Varkhan hurla une dernière fois, englouti par les flammes éternelles qui jaillirent du sol comme mille langues de feu divin. Son cri s’éteignit dans l’écho du silence revenu. Le ciel s’éclaircit lentement, la lumière perça les nuages de ténèbres. La guerre… était terminée.
Aelstrom, debout au cœur du champ de bataille, regardait les cendres tourbillonner autour de lui. La victoire ne lui apportait aucun soulagement. Pas quand le prix en avait été aussi lourd.
Ses pas le ramenèrent vers le grand arbre, là où Ilmarion reposait encore, immobile. Les esprits ancestraux disparurent un à un dans une brume dorée, comme s’ils avaient terminé leur rôle. Le roi des Fyrliths s’agenouilla de nouveau auprès du corps qu’il chérissait plus que tout. Il posa ses doigts contre sa joue. Toujours froids.
Il comprit. Il avait trop tardé. Trop hésité. Il n’était plus qu’un homme en deuil.
Le prince elfe semblait paisible, presque endormi. Ses ailes avaient disparu, réduites en poussière par la cruauté de Varkhan. Son arc était brisé. Son corps, sans blessure visible, paraissait intact, mais sa poitrine ne se soulevait plus. Aucune chaleur n'émanait de lui.
Aelstrom à genoux à ses côtés, tremblant pour la première fois.
Il tendit la main, effleurant le visage fin de l'elfe.
Si doux. Si silencieux.
— Ilmarion... murmura-t-il.
Pas de réponse. Rien. Pas même un souffle.
Il sentit ses yeux le brûler, mais il ne pleura pas.
Pas encore. Il ne pouvait pas. Il refusait de croire que c'était la fin.
Il plaça sa main sur le Cœur d'lImarion. Aucun signe de vie.
Un grondement discret naquit dans sa gorge, contenu par un ultime fil de dignité.
Les autres s'approchèrent à pas lents. Lysha, Kaelen, Aerys... les généraux elfes, les commandants fyrliths, les mages et les guerriers.
Tous formèrent un cercle silencieux autour d'eux.
Personne n'osait interrompre ce moment sacré.
- Il m'avait promis, souffla Aelstrom d'une voix rauque.
- Il m'avait promis de rester à mes côtés.
Son front se posa contre celui d'lImarion. Ce simple contact suffisait à raviver mille souvenirs : leurs regards échangés, les nuits de veille, les batailles partagées, les silences pleins de sens, les gestes tendres volés à la guerre. Ilmarion était sa lumière. Et cette lumière vacillait.
— Je t'ai protégé du mieux que je pouvais, chuchota-t-il. Mais j'étais trop lent. Trop aveugle.
Il serra la main froide d'Ilmarion dans la sienne.
- Reviens-moi...
Un frisson parcourut l’assemblée.
Mais l’instant d’après, quelque chose en lui changea. Non… ce n’était pas fini. Il refusait cette réalité.
Sous les regards silencieux de ses alliés, de ses soldats, d’elfes et d’humains unis par la guerre, Aelstrom glissa un bras sous les épaules d’Ilmarion, l’autre sous ses genoux, et le souleva dans ses bras. Il le porta comme on protège un rêve mourant.
Il s’immobilisa un instant, ferma les yeux… et dans une explosion de lumière pure, ses ailes se déployèrent.
Deux immenses ailes draconiques, d’un noir d’obsidienne aux reflets nacrés, surgirent dans son dos. Elles étaient magnifiques, terrifiantes. Nul ne les avait jamais vues, car jamais Aelstrom ne les avait montrées. Et pourtant, elles existaient depuis toujours, liées à sa vérité la plus profonde.
Un murmure parcourut la foule. Certains tombèrent à genoux, d’autres reculèrent, effrayés par cette révélation silencieuse.
Sans un mot, Aelstrom s’envola.
Il fendit les cieux, tenant toujours Ilmarion contre lui. Les nuages s’écartèrent à son passage, les vents se turent. Il volait vers un lieu oublié. Un lieu qu’il s’était juré de ne jamais revoir. Une forêt cachée dans les replis du monde : la Forêt des Esprits.
