Chapitre 1 – L’odeur du café brûlé
Le mug craqua contre la table en bois, à peine amorti par la pile de dossiers qui menaçait de s’écrouler depuis la veille. Elena soupira. Le café était tiède, amer, et l’odeur de brûlé qui flottait dans son studio ne faisait qu’amplifier son irritation matinale.
— J’ai vraiment besoin de changer de vie, marmonna-t-elle en fixant le plafond, comme si une réponse divine allait en tomber.
Yuna, sa colocataire, chantonnait sous la douche à tue-tête. Un vieux tube pop remixé en japonais. Typique.
Elena attrapa son sac et sortit. Pas maquillée, queue de cheval improvisée, baskets dépareillées. Elle était en retard pour son premier cours de boxe. C’était Yuna encore, avec ses idées de “canaliser ton énergie négative en tapant dans des trucs”. Et comme souvent, Elena s’était laissé embarquer.
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La salle de boxe sentait la sueur et le cuir. Une odeur presque réconfortante, si l’on avait grandi dans la rue. Elena non. Elle toussa légèrement, passa la porte et s’approcha du comptoir d’accueil.
— T’es en retard, lança une voix grave derrière elle.
Elle se retourna.
Un homme d’une carrure impressionnante se tenait là, les bras croisés, un t-shirt noir moulant son torse, des tatouages courant sur ses avant-bras jusqu’au poignet. Son regard : dur, précis, presque militaire.
Il ne souriait pas. Jamais, semblait-il.
— Elena Morel ? lança-t-il.
— Présente. Avec un peu de retard mais présente, répliqua-t-elle en haussant un sourcil.
Il ne répondit pas. Juste un hochement de tête. Elle sentit son estomac se contracter. Pas par peur. Par tension. Autre chose.
— Mets des bandes. C’est là-bas. Ensuite tu viens sur le ring. On fait connaissance à l’ancienne.
Il tourna les talons. Elle resta figée une seconde.
"On fait connaissance à l’ancienne", répéta-t-elle mentalement. Charmant.
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Le ring était vide. Il l’attendait au centre, déjà ganté. Elle monta, maladroite, puis le fixa.
— J’espère que vous frappez pas trop fort pour un premier rendez-vous.
Un coin de sa bouche bougea. Un demi-sourire. Rapide. Fugitif.
— On verra comment tu encaisses.
La cloche fictive sonna dans sa tête. Il l’attaqua doucement. Juste des feintes, des gestes pour jauger. Elle, elle y mettait tout son cœur. Chaque coup de poing était un cri muet. Elle pensait à son père. À sa mère. À Alexis. À ses nuits blanches. À ses angoisses.
Il parait. Toujours calme. Toujours centré.
Puis soudain, un pas de côté. Une esquive parfaite. Elle perdit l’équilibre. Et il la rattrapa. Bras autour de sa taille. Leur souffle se mélangea. Elle sentit son torse contre sa poitrine. Sa main contre ses côtes.
— Respire, souffla-t-il.
Elle releva les yeux vers lui. Et là, dans ce demi-silence, ce bref instant suspendu entre deux battements de cœur, elle sut.
Cet homme allait bouleverser sa vie.
— C’est quoi votre nom ? murmura-t-elle.
— Léo, répondit-il. Léo Saurel.
Elle recula d’un pas.
— Et vous êtes toujours aussi… intense avec vos élèves ?
Il la fixa. Longtemps.
— Non. Mais toi t’es pas comme les autres.
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Ce soir-là, en rentrant, Elena n’arriva pas à dormir.
Pas à cause du café brûlé. Pas à cause des cris de Yuna au téléphone.
Non. À cause des yeux de Léo.
Et de la chaleur qu’elle sentait encore sur sa peau, là où il l’avait touchée.
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Chapitre 2 – Premiers coups
Le parquet grinçait sous les pieds d’Elena alors qu’elle poussait la porte de la salle de boxe. Il était encore tôt, trop tôt pour un samedi. Le soleil s'infiltrait à travers les vitres sales, peignant le ring d’ombres dorées.
