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Dévoré Par Toi.

L’ascenseur

L’ascenseur brillait sous la lumière froide du hall. William entra en silence, l’épaule encore tendue d’une insomnie mal digérée. Une autre nuit sans sommeil. Une autre matinée sans but. Il appuya sur le bouton du 9e étage, se recula dans un coin, bras croisés, mâchoire crispée.

L’endroit sentait le métal poli et le parfum discret d’un voisin trop riche. Un silence pesant, typique des immeubles luxueux où personne ne se connaît, ni ne veut se connaître. Il était seul. Il aimait ça.

Mais alors que les portes se refermaient doucement, une main surgit. Le capteur clignota, la porte glissa à nouveau.

Quelqu’un entra.

Grand. Massif. La peau moite, luisante, encore perlée de sueur. Un débardeur noir collé à son torse, un sac de sport négligemment jeté sur l’épaule. L’odeur de musc, de sel et d’adrénaline flotta dans l’air.

William leva les yeux. Le type n’avait rien dit.

Le silence reprit, coupé seulement par le bip de l’étage sélectionné.

Le 9e.

Le même étage.

William sentit son cœur cogner un peu trop fort pour une simple coïncidence. Il détailla rapidement l’inconnu du coin de l’œil. Cheveux noirs humides, mâchoire carrée, regard perçant mais fuyant. Il avait une énergie particulière. Pas seulement la carrure — mais une tension animale, comme une bête qu’on vient de détacher.

L’ascenseur monta.

Les secondes furent longues. William n’osait pas trop fixer. L’autre non plus.

Mais il y eut ce moment. Une demi-seconde. Un croisement de regards. Involontaire. Chargé.

Le type sourit. Lentement.

Puis :

— Bonjour.

Une voix grave, rauque. Étrangement calme. Contrôlée.

William cligna des yeux. Il n’avait pas prévu de répondre, et pourtant ça sortit tout seul.

— Bonjour.

Sa propre voix lui sembla lointaine.

Puis plus rien. Silence.

Les chiffres montaient. 6… 7… 8…

Arrivés au 9e, les portes s’ouvrirent sur un couloir moquetté et immobile.

William sortit le premier, ses clefs déjà dans la main. Il bifurqua vers la droite.

L’inconnu sortit à son tour. Vers la gauche. Puis… il s’arrêta.

— Toi aussi, t’habites là ? lança-t-il, avec une désinvolture qui sonnait presque forcée.

William se retourna.

— En face, répondit-il simplement.

— Hm. Moi aussi. On dirait qu’on est voisins.

Un silence.

— Ouais, on dirait.

Pas un sourire cette fois. Juste un regard. Comme deux chiens de guerre qui se flairent à travers une clôture invisible.

Dimitri — car c’était son nom, même si William ne le savait pas encore — ouvrit la porte de l’appartement juste en face de celui de William.

Sans un mot de plus, il entra.

William fit de même.

William resta un instant immobile, les clés serrées dans son poing.

*Un voisin.*

Il n’en avait jamais croisé auparavant. Pourtant, quelque chose lui disait que cette rencontre, aussi anodine soit-elle, allait changer définitivement quelque chose à sa vie.

Deux portes se refermèrent à une seconde d’intervalle.

Clac.

Derrière l’une, un ancien soldat appuya son dos contre le bois froid, yeux fermés, cœur troublé.

Derrière l’autre, un joueur de rugby sourit, un sourire qu’on n’aurait jamais voulu voir.

Tout avait commencé.

Par un bonjour.

Obsession calme

L’eau avait cessé de couler depuis dix minutes. La buée persistait sur les parois de verre de la salle de bain, mais Dimitri n’y prêtait plus attention. Assis nonchalamment sur le canapé, jambes écartées, une simple serviette nouée autour de sa taille, il scrutait l’écran plat devant lui.

Le match de la veille passait en rediffusion sur une chaîne sportive. Son propre corps, en mouvement sur le terrain, le fascinait autant qu’il l’ennuyait. Il connaissait chaque action, chaque feinte, chaque accélération. Rien ne lui échappait — ni dans le sport, ni dans la vie.

