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Une Mort À Offrir

Les ténèbres de Sua

Il faisait nuit. Ce genre de nuit où même les lampadaires semblent hésiter à éclairer. La ville s’étalait comme un cadavre sans vie, étouffée sous un manteau d’asphalte humide et d’indifférence. Les passants avaient disparu depuis longtemps, avalés par les néons ou les draps sales de leurs existences. Il ne restait que le vent — ce murmure froid et persistant, comme les souvenirs qu’on voudrait oublier.

Sua marchait lentement, les talons de ses chaussures claquant sur le trottoir avec une régularité presque clinique. Un rythme qui disait : je suis encore en vie, même si plus rien à l’intérieur ne le confirmait.

Blouse pliée sur l’avant-bras, badge hospitalier rangé, elle avait quitté la salle d’opération il y a à peine une heure, les mains tachées de sang qu’elle avait frottées mécaniquement sous l’eau tiède — trop tiède. Tout était trop tiède ces derniers temps.

Les gens appelaient ça la dépression.

Elle appelait ça : l’érosion.

Pas de larmes. Pas de cris. Juste… l’usure lente et invisible de ce qui faisait autrefois vibrer l’âme. Une âme maintenant asséchée comme un lac oublié. Sua n’avait plus de passion, plus de peur, plus de colère. Il ne restait qu’un automatisme froid, une coquille solide que même le scalpel de l’existence ne semblait plus pouvoir ouvrir.

Chaque soir, elle rentrait à pied.

Pas par plaisir. Pas par nécessité.

Mais parce que c’était le seul moment où elle pouvait frôler la mort sans que ce soit un scandale.

Un carrefour mal éclairé. Une voiture rapide. Un homme armé. Elle espérait chaque nuit que la vie décide de lui ôter ce qu’elle n’avait plus la force de lui prendre elle-même.

Ce soir-là, pourtant, la mort semblait lui avoir donné rendez-vous sous une autre forme.

En bifurquant dans une ruelle étroite qu’elle connaissait par cœur — une entaille dans la ville, dissimulée entre deux immeubles aux façades noircies —, Sua trébucha.

Le bruit sourd de sa chaussure heurtant quelque chose la fit s’arrêter net.

Quelque chose… ou plutôt quelqu’un.

L’homme était étendu sur le sol, à demi dans l’ombre, comme s’il voulait s’effacer du monde sans faire de bruit. Mais l’odeur du sang, elle, ne mentait pas. Le fer, la chair, le cuir brûlé.

Sua s’agenouilla lentement, ses gestes étrangement calmes, comme s’ils répétaient un rituel mille fois exécuté.

Le corps devant elle respirait encore. À peine.

La lumière blafarde révéla un torse trempé de sang, une chemise noire déchirée, une plaie béante là où une balle s’était logée. Le bras gauche tordu à un angle qui n’avait rien de naturel. Des ecchymoses violettes couraient sur ses côtes. Et plusieurs entailles le long du flanc pulsaient avec lenteur, comme si la douleur elle-même hésitait à partir.

Et dans son cou…

Sua plissa les yeux.

Un tatouage. Imposant. Brutal. Une tête de dragon dévorant une rose noire. Elle connaissait ce symbole.

La mafia locale. Les Heukryong. Les plus cruels de tous. Ceux que même les flics n’approchaient qu’avec des gants en plomb.

Il était dangereux. Très dangereux.

Mais curieusement… elle n’eut pas peur.

Ce n’était pas de l’inconscience. Pas non plus du courage. C’était autre chose. Une fatigue si profonde qu’elle annulait l’instinct de survie. Elle avait vu des hommes pires. Les avait soignés. Certains avaient supplié. D’autres hurlé. Aucun n’avait osé la tuer.

Mais peut-être que lui… lui le ferait.

Elle tendit la main et posa deux doigts contre la carotide de l’homme.

Le pouls battait. Faiblement.

L’homme ouvrit les yeux.

Deux fentes noires. Brûlantes. Comme des charbons mal éteints. Il la fixa. Pas avec gratitude. Ni peur. Ni détresse.

Avec menace.

« T’approche pas. »

La voix était rauque, craquelée par la douleur. Mais le ton restait tranchant, menaçant, presque amusé dans sa brutalité. Sua ne bougea pas.

« Vous avez une balle logée dans le thorax, » dit-elle calmement, comme on annonce la météo. « Si vous continuez à respirer comme ça, votre poumon va s’effondrer. »

Il grogna, voulut se redresser, mais son bras cassé retomba dans un craquement sec.

« T’es quoi, une flic ? Une fouille-merde ? »

Elle secoua lentement la tête.

« Je suis médecin. »

Un silence.

Il la détailla. Le regard méfiant. Peut-être voyait-il l’absence de peur dans ses yeux. Ou cette chose plus glaçante encore : l’absence de vie.

Sua parla à nouveau.

« Je peux vous soigner. »

Il plissa les yeux. Éclata d’un rire douloureux qui se mua aussitôt en toux sanglante.

« Et qu’est-ce que tu veux en échange, Docteur Miséricorde ? Une photo ? Un autographe ? »

Elle baissa les yeux sur sa plaie. Pressa doucement avec un tissu propre. Il grimaça.

Et puis, d’une voix si calme qu’on aurait pu croire qu’elle lisait une ordonnance, Sua répondit :

« En échange… vous me tuez. Une fois guéri. »

Le silence. Dense. Violent.

Puis il rit.

Un vrai rire, cette fois. Grave, cruel, presque euphorique.

Mais la douleur le coupa net. Il cracha du sang. Cligna des yeux.

« T’es sérieuse ? »

« Très. »

« Tu veux que je te bute ? »

Elle hocha lentement la tête.

« Oui. »

Un souffle. Un instant suspendu.

Quelque chose passa dans ses yeux à lui. Un éclat. Une flamme.

Il se mit à sourire. Lentement.

« T’as trouvé le bon salaud, chérie. J’accepte ton petit contrat. Mais si tu bluffes, je t’arrache la langue. »

Sua ne répondit pas. Elle passa un bras sous lui, l’aida à se redresser tant bien que mal.

Il gronda, l’insulta, menaça. Mais se laissa faire.

Comme un fauve blessé qui n’a plus que ses crocs pour se défendre.

Elle l’emmena.

Loin des rues. Loin du monde.

Vers cette pièce cachée sous son salon, où elle avait déjà soigné d’autres bêtes comme lui.

Des bêtes qui, une fois guéries… n’avaient jamais eu le courage de lui offrir ce qu’elle demandait.

Mais peut-être que lui, Sunwoo, serait différent.

Et alors qu’elle refermait la trappe derrière elle, une pensée glacée traversa son esprit :

Peut-être que cette fois, la mort sera enfin douce.

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