu n’as qu’à dire un mot, Emma. Un seul, et je te ramène chez toi.
Elle le fixa. Longtemps.
— Et si je ne dis rien ?
Il s’approcha d’elle, à quelques centimètres seulement. Son regard était plus sombre qu’hier, plus froid… ou trop brûlant pour être supportable.
— Alors ne t’attends pas à de la douceur.
Elle frissonna. Mais ce n’était pas de peur. C’était autre chose. Une tension brutale, animale. Alex n’était pas un homme. Il était une épreuve.
Il la guida à l’intérieur. Pas un mot inutile. Tout était silencieux, pesant. Il laissa la porte se refermer derrière elle.
— Tu veux jouer à la provocatrice, murmura-t-il. Mais tu ne sais pas ce que tu réveilles chez les hommes comme moi.
Elle releva le menton.
— Peut-être que je veux voir jusqu’où ça va.
Il s’approcha encore. Elle pouvait sentir son souffle sur sa peau maintenant. Son cœur battait à s’en faire exploser les côtes.
— Ce n’est pas un conte de fées, Emma. Si je te touche, je ne recule pas.
— Et si je ne veux pas que tu recules ?
Il ferma les yeux une seconde. Lutta. Puis perdit.
Sa main se posa sur sa taille. Ferme. Pas violente, mais sans appel. Un frisson la traversa. Il la poussa lentement contre le mur, leurs corps ne se touchant presque pas — mais la tension entre eux était insupportable.
— Tu devrais avoir peur, murmura-t-il à son oreille.
— J’ai peur, souffla-t-elle. Mais je suis quand même là.
Leurs lèvres étaient si proches qu’elles brûlaient l’air entre elles.
— Dernier avertissement.
— Trop tard.
Et il l’embrassa.
Pas tendrement. Pas gentiment. C’était un baiser qui dévorait, qui exigeait. Emma répondit avec la même force, la même rage de vivre, comme si elle s’était enfin trouvée au bord du précipice qu’elle avait toujours cherché.
Il la plaqua contre le mur, ses mains glissant dans son dos, ses lèvres descendant le long de sa mâchoire, jusqu’à son cou.
Mais soudain, il s’arrêta net.
— Non.
Elle le regarda, haletante, perdue.
— Pourquoi ?
— Parce que si je continue… je vais te posséder, Emma. Et je ne suis pas sûr de vouloir te rendre, après.
Elle recula d’un pas, les jambes tremblantes.
— Et si c’est exactement ce que je veux ?
Il la fixa. Silencieux. Et elle comprit qu’il n’allait pas répondre. Parce que pour lui, ce n’était plus une question de vouloir.
C’était déjà trop tard.
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