Il attrapa une bouteille d’eau à moitié vide sur la table basse, but une gorgée, et la reposa sans bruit.

Ses yeux glissèrent vers la fenêtre ouverte. Le soleil tombait sur les immeubles voisins, et dans la chaleur presque douce de la fin de journée, un visage lui revint en mémoire.

Lui.

Son voisin.

Le type de ce matin.

Il n’en connaissait pas le nom, mais se souvenait très bien du regard. Froid. Lointain. Comme s’il venait de très loin, d’un endroit qu’on ne quitte pas vivant. Et pourtant… un charme brutal. Un calme tendu, une retenue presque militaire.

Dimitri sourit.

Il avait reconnu ce genre d’homme immédiatement. Pas un civil banal. Non. Trop droit. Trop effacé aussi. Comme un mur.

Et Dimitri aimait les murs. Parce qu’il adorait les fissurer.

Il posa la télécommande, s’enfonça un peu plus dans le canapé en cuir, la serviette remontant à peine sur sa cuisse. Il croisa les mains derrière sa tête, fixant le plafond, son esprit déjà ailleurs.

Il avait vu le regard de cet homme. Il avait senti ce que personne d’autre ne semblait remarquer : la faille. Le vide.

Et ce vide, il voulait y plonger.

Son téléphone vibra.

Il le saisit d’un geste souple. Tapa un code à quatre chiffres, puis ouvrit un écran de discussion.

Dimitri

“Cherche-moi des infos sur mon voisin d’en face. Celui du 9e. Je veux tout : nom, numéro, boulot, historique. Adresse mail si possible.”

Liam (vu en ligne)

“Encore ? Tu vas jamais t’arrêter avec ça.”

Dimitri

“Je veux le dossier d’ici demain. Sans faute.”

Liam

“… Tu comptes lui faire quoi ?”

Dimitri sourit, un sourire paresseux et froid, et posa le téléphone sur la table.

Il n’avait pas besoin de répondre. Liam savait. Il savait toujours.

Il se leva enfin, la serviette glissant légèrement sur ses hanches, marcha pieds nus vers la baie vitrée. Il observa la ville.

L’idée que cet homme dormait, vivait, respirait à seulement quelques mètres le fascinait.

Il imagina sa voix quand elle ne disait pas bonjour. Son odeur. Ses gestes quand personne ne le regarde. Ce qu’il faisait la nuit quand les cauchemars le réveillaient.

Car il en faisait, Dimitri en était sûr. Ce regard n’était pas celui d’un homme entier.

Et c’était parfait.

Il posa une main contre la vitre, comme pour y laisser une empreinte. Puis il ferma les yeux, soupira légèrement.

Pas de précipitation.

Il allait y aller doucement. Pas de choc frontal.

Juste de la tension.

De la patience.

Il allait apprendre son nom, ses habitudes, ses horaires. Ce qu’il aime boire, manger, penser. Il allait, centimètre par centimètre, infiltrer sa vie.

Et ce regard vide… il allait le remplir.

À sa manière.

Dimitri rouvrit les yeux, s’éloigna de la vitre, et alla dans la cuisine. Il prit un fruit, croqua dedans sans vraiment y penser.

Il n’y avait que deux types d’hommes qui intéressaient vraiment Dimitri Athers :

Ceux qu’il pouvait dominer.

Et ceux qui le feraient saigner avant de céder.

Et ce voisin…

Ce voisin pourrait bien être les deux.

L’homme derrière la porte.

Minuit.

Le plafond, pâle et lisse, le regardait fixement depuis des heures.

William s’était tourné pour la centième fois, étouffé par la chaleur d’un drap froissé contre ses jambes. Le ventilateur ronronnait quelque part au plafond, mais l’air restait épais, lourd. Collant.

Il avait essayé de fermer les yeux.

