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Écorché De L’Intérieur

INTRODUCTION :

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Elle s’appelait Jade...

Du haut de ses seize ans, elle portait déjà sur les épaules plus de poids que n’importe quel adulte. Des cicatrices invisibles couraient le long de sa peau, certaines anciennes, d'autres à peine refermées. Mais les plus profondes étaient celles que personne ne voyait. Celles qu’on ne touche pas avec les doigts, mais qui cognent au fond du ventre, tous les jours, à chaque respiration.

Sa mère ne voyait rien. Ou ne voulait rien voir. Son beau-père, lui, voyait tout. Et quand il entrait dans sa chambre, la nuit, ce n’était jamais pour la border.

Elle avait appris à ne plus pleurer. À ne plus crier. À ne plus rien dire. Parce que tout, de toute façon, tombait dans le vide. Elle dormait en chien de fusil, le dos tendu, les yeux ouverts, le souffle bloqué. Elle savait reconnaître le bruit de ses pas dans le couloir, le frottement de sa manche contre la cloison, le claquement discret de la porte qu’on referme sans un mot. Il n’y avait rien de plus cruel que ce silence. Rien de plus effrayant que cette attente, les secondes figées juste avant qu’il n’arrive.

Les jours où il ne venait pas, Jade ne dormait pas mieux. Le silence de ces nuits-là n’était pas rassurant, il était vide. Trompeur. Un calme tendu qui grondait dans son ventre. Parce que même lorsqu’il ne franchissait pas le seuil de sa chambre, il restait là, quelque part. Son ombre accrochée aux murs. Son odeur incrustée dans le bois du parquet. Et dans ces nuits-là, c’étaient ses cauchemars qui prenaient le relais.

Ils ne la laissaient pas tranquille. Ils glissaient sous ses paupières dès qu’elle fermait les yeux. Des souvenirs flous, des formes indistinctes, un souffle dans le cou, des draps qui collent, des mains invisibles, la peur figée. Elle criait, mais sa voix restait bloquée quelque part entre ses dents serrées. Elle courait, mais ses jambes étaient molles, engluées dans un sol trop lourd. Elle se réveillait en apnée, le cœur en furie, et gardait les yeux grands ouverts pendant le reste de la nuit, à fixer le plafond comme s’il allait s’effondrer.

Et puis, au matin, elle se levait.

Toujours.

Comme si la nuit n’avait jamais existé. Comme si elle n’avait pas passé des heures à lutter contre des fantômes que personne ne voyait, pas même elle dans la lumière.

Dehors, le monde continuait. Indifférent.

Les gens riaient, discutaient, passaient devant elle sans la regarder. Tant mieux. Elle avait appris à aimer l’invisibilité. C’était sa meilleure armure.

Elle ne parlait pas beaucoup. Juste ce qu’il fallait pour ne pas éveiller les soupçons. Elle souriait, parfois, par automatisme, mais ça ne montait jamais aux yeux.

Au lycée, personne ne posait de questions. Personne ne voyait les tremblements dans ses mains quand un garçon parlait trop fort. Personne ne remarquait sa mâchoire qui se crispait quand quelqu’un s’approchait trop près.

Jade n’était pas faible.

Elle survivait.

Jour après jour. Nuit après nuit.

Mais parfois, dans un éclat de rire entendu au loin, dans une odeur de cigarette froide, dans le couloir désert d’un étage mal éclairé, tout revenait.

Une vague. Une morsure. Une brûlure au creux du ventre.

Et elle devait respirer. Compter jusqu’à dix. Jusqu’à cent. Jusqu’à ce que le monde redevienne flou, puis stable.

Elle n’etais qu’une adolescente

Et déjà, elle portait la guerre dans ses veines.

Une guerre contre laquelle elle luttais. Un jour apres l’autre.

En comptant les heures, les nuits, les mois.

Que quelque chose change.

Que qulqu’un entende.

Ou que 𝗹𝘂𝗶, un jour, arrive.

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Chapitre 1 :

La journée s’était traînée comme un vieux chewing-gum collé à la semelle. Une succession de cours sans saveur, de voix qui parlaient trop fort, de regards qui glissaient sans jamais s’attarder. Jade avait traversé tout ça comme on traverse un rêve épais. Sans vraiment y être. Elle avait hoché la tête quand il fallait, levé la main une ou deux fois, répondu aux questions comme on répondrait à un appel. Automatiquement. Froidement.

