La forêt était enveloppée d’un silence pesant, seulement interrompu par le bruissement des feuilles sous une brise timide. Layla se déplaçait entre les arbres, une ombre parmi les ombres, suivant la lumière douce qui émanait au loin. C'était un éclat doré, fragile mais irrésistible, dans l’obscurité qui l’entourait. L'artefact était proche, et avec lui, l’ange qui avait osé le protéger.

Elle atteignit enfin une clairière, son regard acéré repérant aussitôt la silhouette blanche au centre. L'ange était là, ses ailes repliées, assise sur une pierre moussue. Elle semblait absorbée par l'artefact qu'elle tenait entre ses mains délicates, un objet iridescent qui pulsait faiblement, comme un cœur vivant.

Layla ne prit pas le temps d'admirer la scène. Elle savait que l'hésitation était un luxe qu'elle ne pouvait se permettre. D'un mouvement rapide et précis, elle jaillit des ombres, sa lame étincelant dans la pénombre. L’ange leva les yeux juste à temps pour voir la démone fondre sur elle.

— Non ! cria-t-elle, en déployant maladroitement ses ailes pour se protéger.

Mais c'était trop tard. La lame de Layla traça une ligne cruelle sur l’aile droite de l’ange, déchirant les plumes immaculées et arrachant un cri de douleur. Hanna s’effondra au sol, ses mains pressant son épaule blessée alors que des larmes de douleur inondaient ses joues.

Layla rangea son arme, son regard froid observant l’ange qui tremblait à ses pieds. Elle aurait dû en finir là, achever la mission comme on lui avait ordonné. Mais quelque chose dans les yeux de l’ange la fit s’arrêter. Ce n’était pas la peur qu’elle y vit – c’était autre chose, une vulnérabilité désarmante, et une étrange lueur de résignation.

— Pourquoi ? murmura l’ange, sa voix brisée par la douleur.

Layla détourna les yeux. Ce n’était pas une question à laquelle elle pouvait répondre, pas avec des mots. Elle se pencha et attrapa Hanna par le poignet, ignorant les faibles protestations de l'ange. D’un geste habile, elle passa une chaîne d'ombre enchantée autour de ses poignets. Les runes gravées sur le métal s'illuminèrent, neutralisant la magie de l’ange et réduisant encore plus ses forces.

— Tu es ma prisonnière maintenant, déclara Layla, sa voix dure. Tente quelque chose, et cette chaîne se resserrera.

Hanna ne répondit pas. Elle baissa la tête, ses ailes blessées repliant douloureusement contre son dos. Pourtant, même en silence, il y avait une résistance dans son attitude, une étincelle qui refusait de s'éteindre.

Layla sentit un poids qu'elle ne s’expliquait pas s’installer dans sa poitrine. Elle ignora cette sensation, se redressant. Elle avait l'artefact, elle avait l'ange. La mission était un succès.

Mais alors qu'elle traînait Hanna hors de la clairière, une pensée insidieuse s’infiltra dans son esprit. Pourquoi n’avait-elle pas achevé l’ange ? Pourquoi cette victoire laissait-elle un goût d’amertume ? Elle secoua la tête, chassant ces interrogations. Ce n’était pas le moment pour les doutes.

Et pourtant, avec chaque pas qu’elle faisait, la présence silencieuse de l’ange blessé à ses côtés semblait murmurer une vérité qu’elle n’était pas prête à entendre.

La grotte résonnait du bruit des gouttes d'eau qui tombaient des stalactites, créant une mélodie monotone dans l’obscurité. Layla observait Hanna, assise contre une paroi rugueuse, les ailes repliées et les yeux baissés. La lumière des runes magiques autour des poignets de l’ange projetait des ombres vacillantes sur les murs. Et pourtant, malgré sa blessure et son épuisement, Hanna restait silencieuse, refusant de prononcer un mot.

Layla croisa les bras, son regard rouge brillant perçant l’obscurité. Elle n’avait jamais eu beaucoup de patience, et encore moins face à quelqu’un qui osait défier son autorité. Elle fit un pas en avant, ses bottes résonnant lourdement sur la pierre froide.

— Tu comptes continuer ce jeu ? demanda-t-elle, sa voix basse, mais chargée de menace. Je ne suis pas connue pour ma clémence, tu sais.

Hanna ne bougea pas. Elle semblait figée, comme si elle avait décidé que son silence était sa seule arme. Cette attitude attisa une rage froide en Layla. Elle s’approcha rapidement, saisissant Hanna par le menton pour forcer son regard à rencontrer le sien.

— Regarde-moi ! gronda-t-elle. Tu crois que rester muette va t’épargner ? Je peux te briser ici et maintenant, ange.