Mais dès qu’il les fermait, d’autres images revenaient. Le sable, les cris, l’odeur du sang brûlant au soleil. Les détonations, le silence après. Et toujours ce souffle dans sa nuque, celui qu’il n’avait pas pu sauver.

Il se redressa brusquement, en sueur. Un soupir rauque s’échappa de sa gorge.

Encore une nuit blanche.

Il s’était habitué à ne plus dormir depuis longtemps. Depuis son retour, le sommeil était devenu un terrain miné. Il ne savait jamais sur quoi il poserait le pied : un souvenir, une vision, un fantôme.

Il jeta un œil au réveil numérique : 00h16.

Il savait qu’il ne dormirait pas cette nuit-là. Il le sentait dans sa peau. Alors, comme souvent, il se leva.

Son pas était lourd mais précis. Il connaissait son appartement par cœur, chaque recoin, chaque meuble, chaque irrégularité du sol. Il traversa le couloir dans la pénombre sans allumer la lumière, poussa la porte de la cuisine.

Il ouvrit le frigo, le referma aussitôt — trop de lumière. Il prit un verre, ouvrit le robinet, laissa couler un filet d’eau fraîche. Le bruit du liquide remplissant le verre était presque apaisant.

Presque.

Il but lentement, dos appuyé contre le comptoir.

Et c’est là que l’image revint. Vague. Brève. Mais nette.

L’homme de l’ascenseur.

Ce type. Grand, musclé, torse brillant de sueur. Regard tranchant, sourire à peine esquissé. Il s’était dit que ce n’était rien. Juste un voisin.

Mais le souvenir de ce visage refusait de s’effacer.

Pourquoi ce type l’avait marqué ?

Il avait vu des centaines de visages, dans des circonstances bien pires. Il en avait oublié des dizaines. Et pourtant celui-là… persistait. Comme une brûlure légère qu’on ne peut s’empêcher de toucher.

William reposa le verre. S’appuya un instant sur le plan de travail.

Il n’avait pas échangé plus de quelques mots avec cet homme. Un simple bonjour et un phrase. Et pourtant, il se revoyait clairement dans l’ascenseur : le regard, le silence, le léger frisson qu’il avait ressenti.

C’était… autre chose. Un instinct. Une alerte interne. Comme si son corps reconnaissait quelque chose de dangereux. Quelque chose de similaire.

Un prédateur qui en reconnaît un autre.

Il secoua la tête, tenta de chasser la pensée. C’était stupide. Il se sentait ridicule d’accorder de l’importance à une rencontre aussi brève.

Et pourtant…

Il sortit une cigarette d’un tiroir, l’alluma, même si ce n’était pas dans ses habitudes. Il tirait dessus sans plaisir, comme pour occuper ses doigts, ou faire taire le vide.

Il se dirigea vers la baie vitrée, jeta un coup d’œil à la ville.Tout semblait paisible. Trop paisible.

William plissa les yeux,Il ne savait même pas son nom. Juste… un visage. Et une sensation.

Il détestait ça. Ne pas comprendre ce qu’il ressentait. Ne pas savoir d’où venait ce malaise. Ce frisson.

Peut-être que c’était simplement l’adrénaline. Une réminiscence de ces jours où chaque rencontre pouvait être un piège. Peut-être qu’il devenait parano.

Mais il savait reconnaître un regard vide.

Et celui de ce type ne l’était pas. Il était trop vivant. Trop vif. Comme s’il cachait quelque chose.

Et William… détestait ce qui se cache.

Il finit sa cigarette, l’écrasa dans l’évier. L’odeur lui tournait la tête.

Il revint s’asseoir dans le canapé, toujours en short, torse nu. Il alluma la télévision sans le son, juste pour faire danser les ombres sur les murs.

Il savait qu’il ne dormirait pas. Pas encore.

Alors il resta là, à fixer les lumières clignotantes, et parfois, sans le vouloir…

Il pensait à lui.

À ce type au sourire étrange.

À ce regard.

À ce “bonjour” qui sonnait encore comme une promesse.

Une promesse ou une menace — il ne savait pas encore.

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