Elle avait même souri quand une fille de sa classe avait raconté une blague. Un sourire rapide, poli. Pas un vrai. Ses vrais sourires, elle ne savait même plus à quoi ils ressemblaient.

Quand la sonnerie de fin de journée avait retenti, un soulagement étrange s’était répandu en elle. Pas parce qu’elle rentrait à la maison, non. Mais parce que cette façade de normalité, elle pouvait enfin la déposer. Elle allait redevenir transparente. Et c’était tout ce qu’elle demandait.

Dehors, le ciel était bas, lourd, comme une couverture trop pesante sur la poitrine. Il ne pleuvait pas encore, mais l’air était gorgé d’eau, suspendu dans une attente qui ressemblait à la sienne.

Elle avait marché jusqu’à chez elle sans se presser. Chaque pas rallongeait le temps avant d’ouvrir la porte. Avant de sentir cette odeur particulière qui collait aux murs, aux draps, à sa peau. Avant de tendre l’oreille, de surveiller, de retenir son souffle.

Mais ce soir, en tournant la clé dans la serrure, elle avait senti quelque chose d’étrange.

Du vide.

Pas de voix. Pas de bruit de télé. Pas de talons qui claquent sur le carrelage. Pas de parfum sucré qui flottait depuis la cuisine. Rien.

Sa mère n’était pas là.

Et lui non plus.

Un frisson s’était glissé dans son dos, un de ceux qu’on n’arrive pas à nommer. Mi-soulagement, mi-inquiétude. Elle avait déposé son sac à l’entrée, lentement, comme si le silence allait se briser au moindre geste trop rapide.

Et puis, sans réfléchir, elle avait ressorti les clés de sa poche. Elle avait refermé la porte derrière elle.

Elle avait besoin d’air.

Elle avait besoin que son cœur batte pour autre chose que la peur.

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Il pleuvait maintenant. Une pluie fine, presque douce. Le genre de pluie qui ne mouille pas vraiment mais s’infiltre partout, jusque sous les vêtements, dans les cheveux, dans les pensées. Jade marchait sans but précis, les bras croisés contre sa poitrine, la capuche de son sweat mal ajustée sur ses cheveux déjà trempés.

Le bitume brillait sous les lampadaires fatigués. Les trottoirs étaient vides, à part un chat qui filait entre deux poubelles et un vieux qui refermait son volet.

C’était étrange, cette sensation de liberté. Même fugace. Même fragile.

Elle inspirait à fond, essayant d’effacer l’odeur de la maison de ses poumons. Elle imaginait que la pluie lavait quelque chose. Elle ne savait pas quoi. Peut-être ses pensées. Peut-être ses souvenirs.

Et puis, il y eut ce bruit. Des pas rapides. Un souffle. Et un choc.

Quelqu’un la heurta de plein fouet. Pas violemment, mais assez pour la déséquilibrer légèrement. Elle recula d’un pas, surprise, les yeux levés, le cœur accélérant sans prévenir.

— Oh merde, pardon !

C’était une voix de garçon. Jeune. Essoufflée. Il ne l’avait pas vue. Il courait, visiblement pressé. Il ne lui avait pas laissé le temps de répondre. Déjà, il repartait, ses baskets claquant contre les flaques d’eau.

Elle n’avait pas vu son visage.

Juste une silhouette trempée grande et élancé. Une capuche noire. Une ombre.

Et pourtant… Il y avait quelque chose. Dans sa voix peut-être. Ou dans le fait qu’il s’était excusé. Sincèrement. Rapidement, mais sincèrement. Ce mot-là, pardon, elle ne l’entendait jamais. Elle resta figée quelques secondes, son cœur battant plus fort qu’il ne l’aurait dû.

Puis elle reprit sa route, le regard flou, les mains humides, les joues froides.

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Quand elle rentra enfin, la maison était toujours vide. Elle s’y glissa avec empressement et en silence, avec la peur étrange de déranger le silence.

Elle monta à l’étage, entra dans la salle de bain, alluma la lumière.

Et là, face au miroir, le charme se brisa.