Elle ne savait pas exactement pourquoi elle était revenue.
Non, c’est faux. Elle savait. C’était à cause de lui. De sa voix. De son regard. De sa façon de lui dire “respire” comme si le monde pouvait s'arrêter autour d'elle.
Léo était déjà là. Torse nu cette fois, transpirant sous la lumière. Il enchaînait les uppercuts sur un sac de frappe. Chaque impact résonnait dans la pièce comme un tambour de guerre. Elena resta figée quelques secondes, fascinée.
— Reviens me fixer comme ça et je vais croire que tu veux vraiment te battre, lança-t-il sans se retourner.
Elle sourit.
— Ou peut-être que je veux juste voir si tu fais toujours autant le malin sans ton t-shirt.
Léo se tourna vers elle, essuyant son front avec sa serviette. Ses abdos se contractaient à chaque mouvement. Il s’approcha lentement.
— Monte sur le ring. On va voir si tu frappes aussi bien que tu parles.
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Elle monta.
Il lui fit signe de garder ses gants baissés.
— Pas de coups à la tête, précisa-t-il. On travaille la distance, le timing. Pas besoin de me défigurer, même si je sens que t’en crèves d’envie.
— Je préfère les hommes beaux, répliqua-t-elle.
Léo esquissa un sourire. Elle fonça.
Premier coup, il bloque. Deuxième, il la laisse passer. Troisième, il riposte doucement. Le rythme s’installe, presque comme une danse. Ils tournent l’un autour de l’autre, se testent, s’apprivoisent.
Soudain, elle glisse. Perte d’équilibre. Il la rattrape encore.
Cette fois, leurs visages sont plus proches. Beaucoup trop proches.
Il ne parle pas. Il respire, lentement. Elle sent son souffle, chaud, contre sa joue.
— Tu joues à quoi ? demande-t-elle à voix basse.
— J’essaie de pas faire de connerie.
— C’est un bon jour pour échouer, murmure-t-elle.
Et puis elle s’écarte. D’un geste brusque, sec, presque violent. Comme si elle se battait contre elle-même.
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Ils rangent le matériel en silence. Léo est redevenu ce mur de calme, impénétrable. Mais ses gestes sont plus lents. Plus tendus.
— Tu veux un café ? demande-t-elle soudain.
Il relève la tête, surpris.
— T’invites ton coach chez toi ?
— J’invite un type qui me rattrape chaque fois que je tombe.
Il ne répond pas. Elle s’attend à un refus. Mais il hoche la tête.
— Ok.
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Chez elle, la cafetière siffle. Yuna n’est pas là. Léo s’assied sur le petit canapé usé, les mains croisées. Il observe les murs, les livres, les photos, les chaussures empilées dans un coin.
— T’as une vie bordélique, dit-il.
— J’ai une vie vivante. Et toi ? On dirait que t’habites dans une boîte noire.
Il la regarde. Longuement.
— J’habite dans mes silences, Elena.
Elle frissonne. Pas de peur. D’envie.
— Tu me fascines, souffle-t-elle.
Il se lève. Traverse la pièce en deux pas.
Elle lève les yeux. Il est là, devant elle. Immobile.
— Et toi, tu me fais peur.
— Alors embrasse-moi, murmure-t-elle. Juste pour voir si ça fait encore plus peur ou si ça calme.
Mais il ne le fait pas.
Il effleure juste sa joue du dos de la main.
Et s’en va.
Sans un mot de plus.
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Cette nuit-là, Elena s’endort en tee-shirt, la peau encore marquée par son gant de boxe.
Elle glisse une main sous son oreiller, là où elle garde ses secrets.
Et elle rêve de lui.
Pas de ce qu’il ferait d’elle.
Mais de ce qu’il lui ferait ressentir.
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Chapitre 3 – Une fête trop bruyante
La musique cognait contre les murs comme une bête en cage. Des basses lourdes, presque animales, faisaient vibrer le parquet et les verres à moitié vides sur la table basse. Elena se sentait déjà ailleurs. À moitié étrangère dans cette soirée.