Là où vivait autrefois sa mère, une entité ancienne, une âme faite de lumière, de brume et de souvenirs. Nul ne connaissait cette vérité. Il était né d’une union interdite entre un esprit et un dragon. Mi-ombre, mi-immortel. Et pourtant, il avait renié cet héritage. Trop dangereux. Trop différent.
Mais pour Ilmarion… il était prêt à tout transgresser.
Pendant ce temps, dans les ruines du camp elfe, les frères d’Ilmarion s’étaient effondrés. Kaelen tenait Aerys dans ses bras, son visage déformé par les larmes. Même le fier Kaelen ne pouvait plus se contenir. Il hurlait sa douleur au ciel, ses mains ensanglantées crispées sur les restes de l’arc brisé de leur frère.
— Il ne peut pas être mort ! Il ne peut pas ! gémit Aerys, les yeux écarquillés.
Elaria, la sœur aînée, s’approcha lentement. Elle aussi pleurait, mais ses larmes coulaient en silence, glissant sur son visage sans qu’elle les essuie. Elle regarda le ciel, voyant au loin une ombre s’envoler.
— Aelstrom l’emporte quelque part, murmura-t-elle. Peut-être… pour le sauver.
— Il est trop tard, El… sanglota Kaelen. Même lui ne peut rien contre la mort.
Mais Elaria ferma les yeux. Quelque chose en elle refusait de croire à cette fin. Ilmarion n’avait pas tout donné pour mourir ainsi. Pas sans que quelque chose de plus grand ne s’accomplisse.
⸻
Aelstrom atterrit dans une clairière cachée au cœur de la forêt, là où même le vent retenait son souffle. Des lumières douces flottaient entre les arbres, pareilles à des lucioles d’argent. Une brume parfumée glissait entre les racines, comme une mémoire vivante.
Il déposa Ilmarion au centre du cercle sacré.
— Mère… murmura-t-il, la voix brisée.
Il se redressa, les poings tremblants.
— Je t’avais juré de ne jamais revenir. Mais je ne peux pas le perdre. Je ne peux pas…
La brume se condensa doucement. Une silhouette féminine, lumineuse, aux contours flous, apparut lentement. Ses traits semblaient faits d’étoiles et de larmes. C’était elle.
— Tu as brisé ton serment, mon fils…
— Je le sais.
— Et tu viens chercher l’impossible.
— Je viens chercher la vie. Pour lui.
Elle s’approcha. Sa main éthérée caressa la joue d’Ilmarion.
— Son âme vacille… mais elle n’est pas partie. Il reste un fil. Un fil si mince…
Aelstrom s’agenouilla, la tête baissée.
— Prends ce que tu veux de moi. Mon sang. Mon pouvoir. Ma vie. Mais ramène-le-moi.
L’esprit ne répondit pas. Mais elle tendit les mains, et autour d’elle, les lumières de la forêt se mirent à danser.
Quelque chose… avait commencé.
La vrai mère d’Aelstrom
Le silence régnait dans la Forêt des Esprits. Seuls les murmures des feuilles et les chants cristallins des rivières venaient troubler la quiétude de cet ancien sanctuaire. Aelstrom tenait toujours Ilmarion contre lui, les bras tremblants sous le poids de la douleur plus que celui du corps. Le souffle de vie, transmis par la bouche dans un geste empreint d’un amour silencieux, s’était fait. Ilmarion avait légèrement réagi — un frisson, une vibration d’âme presque imperceptible. Mais ses paupières ne s’étaient pas ouvertes. Son corps restait inerte, figé comme une statue d’ivoire.
La mère d’Aelstrom, l’Esprit Primordial de la Forêt, s’approcha. Ses ailes scintillantes s’étaient repliées doucement derrière elle, et son regard portait toute la sagesse du monde ancien. Sa voix douce mais ferme perça le silence :
— Il a répondu… mais le prix était lourd.
Aelstrom releva la tête, son regard doré implorant une réponse.
— Il est vivant, Aelstrom. Tu l’as sauvé, mais il est tombé en Anzara.
Le roi fronça les sourcils, murmurant ce nom comme une sentence.
— Anzara… Le Sommeil Profond.
L’Esprit acquiesça.
— Seuls ceux qui frôlent la mort et dont l’âme refuse encore de partir y sombrent. Ce sommeil peut durer des années, des siècles même. Le temps n’a plus d’emprise sur lui désormais.
