La pluie tombait drue ce jour-là, comme si le ciel voulait laver les péchés d’un monde trop silencieux.
À l’angle d’une ruelle discrète du vieux quartier de Paris, nichée entre une boulangerie et un cordonnier abandonné, une petite boutique de parfums résistait au passage du temps. La vitrine, légèrement embuée, laissait deviner des flacons poussiéreux aux formes élégantes. Une enseigne dorée s’effritait : L’Essence du Rêve.
À l’intérieur, une lumière chaude vacillait. Des senteurs de jasmin, de bois ambré et de vanille dansaient dans l’air. Derrière le comptoir, Sky Morel, vêtue d’un pull crème et d’un jean simple, rangeait les étagères avec une délicatesse presque sacrée. Ses cheveux dorés, lâchés en cascade sur ses épaules, captaient chaque rayon de lumière comme une auréole fragile. Ses yeux, de la même couleur, scrutaient la boutique — pas pour chercher des clients, mais pour s'assurer que l’univers qu’elle avait construit pour elle et son fils tenait encore debout.
Dans l’arrière-salle, on entendait les rires étouffés d’un petit garçon de cinq ans, Léo, jouant avec une boîte vide et quelques bouchons, les transformant en fusées interstellaires.
Sky sourit doucement, avant que la clochette suspendue à la porte d’entrée ne sonne.
Elle leva les yeux. Et le monde s’arrêta.
Un homme, trempé mais majestueux, venait de franchir le seuil. Il portait un long manteau noir aux reflets luxueux, détrempé par l’averse. Son costume sombre, parfaitement taillé, collait à son torse musclé. Son visage était d’une beauté brutale : mâchoire carrée, cheveux noirs courts, quelques gouttes de pluie y glissaient, et surtout… ces yeux d’un bleu saisissant, glaciaux, insondables.
Sky sentit son cœur vaciller.
— Vous êtes ouverte ? demanda-t-il, d’une voix grave, comme un murmure au milieu d’une tempête.
Elle acquiesça, troublée.
— Oui… bien sûr. Entrez.
Il s’avança lentement, observant chaque flacon comme s’il évaluait une œuvre d’art ou un secret enfoui. Ses pas étaient sûrs, presque arrogants. Mais quelque chose dans sa posture trahissait une tension.
— Je cherche quelque chose de… unique, dit-il en approchant du comptoir. Un parfum qu’on n’oublie jamais.
Sky se redressa, reprenant contenance.
— Ça tombe bien. Je n’en vends aucun qui s’oublie.
Un silence s’installa. Un silence dense. Chargé. Puis il esquissa un sourire. Léger. Presque imperceptible.
— Vous avez du caractère, on dirait.
— Seulement quand il faut.
Elle tendit la main vers une étagère et prit un flacon translucide serti d’argent.
— Essayez celui-ci. Ambre noir, tubéreuse, une pointe de vétiver. C’est pour les gens qui aiment les choses complexes.
Il attrapa le flacon et le sentit. Lentement. Son regard ne la quittait pas.
— Vous le portez, n’est-ce pas ?
Sky hocha la tête. Elle se sentait mise à nu par ses mots, comme si cet inconnu lisait en elle comme dans un roman ouvert.
— Vous êtes douée, murmura-t-il. Et ce n’est pas qu’un parfum que vous vendez. C’est une atmosphère. Une âme.
Elle rougit. Ce genre de client, elle n’en avait jamais. Des gens pressés, des voisins fatigués, des touristes égarés… mais jamais ce genre d’homme.
Il posa le flacon sur le comptoir, puis sortit une carte noire de son portefeuille.
— J’en prends trois. Et envoyez-moi votre meilleure création chaque mois. Vous avez carte blanche.
Sky fixa la carte. Elle n’avait jamais vu un nom aussi célèbre gravé sur du velours noir : Desmond Leclerc.
Le sang se glaça dans ses veines.
Le milliardaire. Le roi du luxe. L’homme qui avait bâti un empire avant ses trente ans. L’homme que même les magazines évitaient de trop exposer. Et selon certaines rumeurs, le chef silencieux d’une organisation dont personne n’osait parler.
Et il se tenait là, dans sa boutique. À quelques centimètres d’elle. À sentir son parfum.
— Vous êtes… Desmond Leclerc ?
Il la fixa, sans répondre.