Les mots s'échappaient comme un venin, et pourtant, à l’intérieur, une tempête différente faisait rage. Layla n’aimait pas ce qu’elle voyait dans les yeux de Hanna. Il n’y avait ni peur, ni soumission, mais une sorte de résignation paisible, presque provocante. Cela la déstabilisait plus qu’elle ne voulait l’admettre.

Elle relâcha violemment son emprise et tourna le dos, son poing frappant le mur de pierre avec une force qui fit trembler la grotte.

— Parle ! rugit-elle, sa voix résonnant comme un écho sinistre. Dis-moi pourquoi cet artefact est si important pour vous. Explique-moi pourquoi je ne devrais pas te laisser mourir ici !

Hanna leva lentement les yeux, son visage toujours empreint de cette étrange sérénité. Elle ouvrit enfin la bouche, mais sa voix était douce, presque un murmure.

— Tu n’as pas besoin de tout détruire pour exister, Layla.

Ces simples mots percèrent comme une lame, et Layla se figea, son souffle suspendu. Sa main retomba lentement le long de son flanc, et pendant un instant, un silence écrasant s’installa.

Elle se retourna, ses yeux flamboyant de colère et de confusion.

— Tu ne sais rien de moi, cracha-t-elle. Rien !

Mais au fond, elle savait que ce n’était pas vrai. Hanna avait vu quelque chose en elle, quelque chose qu’elle essayait désespérément de cacher, même à elle-même. Et cette vérité naissante lui faisait bien plus peur que n’importe quel ennemi.

Layla s’éloigna brusquement, s’adossant à une paroi de la grotte, les bras croisés. Elle avait perdu le contrôle, et cela la terrifiait. Elle jeta un dernier regard à Hanna, cette fois plus long, mais plus dur.

— Si tu veux que je cesse de poser des questions, alors reste dans ce silence, dit-elle d’une voix froide. Mais ne pense pas que je t’épargnerai pour autant.

Elle savait que cette menace était creuse. Hanna savait-elle, elle aussi ?

Layla resta immobile, le regard perdu dans les ombres projetées sur la paroi de la grotte. Le silence d’Hanna continuait de résonner en elle, comme un défi qu’elle ne savait pas relever. Elle voulait briser cet ange, écraser cette résignation insupportable… mais une partie d’elle savait que cela ne ferait qu’accentuer son propre vide intérieur. Cela la rendait encore plus furieuse.

Alors qu’elle se perdait dans ses pensées, un bruit sourd à l’extérieur de la grotte fit tressaillir ses instincts aiguisés. Elle se redressa aussitôt, sa main glissant sur la garde de sa dague. Ses yeux rouges brillaient d’une intensité nouvelle alors qu’elle se tourna vers Hanna.

— Tu as des amis dans les parages ? demanda-t-elle froidement, sans attendre de réponse. Je te préviens, s’ils approchent, je te livrerai à leurs pieds, morte ou vive.

Hanna fronça légèrement les sourcils, comme si les paroles de Layla l’atteignaient enfin. Mais avant qu’elle ne puisse réagir, un second bruit, plus proche cette fois, résonna dans la nuit. Ce n’était pas le bruit fluide des battements d’ailes angéliques, mais quelque chose de plus lourd, plus inquiétant.

Layla s’accroupit près de l’entrée, ses sens en alerte. Une ombre passa brièvement devant la lumière de la lune, et une odeur de fer et de suie emplit l’air. Ses yeux se rétrécirent.

Des chasseurs infernaux.

Elle serra les dents. Si ces créatures étaient là, cela signifiait que quelqu’un des Enfers avait découvert sa mission. Pire encore, ils voulaient probablement récupérer l’artefact – et éliminer toute trace de sa "trahison" potentielle.

Layla se tourna vers Hanna, le regard dur.

— Ne bouge pas d’un centimètre, sinon tu regretteras que je ne t’aie pas achevée plus tôt.

Mais Hanna, malgré son épuisement, semblait percevoir la gravité de la situation. Elle hocha légèrement la tête, ses ailes frémissant faiblement. Pour la première fois, il n’y avait plus seulement de la sérénité dans ses yeux – il y avait de l’inquiétude.

Layla sortit de la grotte, son arme tirée, prête à affronter l’inconnu. Les chasseurs infernaux étaient parmi les adversaires les plus redoutables qu’elle puisse rencontrer : des monstres créés pour traquer et tuer sans poser de questions. Même pour elle, cela promettait d’être une lutte difficile.

Les bois étaient plongés dans une obscurité quasi totale, seulement illuminés par les reflets sinistres des lunes jumelles. Les bruits sourds des pas lourds des créatures se rapprochaient, accompagnés de grognements gutturaux. Layla savait qu’elle n’avait que peu de temps pour se préparer.

Elle ferma les yeux une fraction de seconde, prenant une profonde inspiration pour calmer la tempête en elle. Puis elle se jeta dans l’ombre, prête à frapper.