Aelstrom baissa les yeux vers le visage paisible d’Ilmarion. Il était magnifique, comme figé dans une éternité de lumière. Aucune douleur ne marquait ses traits. Ses ailes arrachées avaient disparu, remplacées par un voile d’énergie douce, presque imperceptible. Il ressemblait à un être des étoiles, entre la vie et le néant.
— Il est trop tôt pour toi de rester ici, ajouta sa mère. Ton peuple a besoin de toi, mon fils. Et lui… il a besoin de repos.
Aelstrom serra un instant Ilmarion contre lui, puis le déposa avec la plus grande délicatesse sur le lit de feuilles que les esprits avaient préparé. Il resta agenouillé à ses côtés, le front contre le sien. Sa voix, à peine un souffle, s’échappa entre ses lèvres.
— Reviens-moi, un jour… je t’attendrai. Aussi longtemps qu’il le faudra.
Puis il se leva. Son regard croisa celui de sa mère, et elle posa une main sur sa joue.
— Tu es né de moi, mais tu es aussi l’enfant du feu et du combat. Tu as accompli ton devoir, mon fils. Maintenant, tiens ta promesse.
Aelstrom déploya lentement ses ailes de dragon, ces ailes qu’il avait tant de fois refusé d’utiliser. Elles étaient magnifiques, faites d’or et de flammes, puissantes et imposantes. Les esprits autour s’inclinèrent en silence, reconnaissant en lui plus que le roi des humains : un héritier des dragons, un être né d’un ancien pacte oublié.
Il prit un dernier regard vers Ilmarion. Son cœur se serra, mais il ne laissa pas une larme tomber. Le roi devait rester fort. Pour lui. Pour eux.
Puis il s’envola.
Le ciel s’ouvrit à lui comme s’il avait été longtemps attendu. Les vents le portèrent au-dessus des cimes argentées, traversant les brumes magiques de la Forêt des Esprits, vers les terres ravagées par la guerre.
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Pendant ce temps, dans le camp elfe, les frères et sœurs d’Ilmarion pleuraient leur aîné. Kaelen tenait Naelia contre lui, et Aerys fixait le ciel, les poings serrés. Personne ne disait mot. Même la nature semblait s’être tue en hommage à leur prince.
Quand Aelstrom revint au palais, les gardes s’agenouillèrent sur son passage. Les généraux baissèrent les yeux. Le peuple s’était rassemblé, tremblant d’inquiétude et d’espoir mêlés.
Il atterrit lentement, et lorsqu’il replia ses ailes, un silence sacré se fit.
Il leva les yeux vers les siens et dit d’une voix grave, brûlante de l’éclat d’un serment :
— La guerre est finie. Le Dormant et Varkhan sont tombés. À présent, nous devons reconstruire. Honorer les morts. Et préparer l’avenir.
Son regard balaya la foule. Personne ne parla. Puis, une main se leva. Une voix s’éleva, tremblante :
— Vive le roi !
D’autres suivirent.
— Vive le roi Aelstrom !
— Gloire à Ilmarion, prince de lumière !
Les acclamations remplirent le ciel. Mais Aelstrom n’éprouvait aucun triomphe. Il n’y avait que ce vide dans sa poitrine, cette absence brûlante qu’aucune victoire ne pouvait combler.
Il releva la tête, les yeux brillants d’un éclat ancien.
Et dans son cœur, une seule promesse résonnait :
Je t’attendrai. Aussi longtemps qu’il le faudra.
Le trône était à nouveau occupé, mais l’éclat du royaume restait terni par l’ombre de la guerre. Aelstrom avait retrouvé son apparence normale, abandonnant l’aura draconique de la bataille. Ses cheveux, longs et argentés, tombaient élégamment dans son dos, et ses yeux ambre brillaient d’un éclat calme mais impénétrable. Pourtant, derrière cette allure impériale, il portait un fardeau dont personne ne soupçonnait l’ampleur.
Il s’entraînait chaque jour sans relâche. À l’aube, alors que la capitale s’éveillait lentement, le roi descendait dans l’arène d’entraînement du palais. Le bruit des lames, des pas martelant le sol et des souffles hachés devenait une musique familière. Il affrontait des soldats d’élite, testait les jeunes recrues, corrigeait les gestes, toujours silencieux, concentré, implacable. On disait qu’il dormait à peine. Qu’il ne mangeait que par nécessité. Qu’il évitait toute festivité.