— J’avais oublié que la jeunesse se mesurait au volume sonore, lança-t-elle à Yuna, qui dansait déjà, une coupe de prosecco à la main.
— C’est une soirée d’anciens, pas une messe, répondit Yuna en riant. Détends-toi un peu, Leni. Tu fais ta vieille âme, là.
Elena roula des yeux, mais elle sourit. Il y avait de la chaleur dans cette fête. Des rires, des effleurements, des regards longs. Des odeurs de parfums bon marché et de joints discrets. Des gens qu’elle avait connus, d'autres qu’elle avait oubliés.
Et puis…
Alexis.
Il était là.
Adossé au mur du fond, comme toujours, un verre à la main, un regard qui scrutait la foule, et ce sourire… Celui qui avait su la convaincre à dix-sept ans qu’il était tout ce qu’elle méritait.
Elena sentit son cœur se serrer.
Il la vit. S’approcha.
— Elena, murmura-t-il en la prenant dans ses bras comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.
Elle se laissa faire. Une poignée de secondes seulement. Assez pour sentir que rien n’avait vraiment changé. Ni son parfum. Ni son emprise.
— Je croyais que tu vivais à Paris, dit-elle en se détachant doucement.
— J’ai fait une pause. Je voulais revoir les vrais visages. Et puis… Yuna m’a dit que t’étais ici.
— Elle aurait pas dû.
— Pourquoi ? T’as peur de craquer encore ?
— J’ai peur de revivre des erreurs, répondit-elle. Et toi ? Tu fuis toujours le silence ?
Il sourit. Il avait toujours aimé ses réponses tranchantes.
— Tu veux boire quelque chose ?
Elle hésita. Puis haussa les épaules.
— Sers-moi ce que tu veux, mais évite le poison. Même sentimental.
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Ils s’étaient installés sur le balcon. Le vent d’avril faisait voler quelques mèches brunes autour du visage d’Elena. Elle regardait les lumières de la ville, les voitures au loin, les fenêtres éclairées des autres vies. Alexis la regardait, elle.
— Tu m’as manqué, dit-il simplement.
— Tu m’as trahi, répondit-elle. Avec des mots. Avec des gestes. Avec ton absence.
— Tu t’es éloignée bien avant moi.
— Tu as couché avec mon amie, Alexis. On appelle ça un raccourci, pas une rupture.
Il baissa les yeux. Son silence était plus lourd que n’importe quelle dispute.
Elle finit son verre d’un trait.
— J’ai changé, souffla-t-il. J’ai compris mes failles. J’ai appris. Et j’ai souffert, aussi.
Elle se leva.
— Et moi j’ai survécu. Tu sais quoi ? Je boxe maintenant.
— Tu frappes ?
— Seulement ce qui me revient.
Elle s’éloigna. Mais il l’attrapa par la main.
Son regard se fit plus intense.
— T’as pas peur qu’on se revoie ? Qu’on rallume un feu ?
Elle le fixa, froide.
— Le feu, Alexis, ça réchauffe ou ça détruit. Avec toi, c’était un incendie. Et j’ai fini en cendres.
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En rentrant, elle poussa la porte de l’appart et jeta ses chaussures contre le mur. Yuna dormait déjà, une série en pause sur Netflix, les écouteurs encore aux oreilles.
Elena s’enferma dans sa chambre. Elle retira ses vêtements lentement. Chaque geste comme un exorcisme.
Puis, dans le silence, elle prit son téléphone.
Un message.
Elena : Tu dors ?
Quelques secondes. Une réponse.
Léo : Je dors jamais vraiment.
Elena : Tu veux venir ?
Elle sentit son cœur battre plus fort.
Pas pour Alexis.
Pour un autre.
Pour un homme qu’elle ne comprenait pas encore, mais qu’elle désirait déjà trop.
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Léo n’est pas venu cette nuit-là.
Mais elle rêva de lui.
De ses mains.
De sa voix.
Et dans ce rêve, ce n’était pas elle qui tombait.
C’était lui.
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