Sous ses vêtements humides, sa peau était marquée. Rouge, violette, jaune parfois. Des traces. Des preuves muettes. Elle les connaissait par cœur, mais les voir de nouveau lui retourna le ventre.

Elle enleva ses vêtements un à un. Lentement. Avec la même précaution que si elle ôtait des bandages.

Puis elle entra sous la douche.

L’eau chaude la fit grimacer et reculer. Chaque goutte réveillait une douleur différente. Elle avait envie de hurler, de se laisser glisser contre le mur, de s’effondrer et que l’eau emporte tout. Mais elle resta debout. Les bras serrés autour d’elle-même. Le front contre le carrelage froid.

Elle laissa l’eau couler longtemps. Trop longtemps. Comme si elle espérait que le passé allait partir avec la buée.

Quand elle sortit, elle s’enroula dans une serviette, sans se regarder. Elle ne voulait pas se voir. Pas ce soir.

Elle enfila un vieux t-shirt, une culotte, et se glissa dans son lit. Les draps étaient froids. Son oreiller avait une tache de larmes anciennes, à peine visible. Elle s’y allongea, les yeux ouverts, le souffle lent.

Un instant, elle crut que la nuit allait lui laisser la paix.

Et puis elle l’entendit.

La porte d’entrée. Qui s’ouvre.

Un cliquetis de clés. Des pas.

Le cœur de Jade bondit dans sa poitrine.

Elle n’avait pas besoin de vérifier. Elle les connaissait, ces pas. Leur rythme. Leur poids.

Son corps se tendit d’un seul coup. Chaque muscle en alerte. Son souffle se coupa. Elle ferma les yeux, mais ne dormit pas.

Elle compta les secondes.

Encore.

Et encore.

Et encore......

Chapitre 2 :

il y eu d’abord un silence lourd. Puis les pas qui reprirent. D’abord hésitants. Puis plus sûrs. Un frottement de veste mouillée contre le mur. Et ce souffle. Court. Rauque. Déjà chargé d’alcool.

Jade ouvrit les yeux sans bouger la tête. Elle fixait le plafond comme s’il allait l’engloutir.

Les pas montaient.

Un, deux, trois, quatre… Elle les comptait sans même y penser. Comme un tic nerveux. Comme une prière muette.

Le plancher grinça devant la porte de sa chambre. Elle savait qu’il était là. De l’autre côté.

Elle retint son souffle.

La poignée tourna.

Elle ferma les yeux.

— T’es réveillée ?

La voix était pâteuse. Un fond de menace sous un sourire faux. Il n’attendit pas de réponse. La porte s’ouvrit en silence. Et la lumière du couloir découpa sa silhouette dans l’encadrement.

Il entra. Lentement. Trop lentement. Comme s’il savourait déjà ce qu’il venait chercher.

— Qu’est-ce que tu fais là toute seule, hein ? T’as pas envie de parler un peu ?

Elle ne répondit pas. Ne bougea pas. Ne pleura pas. Elle s’effaçait. Elle savait faire. Elle savait trop bien.

Il s’approcha du lit. Ses pas pesaient sur le parquet, chaque craquement résonnait comme une menace.

— Toujours aussi muette, putain… T’es comme ta mère, à croire que vous êtes faites pour vous faire oublier.

Il ricana, un rire court, sec, poisseux.

Puis, soudain, sans prévenir, sa main s’abattit sur sa couverture, la tira d’un coup sec. Jade se recroquevilla, surprise, glacée.

— Fais pas genre que tu dors, hein. J’te parle.

Et il posa la main sur son cou.

D’abord doucement. Comme une caresse. Une horreur déguisée.

Puis plus fort.

Ses doigts se resserrèrent. Un peu. Puis encore.

Et Jade sentit que ça recommençait. Ce moment où son cœur cogne trop vite, où sa peau devient trop étroite, où l’air manque, déjà. Ce n’était pas qu’il l’étranglait. Pas encore. Mais il testait les limites. Les siennes. Les siennes à lui.

Alors elle quitta son corps. Comme à chaque fois.

