Chapitre 1
Un rayon de soleil filtrait à travers la vitre du salon, caressant la table où traînaient quelques livres d’enfance et un puzzle inachevé. Imaya, dix ans à peine, était assise sur le tapis, perdue dans un monde fait de poupées, d’imaginaire et de rêves sucrés.
Dans la cuisine, sa mère chantonnait doucement, comme chaque après-midi, une vieille chanson. Douce et attentive, elle surveillait les moindres gestes de sa fille, un sourire tendre au coin des lèvres. Son père, avocat respecté, feuilletait un dossier à la lumière du jour, concentré mais visiblement agité.
Derrière cette quiétude ordinaire, un malaise invisible s’était installé. Quelque chose, dans l’air, semblait tendu. La mère jetait de plus en plus souvent des regards inquiets par la fenêtre. Le père, d’ordinaire confiant, vérifiait à plusieurs reprises que la porte d’entrée était bien verrouillée.
Des appels étranges avaient interrompu leurs soirées ces derniers jours. Des hommes inconnus rôdaient près de la clôture. Leurs yeux froids et insistants faisaient frissonner la mère, même à distance.
— Quelque chose ne va pas… murmura-t-elle en tendant une tasse de café à son mari.
Il la prit sans répondre, le regard sombre.
— J’ai refusé de défendre un dossier, dit-il enfin. J’aurais peut-être dû… mais ce n’était pas juste. Je ne pouvais pas m’impliquer là-dedans.
Imaya, bien qu’encore enfant, percevait l’inquiétude qui alourdissait l’air. Elle ne comprenait pas tout, mais son cœur battait plus fort. Une peur sourde, instinctive, montait en elle.
Le soir, un orage éclata, déchirant le ciel de ses éclairs blancs. La pluie s’abattit violemment sur les vitres, comme une main frappant à l’improviste. Dans la maison, l’ambiance bascula. La mère attrapa la main d’Imaya et la conduisit d’un pas rapide vers la bibliothèque.
— Viens, ma puce.
Elle fit glisser une étagère sur le côté, révélant un passage étroit. Une cachette, dissimulée dans le mur.
— Tu dois rester ici. Quoi qu’il arrive, tu ne bouges pas. Tu m’entends, Imaya ?
La fillette hocha la tête, les yeux embués de larmes.
— Je t’aime, ma chérie… Ne fais pas de bruit. Pas un mot.
Elle referma doucement la trappe, plongeant Imaya dans l’obscurité.
Quelques minutes plus tard, des voix d’hommes s’élevèrent dans la maison. Basses, autoritaires, chargées de menace. Puis une autre voix, plus jeune, presque calme… glaciale. Elle donnait des ordres :
— Entrez. Faites vite.
Le cœur d’Imaya battait à tout rompre. Elle plaqua une main sur sa bouche pour ne pas hurler. À travers une fente entre deux planches, elle apercevait des ombres passer.
Un coup de feu claqua. Sec. Dévastateur.
Un silence de mort s’installa… brisé soudain par un cri : celui de sa mère.
— Non ! NON !
Imaya tremblait de tout son corps. Elle osa jeter un œil.
Dans le salon, son père gisait dans une mare de sang. Les yeux grands ouverts. Figés dans la stupeur. Sa mère s’était jetée à genoux, hurlant, le visage déformé par la douleur.
— Oh mon Dieu… qu’est-ce que vous avez fait ?!
Un homme s’avança. Il avait les yeux d’un bleu si froid qu’ils semblaient percer la pénombre. Sa silhouette était fine, presque élégante. Il leva calmement son arme.
— Pas de témoins.
Un second coup. Sec. Final.
Sa mère s’écroula, sans un mot de plus.
Le tonnerre gronda comme un écho divin.
Les hommes, sans hâte, renversèrent des meubles, brisèrent des objets, vidèrent quelques tiroirs. Ils prirent des bijoux, des papiers, de quoi faire croire à un cambriolage.
Imaya, recroquevillée dans la cachette, priait pour devenir invisible.
— La gamine n’est pas là, grogna une voix.
