Le Jardin d'Eden était une splendeur à couper le souffle, un tableau vivant de perfection. Chaque feuille, chaque goutte de rosée, chaque chant d'oiseau semblait orchestré par le doigt de Dieu lui-même. Au centre de cette harmonie, Ève cueillait des figues avec une grâce naïve, ignorant que l'équilibre de l'Éden était sur le point de chanceler pour de bon.

— Adam, tu peux venir m'aider ? Ce figuier est trop haut, dit-elle en pointant du doigt l'arbre.

Adam arriva, torse nu comme à son habitude, le sourire serein, presque satisfait de son petit monde parfait. Il tendit le bras pour attraper les fruits, mais quelque chose dans son regard trahissait une distraction. Ève fronça les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle.

— Rien, dit-il en haussant les épaules. Juste... un souvenir.

— Un souvenir de quoi ? On a été créés il y a trois jours.

Adam hésita.

— Eh bien... pour toi peut-être.

Le silence tomba. Lourd. Glaçant. Le regard d'Ève se plissa.

— Comment ça, "pour moi peut-être" ?

Adam avala difficilement sa salive. Il savait que ce moment viendrait. Il avait espéré l'éviter, l'enfouir sous des branches fleuries et des baisers matinaux. Mais Ève était curieuse. Et futée.

— Avant toi, il y avait... Lilith.

Ève resta bouche bée. Une brise légère passa dans les branches, comme si même les arbres retenaient leur souffle.

— Lilith ? répéta-t-elle lentement. Tu veux dire... une autre femme ?

Adam hocha la tête, mal à l'aise.

— Elle a été façonnée en même temps que moi, à partir de la terre. Pas d'une côte. Elle voulait être mon égale.

— Ton égale ? Donc pas ta femme ?

— Si, enfin... au début. Mais elle est partie. Elle a refusé de se soumettre.

Les yeux d'Ève s'embrasèrent.

— Et moi ? Je suis quoi ? Un remplacement ?

— Non, non ! Tu es... différente. Meilleure. Tu es douce, obéissante, gracieuse...

— Obéissante ?

Le mot avait claqué comme une gifle. Ève recula d'un pas.

— Tu savais que j'étais là pour ça ? Pour être docile ? Un prix de consolation moulé dans ta foutue côte ?

— Ève, c'est Dieu qui a décidé, pas moi.

— Et toi, tu l'as acceptée ? Cette femme "égale à toi" ? Tu l'as aimée ?

Adam détourna les yeux. Et ce fut réponse suffisante.

Ève sentit la colère monter, une rage primitive et volcanique. Les animaux autour d'eux s'éloignèrent discrètement. Même le serpent, tapi dans un pommier, observa la scène avec une certaine jubilation.

— Je ne suis pas une seconde option, Adam, dit-elle d'un ton glacé. Si tu voulais une créature docile, tu aurais dû garder un chien.

— Ne sois pas ridicule, soupira Adam. Tu es la compagne parfaite...

— Parfaite selon QUI ? Toi ? Dieu ? Ton fichu complexe de supériorité ?

Un éclair fendit le ciel, alors même que le soleil brillait.

Ève s'éloigna en furie, piétinant fleurs et herbes sacrées. Elle se dirigea droit vers l'arbre interdit, comme aimantée par une volonté nouvelle. Celle d'exister pour elle-même. Et pas comme l'ombre d'une ex oubliée ou d'un rêve d'homme.

Le serpent l'observa approcher. Il savait. Il savait qu'elle était prête.

Et quelque part, bien plus loin, Lilith souriait. Finalement, il y avait de l’espoir pour cette nouvelle "première femme".