Son esprit s’échappa, paniqué, désespéré, affolé. Elle glissa dans un souvenir, ou plutôt une image floue. Un sol en gravier. Des fleurs blanches. Un cercueil noir. Elle pleurait. Elle avait peut-être six ou sept ans. Sa main serrée dans celle de sa mère. Et la tombe. La tombe de son père.

Elle ne se souvenait pas des mots. Seulement du froid. Du vide. Et du silence dans la voiture au retour.

Puis, un autre flash. Plus sale. Plus sombre.

Le canapé du salon. Les volets fermés. Lui, son beau-père, assis trop près. Un film à la télé. Et cette main. Cette première fois. Elle n’avait rien dit. Pas un son. Juste bloqué sa respiration. Comme maintenant.

Elle revint d’un coup.

Sa gorge brûlait. Son cou était comprimé. Elle suffoquait. Ses bras tremblaient. Son souffle se coupait par saccades. Une crise d’angoisse. Violente. Totale.

Elle voulut le repousser. Ses bras bougèrent à peine. Elle n’avait pas de force. Pas là. Pas maintenant.

Mais dans son regard, quelque chose avait changé. Elle ne pleurait plus. Elle le fixait. Droit. Avec de la terreur, oui. Mais aussi un éclat. Un refus. Une terreur sourde.

Il le vit.

Et il hésita.

Ses doigts se relâchèrent un peu. Mais ses yeux brillaient d’un éclat qu’elle connaissait trop bien.

Il allait aller plus loin. Elle le savait. Elle le sentait. Il en avait envie. Il en avait l’habitude.

Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit.

Et c’est là que la clé tourna dans la porte d’entrée.

Un bruit net, rapide.

Sa mère.

Il recula d’un coup, comme un gamin pris sur le fait.

Il se redressa, essuya ses mains sur son jean, lissa sa chemise froissée. Un grognement lui échappa, entre frustration et menace.

— Dis rien, murmura-t-il en se penchant vers elle. Tu veux pas que ta mère pleure encore, hein ?

Et il sortit. Tranquillement. Comme si de rien n’était.

Jade resta figée.

Elle l’entendit redescendre. Elle l’entendit prendre un ton enjoué.

— Ah bah t’es là, toi ! T’as pris ton temps ! Je me disais que t’étais peut-être restée coincée au taf, hein !

La voix de sa mère, faible.

— J’ai… j’ai eu du retard, ouais.

— T’inquiète. J’me suis fait une bière. La petite dort déjà.

Et il embrassa sa femme. Juste là, en bas.

Comme si rien n’avait eu lieu.

Jade, elle, était toujours allongée. La couverture au sol. La gorge marquée. Elle ne toucha pas son cou. Elle ne voulait pas sentir la forme de ses doigts. Mais elle la sentait. Dans sa peau. Dans ses muscles. Dans ses nerfs.

Elle se leva. Retailla ses gestes. Ferma la porte. Se recoucha. Et ne dormit pas. Pas vraiment.

Ses paupières se fermèrent, mais son corps était électrique. En alerte.

Et c’est là que le cauchemar commença.

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Elle était dans une pièce blanche. Vide. Froide.

Elle était une poupée. Ses bras pendaient. Sa tête lourde. Son corps mou. Elle ne pouvait pas bouger.

Des bruits de pas. Des rires. Puis des mains.

Des dizaines de mains.

Elles sortaient des murs. Du sol. Du plafond. Elles la touchaient. La tripotaient. L’écartaient. L’ouvraient. Elle ne pouvait pas crier. Pas résister.

Elles se faufilaient sous ses vêtements imaginaires. Dans ses cheveux. Dans sa bouche. Dans son ventre.

Elle voulait hurler. Mais sa bouche était cousue.

Et puis une voix. La sienne. Petite. Cassée.

> “J’ai mal, papa…”

Mais personne ne venait.

Seulement les mains. Encore. Encore.

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Jade se réveilla en hurlant.

Ses draps trempés. Sa gorge sèche. Son cœur affolé. Ses doigts crispés dans le tissu.

La lumière du matin commençait à percer par la fenêtre.

Elle se leva. Avança jusqu’au miroir.

Et vit les marques sur son cou.

Rouges. Nettes. Fraîches.

Elle sourit. Pas un vrai sourire. Pas de ceux qu’on offre.

Un sourire très court. Très froid.

Un sourire contre sa fragilité.

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