— Et vous, vous êtes Sky Morel, répondit-il enfin. Mère de Léo. Célibataire.
Elle recula d’un pas.
— Comment vous savez ça ?
Il sourit. Une étincelle dangereuse dans les yeux.
— Je sais reconnaître les choses précieuses, même quand elles se cachent dans des endroits modestes.
Un silence. Un battement suspendu.
Et pour la première fois depuis longtemps… Sky eut peur. Pas de lui. Mais de ce qu’il pourrait réveiller en elle.
Sky resta immobile.
Le flacon dans sa main tremblait légèrement. L’homme devant elle semblait absorbé par la boutique, chaque objet, chaque odeur, comme s’il analysait les fragments d’une histoire qu’elle ne savait pas qu’elle racontait.
Desmond Leclerc. Le nom résonnait dans sa tête comme une incantation interdite.
Il ne parlait pas. Il observait. Et dans son silence, il disait plus que bien des mots.
— Votre fils aime les fusées ? dit-il soudain, son regard se tournant vers l’arrière-salle d’où s’échappaient les éclats de rire de Léo.
Sky sursauta. Elle n’avait jamais mentionné Léo. Pas une fois.
— Comment vous...
Il sortit un mouchoir en lin de sa poche et essuya une goutte d’eau sur son col, avant de poser les yeux sur elle, calmement.
— Quand on cherche l’exclusivité, il faut tout comprendre du créateur. Même ce qu’il protège.
Sky recula instinctivement, sa main cherchant le bouton sous le comptoir qui reliait à la sécurité. Mais elle ne le pressa pas.
— Vous êtes là pour quoi, exactement ? Un parfum ou autre chose ?
Desmond sourit — un sourire qui n’atteignait jamais ses yeux.
— Un parfum. Ce mois-ci. Une collaboration, peut-être. Et...
Il s’approcha du comptoir, posant ses deux mains sur le bois patiné. Son alliance brillait. Vide de tout symbole. Trop parfaite pour être sincère.
— Et pour la première fois, je suis venu sans savoir exactement ce que je cherche.
Un silence pesant s’installa.
Sky croisa les bras, tentant de reprendre le contrôle.
— Vous n’êtes pas habitué à ne pas savoir, j’imagine.
— J’ai bâti un empire sur les certitudes. Mais c’est souvent dans les doutes que naissent les vraies révolutions.
Elle ne sut quoi répondre. L’homme devant elle n’était pas juste un client — il était un tremblement de terre. Et pourtant, quelque chose en elle refusait de fuir.
Dans l’arrière-salle, Léo fit irruption en courant, tenant son vaisseau spatial improvisé.
— Maman, regarde, j’ai ajouté un laser !
Il s’arrêta net en apercevant Desmond.
Le silence fut coupé par un sourire... sincère cette fois.
— Bonjour, petit astronaute. C’est ton vaisseau ?
Léo hocha la tête, les yeux grands ouverts.
— Il peut aller jusqu’à la lune. Et même plus loin que la lune.
Desmond se pencha légèrement.
— Alors je peux peut-être te confier une mission spéciale.
Sky fronça les sourcils.
— Ce n’est pas nécessaire...
Mais Desmond sortit un petit carnet de sa poche. Un calepin en cuir, avec des initiales dorées.
Il y griffonna quelque chose.
— Tu me crées un parfum lunaire ? Pour les gens qui ont la tête dans les étoiles, comme toi.
Léo regarda sa mère, indécis.
Sky répondit d’un regard doux, mais inquiet.
Desmond tendit le carnet au garçon.
— Cadeau. Note ce que tu veux dedans. Rêves, fusées, parfums... ou secrets.
Léo s’en saisit, fasciné.
Puis Desmond se redressa.
— Je repasserai la semaine prochaine. Vous avez mon contact. Et, Sky...
Elle leva les yeux.
— Ce parfum, celui que vous portez... gardez-le. Il vous va trop bien pour être vendu.
Il tourna les talons, sous le regard figé de Sky, et franchit la porte sous le tintement de la clochette.
Dehors, la pluie avait cessé.
Mais Sky savait : la tempête venait juste de commencer.
Le carnet en cuir reposait sur la table de la cuisine, entre un bol de céréales et une peluche en forme d’étoile. Léo l’observait avec de grands yeux curieux. Il avait attendu que sa maman termine de ranger la boutique pour s’installer dans leur petit appartement, douillet mais modeste.
