Virelune s’éveillait sous un ciel d’un gris tiède, le genre de ciel qui semblait hésiter entre la pluie et l’oubli.
Noam Ravel se tenait au bord du trottoir, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, l’odeur du bitume humide encore accrochée à l’air du matin. Il était 7h43, d’après son téléphone. Il n’aimait pas arriver en avance. Il n’aimait pas grand-chose, ces derniers temps.
Il leva les yeux. Le bus approchait au loin, ses phares voilés par la buée d’octobre. Il consulta l’heure une dernière fois, puis prit la décision absurde qui allait bouleverser tout le reste : faire demi-tour.
Une douleur floue au ventre, un pressentiment sans mots. Il fit un pas, deux, dans la direction opposée, vers l’avenue des Lilas.
Il n’avait parcouru que quelques mètres lorsque le fracas explosa derrière lui.
Le son n’arriva pas tout de suite. Ce fut d’abord la lumière : une gerbe d’éclats métalliques, la courbe impossible d’un bus soulevé de terre, le hurlement silencieux d’un klaxon éventré.
Puis… tout se figea.
Absolument tout.
La pluie suspendit sa chute, immobilisée dans l’air comme des perles flottant dans du verre. Les voitures s’arrêtèrent, moteur en silence, les visages figés dans des expressions incomplètes.
Même le vent cessa. Et le monde… sembla se retenir de respirer.
Noam cligna des yeux.
Son cœur battait. Fort.
Trop fort.
Il se retourna lentement, les sens engourdis par une peur sans nom. Le bus était là, renversé sur le flanc, un camion encastré dans sa carcasse. Mais ce n’était pas ce spectacle figé qui le pétrifia.
C’était la silhouette.
Elle se tenait au milieu de la rue, là où les vitres brisées dessinaient un tapis de lumière morte. Grande, mince, vêtue d’un manteau noir d’une matière qu’il n’aurait su décrire.
Mais surtout… elle avait des yeux de verre.
Des orbes translucides, sans pupilles. Des miroirs opaques où ne se reflétait rien.
Elle le regardait.
Noam voulut bouger, hurler, reculer — mais son corps ne répondit pas.
Il sentit quelque chose glisser sous sa peau. Une sensation froide, invasive. Comme si ses souvenirs frissonnaient.
Puis, tout reprit.
La pluie tomba d’un coup. Les klaxons rugirent. Des cris éclatèrent dans la rue.
Un chaos d’ambulances, de portières qui claquent, de sirènes hurlantes.
Mais la silhouette… avait disparu.
Noam recula, vacillant.
Il sentit son souffle revenir par à-coups, comme une cassette qu’on rembobine. Des passants le bousculèrent sans le voir. Il restait là, au bord du monde.
Ce qu’il avait vu…
Non. Ce qu’il n’aurait pas dû voir.
Quelque chose n’allait pas. Il le savait. Pas comme on devine un détail étrange dans un rêve… mais comme on reconnaît une peur qu’on croyait oubliée.
**
Le soir, il ne parla à personne de l’accident.
Pas même à Camille, qui lui envoya un message inquiet : “Tu devais être dans ce bus, non ?”
Il répondit : “J’ai changé de trottoir.”
Elle envoya un sticker de soulagement.
Il resta des heures à fixer l’écran.
Plus tard, dans sa chambre, il tenta de se convaincre que c’était le choc. Que les images figées, les yeux de verre, tout cela n’était qu’un mirage né de l’adrénaline.
Mais alors pourquoi, dans le miroir de la salle de bain, avait-il vu derrière son propre reflet une silhouette noire…
… qui n’était plus là quand il s’était retourné ?
Et pourquoi, au fond de lui, avait-il l’impression qu’un nom oublié frappait contre les parois de sa mémoire ?
Comme un murmure qu’on entendrait depuis une pièce fermée à double tour.
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