De retour dans la grotte, Hanna restait immobile, écoutant les sons distants du combat qui faisaient trembler le sol. Chaque cri, chaque coup résonnait profondément en elle, éveillant un mélange d’inquiétude et de culpabilité. Elle connaissait ces chasseurs. Elle savait ce qu’ils représentaient.

Et, pour la première fois, elle se demanda si cette démone qui semblait la haïr autant qu’elle-même méritait vraiment ce sort.

Layla plongea dans la nuit comme une ombre, ses mouvements rapides et précis. Le premier chasseur infernal n’eut pas le temps de réagir : sa lame s’enfonça dans le cou massif de la créature, coupant court à un rugissement menaçant. Mais les autres étaient déjà sur elle, leurs griffes et leurs crocs brillant d’une lueur macabre dans la lumière des lunes jumelles.

Elle esquiva une attaque, roulant sur le sol, et riposta avec une précision féroce. Pourtant, à chaque mouvement, elle sentait le poids de leur nombre. Ces chasseurs étaient implacables, et leur puissance brute était un défi même pour elle. Une erreur, un faux pas, et elle savait qu’ils ne lui laisseraient aucune chance.

Dans la grotte, Hanna écoutait le tumulte, son cœur serré. Les sons de la bataille étaient terrifiants, mais ce qui l’effrayait le plus, c’était le silence qui pourrait suivre – le moment où Layla ne se relèverait plus. L’idée la frappa de plein fouet, et une onde de culpabilité déferla sur elle. Elle ne pouvait pas rester là, passive, alors que quelqu’un risquait sa vie pour la protéger – même si cette personne la détestait.

Rassemblant ses dernières forces, Hanna se leva, ses ailes tremblantes mais déterminées. Elle murmura une prière silencieuse, puis sortit dans la nuit, guidée par le fracas de la bataille. Lorsqu’elle arriva sur place, elle vit Layla encerclée, sa silhouette rougeoyante d’une énergie brûlante.

Hanna sentit un instinct ancien se réveiller en elle. Sa voix s’éleva, claire et puissante, et une lumière éclatante jaillit de ses mains. Les chasseurs infernaux reculèrent, grognant et hurlant face à cette soudaine force divine. Layla, haletante mais toujours debout, jeta un regard étonné à l’ange.

— Qu’est-ce que tu fais ? grogna-t-elle.

Hanna répondit simplement, une étincelle de détermination dans ses yeux :

— Te rendre la pareille.

Layla plissa les yeux en voyant Hanna s’avancer. Cette lumière éclatante qui émanait de l’ange contrastait avec l’obscurité environnante, enveloppant la scène d’une aura presque irréelle. Les chasseurs infernaux, d’abord hésitants, recommencèrent à avancer, leurs grognements reprenant de l’intensité.

Hanna leva les bras, sa lumière atteignant son apogée. Une onde de pure énergie jaillit, frappant les chasseurs de plein fouet. Deux d’entre eux s’effondrèrent, leurs hurlements se mêlant à la vibration qui fit trembler le sol. Layla resta figée un instant, observant avec un mélange de surprise et de méfiance.

— Pas mal, murmura-t-elle en essuyant le sang sur sa joue. Mais ne te laisse pas emporter par ton héroïsme, princesse. Ce n’est pas fini.

Comme pour appuyer ses paroles, un rugissement plus puissant que les autres retentit. Une silhouette massive émergea de l’ombre : un chasseur infernal plus grand, plus féroce, et manifestement le chef de cette meute. Ses yeux rougeoyaient comme des braises, et sa voix rauque résonna dans la nuit.

— Deux femmes désespérées contre l’Enfer tout entier ? Pathétique.

Layla ne put retenir un sourire en coin. Elle serra sa dague plus fort, se mettant en position de combat.

— Bienvenue dans notre club, répondit-elle sèchement.

Hanna ne dit rien, mais la lumière autour d’elle devint plus intense. Elle jeta un regard à Layla, et pour la première fois, il y avait une étincelle de confiance mutuelle dans leurs échanges silencieux.

— Toi, l’ange, grogna Layla. Si tu veux vraiment "me rendre la pareille", alors tiens-toi prête. Ce sera toi ou moi.

Hanna hocha simplement la tête, s’élevant légèrement dans les airs. Ensemble, elles affrontèrent la créature dans un éclat de lumière et de ténèbres mêlées, leurs forces opposées fusionnant dans un combat aussi chaotique qu’hypnotisant.

Le sol trembla, l’air se chargea d’une tension électrique, et dans ce tumulte, quelque chose changea imperceptiblement entre elles. Ce n’était pas seulement une lutte contre l’ennemi – c’était un affrontement contre leurs propres peurs, leurs propres doutes. Et, peut-être, le début d’une alliance improbable.