En privé, le roi restait distant. Il n’avait pas encore convoqué de conseil politique, et cela inquiétait les hauts dignitaires. Les demandes s’accumulaient. Les provinces réclamaient davantage d’autonomie, les seigneurs exigeaient des réparations, les alliés voulaient des garanties. Mais Aelstrom ne réagissait pas, comme s’il attendait quelque chose — ou quelqu’un.
Car certains soirs, il quittait discrètement le palais, seul, sans escorte. Il s’éloignait de la capitale, franchissait les forêts, jusqu’à une vallée cachée où résidait encore sa mère. Là, auprès d’un grand arbres protégé par de puissants enchantements, reposait Ilmarion. Toujours immobile, toujours plongé dans ce sommeil ancestral : l’Anzara.
Aelstrom s’asseyait près de lui, le regard posé sur le visage paisible de l’elfe. Il ne parlait pas. Il se contentait d’être là, parfois des heures entières, jusqu’à ce que le vent du soir lui rappelle ses devoirs de roi. Alors seulement, il se levait, posait une dernière fois sa main sur celle d’Ilmarion, et disparaissait dans la nuit.
Personne ne savait ce qu’était devenu le prince elfe. Les rumeurs allaient bon train. Certains pensaient qu’il avait succombé à ses blessures après la bataille. D’autres disaient qu’il avait été enlevé, ou qu’il avait choisi l’exil pour échapper aux responsabilités. Mais aucun n’osait poser la question au roi. Le regard d’Aelstrom suffisait à faire taire les plus audacieux.
La vérité, pourtant, avait été confiée à une seule personne.
Elaria.
Lors de la dernière visite qu’elle avait rendue à la capitale, Aelstrom l’avait fait venir en privé dans ses appartements. Là, sans cérémonie, il lui avait révélé ce que tous ignoraient : Ilmarion était tombé en Anzara, un sommeil profond et sacré, d’où nul ne pouvait le tirer avant le temps voulu. La jeune femme, forte de caractère mais au cœur tendre, avait serré les poings, luttant pour ne pas pleurer.
— Il reviendra, avait-elle murmuré. Je le sens.
Aelstrom avait hoché la tête, les traits fermes.
— Oui. Et ce jour-là, je serai prêt.
Depuis, Elaria gardait le secret, fidèle à la confiance du roi.
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Dans la salle du conseil, les tensions montaient. Le silence du roi devenait une source d’agitation.
— Nous avons besoin d’un traité avec les royaumes du Sud, gronda le chancelier Armin. Et les ressources de l’Est doivent être réparties ! Le peuple commence à murmurer, Majesté !
Aelstrom, debout devant la large carte du royaume, fit lentement volte-face. Son regard d’ambre balaya l’assemblée.
— Vous voulez des traités ? Des ressources ? Vous les aurez. Mais le cœur de ce royaume n’est pas politique. C’est sa mémoire. Et cette mémoire est encore en deuil. Tant que les cendres de nos morts n’auront pas refroidi, je ne danserai pas avec les diplomates.
Un silence glacé s’abattit sur la salle.
— Faites ce qu’il faut. Mais souvenez-vous : si vous jouez à reconstruire ce royaume pour votre gloire… je vous arracherai ces fondations de mes propres mains.
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La rumeur de ses paroles fit le tour du royaume. Certains y virent la preuve d’un roi déterminé à reconstruire sur des bases solides. D’autres y lurent le symptôme d’un souverain consumé par la perte, incapable de gouverner. Mais nul n’osa s’opposer frontalement à lui.
Car malgré son silence, Aelstrom restait le Roi-Dragon. Le seul à tenir en respect des forces qui dépassaient la compréhension des mortels.
Et chaque jour, il continuait de se battre. Contre l’instabilité politique, contre les ambitions de ses pairs… et contre l’attente qui le rongeait de l’intérieur.
Car dans un sanctuaire, loin des regards, Ilmarion dormait toujours.
Et Aelstrom, inlassablement, attendait son réveil.
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