Sky préparait un thé, jetant parfois un regard inquiet vers ce cadeau inattendu. Ce carnet, offert par un homme comme Desmond… elle ne savait toujours pas si c’était un jeu ou un piège.
Léo, lui, y voyait une mission. Un défi.
Il prit son crayon préféré — celui à motif de fusée — et tourna lentement la première page.
Liste du parfum spatial de Léo :
🌕 Poussière de Lune — pour quand on marche très doucement dans le noir.
🔥 Odeur de fusée avant le décollage — ça sent le métal et le courage.
🍭 Nuage de bonbons — parce que dans l’espace on mange des choses rigolotes.
🪐 Tourbillon de planète chocolatée — mais pas trop sucrée, juste comme maman aime.
👽 Senteur alien gentil — un parfum qui fait dire “il est bizarre, mais il est cool”.
🌌 Silence de l’univers — celui qu’on sent quand on regarde le ciel longtemps.
📡 Parfum qui capte les pensées tristes et les rend jolies
⚡ Éclair de vitesse — comme quand on court très vite sans tomber.
🌠 Souvenir de papa (mais pas trop longtemps) — juste ce qu’il faut pour ne pas pleurer.
💛 Maman qui fait un câlin — le meilleur parfum du monde.
Sky s’était arrêtée de bouger. Elle lisait derrière son épaule, les larmes aux bords des cils.
— Tu penses qu’il aimera ? demanda Léo sans lever les yeux.
— Je pense qu’il ne saura pas quoi dire. Et c’est ce qu’il lui faut.
Il referma doucement le carnet et le glissa dans son sac à dos fusée.
— Je vais le lui donner quand il revient. Et s’il veut pas, je le garde pour faire mon parfum à moi.
Sky sourit. Le cœur serré. Parce que parfois, ce sont les mots d’un enfant qui révèlent les vérités les plus puissantes.
Et ce soir-là, sous un ciel étoilé, dans un appartement trop petit pour ses émotions, elle comprit que la vie ne change pas avec une rencontre… mais avec ce qu’on ose y ajouter.
✨ Très bien, continuons le Chapitre 3 là où on l’avait laissé, en ajoutant un moment clé : Desmond découvre la liste de Léo. Le ton reste doux mais intriguant, et cette scène fait subtilement évoluer les émotions de Desmond…
– La liste du petit astronaute (Suite)
Le lendemain matin, la ville semblait s’être réveillée avec prudence.
Dans le bureau feutré du dernier étage d’une tour en verre, Desmond Leclerc était assis devant son immense bureau. Derrière lui, une vue panoramique sur Paris étendait ses toits élégants jusqu’à l’horizon brumeux. Les murs étaient couverts d’art minimaliste, chaque pièce choisie avec une précision glaciale.
Mais ce matin-là, le carnet noir trônait seul sur son bureau.
Il l’avait retrouvé dans la poche extérieure de son manteau, soigneusement glissé par de petites mains. Il l’avait oublié... ou peut-être, inconsciemment, espéré ne pas le voir.
Il l’ouvrit sans empressement, pensant y trouver un dessin naïf ou quelques mots maladroits.
Mais page après page, son regard se figea.
Il lut en silence. Chaque ligne. Chaque mot. Chaque monde imaginaire que ce petit garçon avait créé. Et quelque chose en lui — quelque chose qu’il pensait avoir tué il y a des années — bougea.
“Parfum qui capte les pensées tristes et les rend jolies…”
Un frisson discret. Un pincement inattendu. Il referma le carnet lentement, posant ses doigts contre la couverture comme s’il voulait en absorber l’essence.
On frappa à la porte.
— Monsieur Leclerc, la réunion avec le Conseil commence dans vingt minutes.
Il ne répondit pas tout de suite.
Puis, sans lever les yeux :
— Faites patienter. Il y a des choses plus urgentes ce matin.
Le silence retomba. Et dans ce bureau de pouvoir absolu, une simple liste écrite à la main avait réussi à suspendre l’ordre du monde.
Desmond se leva, carnet à la main, et marcha jusqu’à la fenêtre. Le ciel s’ouvrait doucement, comme une promesse fragile.
Et au fond de lui, il le savait : ce parfum-là, celui que l’enfant avait imaginé… c’était peut-être le premier qu’il ne pourrait jamais acheter.
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