— Cherchez partout, répondit la voix glacée.
Ils fouillèrent les pièces, ouvraient placards et coffres, passèrent sous les lits. L’un d’eux s’approcha dangereusement du couloir où elle se trouvait… mais le chef leva la main.
— Assez. Si elle n’est pas là, elle n’a rien vu. On n’a pas de temps à perdre.
Les hommes obéirent sans discuter. En quelques minutes, ils disparurent sous la pluie battante.
Imaya resta figée. Longtemps. Trop longtemps. Le silence pesait comme une pierre.
Quand elle sortit enfin de sa cachette, ses jambes tremblaient. La maison empestait la peur, la fumée et le sang.
Elle marcha lentement vers le salon, posa une main sur le front froid de sa mère, s’agenouilla, et murmura d’une voix brisée :
— Je te vengerai, maman… Je vous vengerai tous les deux.
Dans ses yeux, une lueur nouvelle s’était allumée.
Elle ne connaissait pas le nom de l’homme. Pas son visage. Seulement cette voix glacée… ce regard bleu… et cette phrase gravée comme une malédiction :
— Pas de témoins.
Chapitre 2
Le ciel était gris ce jour-là, d’un gris profond, presque hostile, comme s’il avait choisi de pleurer avec elle. De lourds nuages s’amoncelaient au-dessus du cimetière, menaçant d’éclater à chaque instant. Le vent faisait frissonner les arbres, arrachait les feuilles trempées pour les jeter au sol, comme s’il accompagnait le chagrin de la terre elle-même.
Imaya, emmitouflée dans un manteau noir trop grand pour elle, se tenait droite, les épaules raides malgré les tremblements de ses mains. À seulement dix ans, elle avait déjà compris que le monde ne promettait ni justice, ni consolation. Parfois, les pires cauchemars naissaient dans la lumière des foyers, sous le regard indifférent des dieux.
Autour d’elle, les adultes murmuraient, comme si le chagrin ne pouvait s’exprimer qu’à voix basse.
— Quel tragique accident…
— Un cambriolage qui a mal tourné…
— Ce pauvre homme, un avocat si respecté…
Mais Imaya savait que tout cela était faux.
Elle avait vu. Elle n’avait pas voulu, mais elle avait vu. La peur dans les yeux de sa mère. Le canon de l’arme. Le regard bleu, glacial comme la lame d’un couteau. Et ce silence après le coup de feu.
La scène avait été maquillée : vol, agression, banal fait divers. Les policiers avaient refermé leurs carnets trop vite. L’affaire classée.
Elle, on l’avait envoyée vivre chez un oncle lointain — un homme sec et silencieux, qui noyait ses douleurs dans un vieux thermos de café. Il ne parlait jamais de la mort, ni de la douleur. Il la laissait s’installer dans les silences, dans les recoins, comme une présence familière.
Parfois, il posait sur elle un regard vague, chargé d’une pitié muette. Comme s’il voyait en elle un fantôme déjà figé entre deux mondes.
Quand le cercueil de son père fut descendu dans la terre mouillée, Imaya sentit un frisson la parcourir de la nuque jusqu’aux pieds. Le froid s’insinua en elle, plus réel que la pluie, plus lourd que le chagrin. Et, à cet instant précis, quelque chose se brisa en elle.
Son regard se durcit.
Elle serra les poings si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans sa chair, traçant dans ses paumes de fines lignes rouges. Elle ne pleura pas. Pas cette fois.
Elle se fit une promesse. Un serment silencieux, posé là, au bord d’une tombe encore fraîche.
Elle ne les oublierait jamais.
Elle retrouverait ce regard bleu dans la foule.
Et elle lui ferait payer.
Elle se jura aussi de ne plus jamais être faible. De ne plus jamais trembler. De devenir plus forte que la peur elle-même.
Dans le ciel, le tonnerre gronda à nouveau, long et grave, comme un écho céleste à sa promesse.
Le vent, lui, effaçait déjà les paroles creuses des adultes. Imaya comprit alors qu’elle était seule désormais. Seule face à son destin.
