Il y avait quelque chose d’apaisant dans le bois. Cedar Wood aimait s’y réfugier après les cours. Elle n’aimait pas les foules, ni les bavardages incessants, ni les jeux de rôle que les autres semblaient jouer sans cesse : princesse parfaite, rebelle assumé, héritier angoissé. Cedar, elle, ne pouvait pas jouer. Elle était toujours honnête, toujours directe. C’était sa malédiction. Dire la vérité, toute la vérité, même quand elle aurait préféré se taire.
Ce jour-là, elle s’était enfoncée dans la forêt interdite – pas trop loin, juste assez pour ne pas entendre les rumeurs de l’école. Dans ses mains, un morceau de bois tombé naturellement d’un arbre ancien. Elle y sculptait une rose, concentrée sur le mouvement précis de son canif. Chaque pétale naissait sous ses doigts comme une pensée chuchotée à l’écorce du monde.
— Tu sais que c’est presque troublant, à force.
Cedar sursauta. Elle ne l’avait pas entendue arriver – bien sûr. Kitty Cheshire n’avait pas besoin de portes, ni de chemins. Elle apparaissait comme un sourire dans l’ombre : d’un clin d’œil, d’un éclat de rire, d’un soupir moqueur.
— Je t’ai fait peur ? demanda Kitty, faussement innocente.
— Un peu, oui.
— Oh, je suis tellement désolée. Non, attends… pas du tout. C’était très amusant. Tu étais tellement concentrée, j’aurais cru que tu étais en train de sculpter ton propre cœur.
Cedar déglutit. Ce n’était pas si faux.
— Je trouve la paix dans le bois. Il ne ment jamais. Il garde les secrets.
— Ironique, vu que toi tu peux pas en garder un seul.
— Ce n’est pas drôle.
— Si, un peu.
Cedar détourna le regard. Kitty s’approcha sans bruit, flottant au-dessus des feuilles, son ombre ondulant comme une brume violette. Elle se pencha, examinant la sculpture.
— Une rose. Classique. Romantique. Laisse-moi deviner : symbole de l’amour que tu n’oses pas avouer ?
Cedar rougit jusqu’aux oreilles. Elle aurait voulu mentir. Vraiment. Juste une fois.
— C’est vrai.
Kitty releva un sourcil.
— Tu sais que tu es probablement la seule personne à Ever After High capable de dire ce genre de chose sans ironie ?
— Je suis incapable d’ironie. Ou de mensonge. Ou de détour.
— C’est presque… sexy, tu sais ?
Cedar ouvrit grand les yeux.
— Pardon ?!
— Ce n’est pas une insulte. C’est rare. Un bijou brut. Dans ce monde d’apparences, t’es un trésor de franchise. C’est troublant, mais j’aime bien être troublée.
Kitty s’assit en tailleur sur une branche invisible, lévitant au-dessus du sol. Sa queue de chat se dessinait vaguement dans le vide derrière elle, brumeuse et légère. Ses yeux brillaient d’un éclat différent cette fois : pas moqueur, mais… curieux.
— Et cette rose, elle est pour qui ? demanda-t-elle doucement.
Cedar serra la sculpture entre ses doigts. Elle sentait son cœur cogner dans sa poitrine. Elle aurait voulu le cacher. Le noyer dans le silence. Mais c’était impossible. Alors elle ferma les yeux, inspira profondément, et laissa les mots sortir.
— Elle est pour toi.
Kitty ne dit rien. Un silence s’installa, un vrai, lourd de mille possibles. Puis elle sauta de sa branche invisible, fit quelques pas dans l’herbe, et s’arrêta juste devant Cedar.
— Pourquoi ?
— Parce que tu m’obsèdes. Tu m’intrigues. Tu me fais sentir vivante. Tu me fais peur aussi. Tu ris de tout mais tu es plus seule que tu ne veux l’admettre. Et j’aimerais… j’aimerais être celle qui te comprend.
Kitty baissa les yeux. Elle ne souriait plus. Pas ce sourire-là. Un autre naissait sur ses lèvres : plus fragile, plus vrai.
— Tu es la première à me dire ça sans tourner ça en énigme.
— Je n’ai pas le choix.
— Justement.
Elles se regardèrent, longtemps. La forêt retenait son souffle. Les feuilles semblaient suspendues dans le temps, comme figées dans un conte que personne n’avait encore écrit.
— Est-ce que je peux… ? demanda Kitty, hésitant.
— Tu peux.
Kitty tendit la main, la paume ouverte. Cedar y posa la rose de bois, comme on offrirait une partie de soi. Et dans ce geste, il y avait tout. Une promesse. Une sincérité brute. Une beauté nue.
— Tu me rends vulnérable, Cedar Wood.
— Et toi, tu me rends forte, Kitty Cheshire.
Kitty avança d’un pas. Ses doigts effleurèrent la joue de Cedar. Puis, sans un mot de plus, elle l’embrassa. Doucement. Pas comme une farce ou un jeu. Comme une vérité qu’on n’ose pas toujours dire.
Quand leurs lèvres se séparèrent, Kitty chuchota :
— Si je m’évanouis dans la brume maintenant, est-ce que tu me retrouveras ?
— Toujours.
Et dans ce “toujours”, il n’y avait aucun doute. Juste la promesse d’un amour étrange, mais sincère. D’une vérité nue dans un monde plein de masques. D’un duo improbable : l’honnête poupée et la menteuse invisible.
Et peut-être… d’un happily ever after, pas comme les autres.
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