Elle ferma les yeux un instant, laissant la douleur la traverser comme un souffle glacé. Puis elle les rouvrit. Elle n’était plus une enfant. Elle était une promesse.
Un éclair fendit le ciel, illuminant brièvement les visages. Les têtes se tournèrent vers la lumière, surprises. Mais Imaya, elle, resta immobile. Les yeux fixés sur la tombe.
Elle savait que ce regard bleu reviendrait un jour.
Et ce jour-là, elle serait prête.
Car la peur ne disparaît jamais.
On apprend simplement à la dompter.
Et sous la pluie, Imaya fit un pas en avant, laissant derrière elle les derniers éclats de l’enfant qu’elle avait été.
Chapitre 3
Vingt-cinq ans.
Imaya portait ses années avec une élégance cruelle, faite de grâce maîtrisée et de froideur dissimulée. Une beauté qui attirait les regards, mais gardait ses secrets. Ses cheveux noirs, lissés à la perfection, retombaient sur ses épaules comme un voile de nuit. Dans ses yeux gris acier, on lisait une détermination inflexible — la même qui l’habitait depuis le soir où tout avait basculé.
Face au miroir de la salle d’audience, elle ajustait un pli invisible de sa veste. Tout était millimétré. Pas une mèche de travers, pas une émotion en surface. Elle était une armure bien taillée, une femme forgée dans la douleur, animée par une rage silencieuse.
Son oncle, ce vieil homme rugueux, avait tout orchestré pour qu’elle réussisse. Grâce aux anciens contacts de son père — avocat autrefois respecté, aujourd’hui réduit à un nom sur une stèle — il avait ouvert des portes que personne n’aurait imaginé franchir. Il avait payé les meilleures écoles, imposé la rigueur, exigé la perfection. Et elle… elle avait obéi.
Pas par gratitude.
Par stratégie.
Imaya avait brûlé les nuits à la lueur des livres de droit, dévorant chaque ligne comme une arme à affûter. Dans le silence de ses études, entre deux paragraphes de jurisprudence, une image revenait toujours : le sang sur le tapis, le cri de sa mère, et ce regard bleu, glacial, inhumain.
Elle se souvenait de chaque détail. La pluie qui frappait les vitres. L’odeur métallique dans l’air. La terreur pure figée dans le silence.
Et aujourd’hui, elle était là. L’une des plus jeunes avocates à intégrer un cabinet d’élite. Ces couloirs feutrés où se jouaient les plus sombres secrets de la haute société. Là où son père avait tenté de défendre la justice. Là où, désormais, elle traquerait ses réponses.
Son oncle ne parlait jamais de cette nuit-là. Il noyait les souvenirs dans des tasses de café noir, fumantes et amères. Parfois, un conseil rapide. Un billet discret. Un regard lourd de regrets. Mais le passé, il l’enfermait à double tour.
Imaya, elle, ne l’avait jamais laissé s’éteindre.
Chaque sourire qu’elle offrait au monde était un masque.
Chaque victoire judiciaire, un pas vers la vérité.
Elle n’avait pas oublié.
Elle n’oublierait jamais.
Elle ignorait le nom de celui qui avait tout brisé. Elle ne savait rien du cartel qui avait maquillé le meurtre en cambriolage. Mais dans l’ombre, elle sentait encore sa présence.
Elle savait que ce regard bleu rôdait quelque part.
Et elle comptait bien l’y retrouver.
Une pluie fine commença à tomber, lavant peu à peu les traces de pas devant le palais de justice. Imaya inspira profondément, laissant l’air humide emplir ses poumons. Un frisson la traversa, mais elle ne bougea pas.
Le tonnerre gronda au loin. Un murmure du passé. Un rappel.
Elle ferma les yeux. Juste un instant. Puis les rouvrit, le regard dur comme l’acier. Une lueur nouvelle brillait dans ses prunelles.
Elle était prête.
Et dans un souffle, sans un mot, elle se fit la promesse :
Quand leurs regards se croiseront à nouveau, rien ni personne ne pourra l’arrêter.
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