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La Saga Crave

Au bord du gouffre

Debout sur le tarmac, je regarde l'avion à bord duquel je suis censée embarquer en faisant de mon mieux pour ne pas péter les plombs.

Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.

Et pas seulement parce que je suis sur le point de laisser ma vie entière derrière moi , ême si c était ma préoccupation majeur il y a encore 2 minutes. Non: dans l'immediat, c'est la vue de ce tas de ferraille déguisé en avion qui me fait paniquer.

-Alors, Grace?

L'homme que mon oncle Finn a envoyé me chercher me gratifie d'un sourire patient. Il s'appelle Philip, il me semble. Je ne suis pas sûre. C'était dur de l'entendre pardessus les battements affolés de mon cœur.

-Parée pour l'aventure ?

Non. Non, je ne suis absolument pas parée... ni pour l'aventure, ni pour quoi que ce soit d'autre.

Si quelqu'un m'avait annocé voilà un mois que je me retrouverais bientôt a l'aeroportde Fairbanks, en Alaska, je lui aurais répondu qu'il etait mal infomé.Et si il avait ajouté que je quitterais cet aeroport à bord du plus petit coucou du monde à destination de l'endroit le plus perdu du continent-en l'occurrence, une ville située au pied du Denali, la plus haute montagne d'Amérique du nord-, je lui aurais carrément ri au nez.

Mais trente jours suffisent à changer une vie. En trente jours, on peut tout perdre.

La seule certitude qui me reste après ces dernières semaines, c'est que même une situation désespérée peut encore empirer.

chapitre 0 et 1

...Chapitre 0...

𝑨𝒖 𝒃𝒐𝒓𝒅 𝒅𝒖 𝒈𝒐𝒖𝒇𝒇𝒓𝒆

Debout sur le tarmac, je regarde l'avion à bord duquel je suis censée embarquer en faisant de mon mieux pour ne pas péter les plombs.

Ce qui est plus facile à dire qu'à faire.

Et pas seulement parce que je suis sur le point de laisser ma vie entière derrière moi , ême si c était ma préoccupation majeur il y a encore 2 minutes. Non: dans l'immediat, c'est la vue de ce tas de ferraille déguisé en avion qui me fait paniquer.

-Alors, Grace?

L'homme que mon oncle Finn a envoyé me chercher me gratifie d'un sourire patient. Il s'appelle Philip, il me semble. Je ne suis pas sûre. C'était dur de l'entendre pardessus les battements affolés de mon cœur.

-Parée pour l'aventure ?

Non. Non, je ne suis absolument pas parée... ni pour l'aventure, ni pour quoi que ce soit d'autre.

Si quelqu'un m'avait annocé voilà un mois que je me retrouverais bientôt a l'aeroportde Fairbanks, en Alaska, je lui aurais répondu qu'il etait mal infomé.Et si il avait ajouté que je quitterais cet aeroport à bord du plus petit coucou du monde à destination de l'endroit le plus perdu du continent-en l'occurrence, une ville située au pied du Denali, la plus haute montagne d'Amérique du nord-, je lui aurais carrément ri au nez.

Mais trente jours suffisent à changer une vie. En trente jours, on peut tout perdre.

La seule certitude qui me reste après ces dernières semaines, c'est que même une situation désespérée peut encore empirer.

...ΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩΩ...

...Chapitre 1...

...𝑨𝒕𝒕𝒆𝒓𝒓𝒊𝒓, 𝒄'𝒆𝒔𝒕 𝒔𝒆 𝒋𝒆𝒕𝒆𝒓 𝒂𝒖 𝒔𝒐𝒍 𝒆𝒏 𝒆𝒔𝒑𝒆̄𝒓𝒂𝒏𝒕 𝒏𝒆 𝒑𝒂𝒔 𝒍𝒐𝒖𝒑𝒆𝒓 𝒔𝒐𝒏 𝒄𝒐𝒖𝒑...

-Là-bas ! S'écrie Philip tandis que nous survolons des pics enneigés.

D'une main, il lâche son manche a balai pour m'indiquer des bâtiments dans le lointain.

-Bienvenu à Healy, Alaska !

-waouh ! Cette ville a l'air...

Très petite. Vraiment, vraiment minuscule. Bien moins étendu que mon quartier de San Diego.

Je ne vois pas grand-chose d'ici, cela dit. Non seule-ment la ville est tapie dans l'ombre des montagnes qui la dominent comme autant de titans oubliés, mais en plus on vole dans un genre de pénombre bizarre que Philip s'obs-tine à appeler le crépuscule (alors qu'il est à peine cinq heures).

Néanmoins, si mes yeux ne me trompent pas, cette prétendue ville n'est qu'un amas de bâtiments mal assortis.

-très intéressante, je termine.

Ce n'est pas l'adjectif qui m'est venu d'emblée à l'esprit pour décrire l'endroit (<< enfer glacé » m'avait paru plus approprié), en tout cas, c'est le plus poli. Philip amorce la descente; je me prépare à ajouter un affreux accident

À la longue liste de tout ce qui m'est arrivé d'horrible depuis que j'ai embarqué à bord de mon premier avion (celui de Philip étant le troisième), dix heures plus tôt

Je viens tout juste de repérer ce qui fait office d'aéropor dans cette ville de mille habitants (merci, Google) quand Philip me dir:

La piste est très courte parce que sinon elle serait impossible à dégeler. L'atterrissage va être rapide, alors accroche-toi!

Je n'ai aucune idée de ce qu'est un atterrissage rapide. routefois ca ne m'inspire pas du tout confiance. Il y a une

barre à l'intérieur de la portière de la cabine, prévue pour ce genre de situation. je parie. Je my agrippe de toutes mes forces. Nous perdons de l'altitude.

OK, jeune Alle. Rien ne va plus! s'exclame Philip. et je range sa dans le top 5 des pires phrases à étre jamais sorties de la bouche d'un pilote en plein atterrissage.

La piste fonce à notre rencontre, blanche et dure Je ferme fort les yeux.

Quelques secondes plus tard, le train d'atterrissage rebondit sur le tarmac. Philip freine si brusquement que mon crane aurait explosé sur le tableau de bord si ma ceinture ne m'avait pas retenue. L'avion gémit - je ne sais pas si ça vient d'un endroit en particulier ou si c'est l'appa. reil tour entier qui pousse son chant du cygne. Je m'efforce

de l'ignorer. Voilà qu'on dérape vers la gauche.

Je me mords la lèvre, garde les yeux résolument fermés et essaie d'empêcher mon coeur de bondir hors de ma poitrine. Si c'est la fin, je n'ai aucune envie de la regarder en face.

Je me demande si mes parents ont vu leur mort arriver. Le temps que je chasse cette pensée, l'avion s'arrête en vibrant.

J'ai ma réponse, à présent. Je tremble de tout mon corps. de la racine des cheveux aux orteils.

J'ouvre enfin les yeux. Par politesse, je me retiens de palper mon corps pour vérifier s'il est toujours entier. Philip rit.

J'ai tout fait comme ils disent dans le manuel de pilotage!

Peut-être que son manuel est en fait un roman d'épου-vante? Ou qu'il l'a lu à l'envers?

Sans répondre, je lui offre le plus beau sourire dont je suis capable et attrape le sac à mes pieds pour en sortir la paire de gants qu'Oncle Finn m'a envoyée. Je les enfile. ouvre la porrière et saute à terre en priant pour que mes

genoux supportent mon poids sans broncher. Ils tiennent. Tout juste, mais ils tiennent.

Je reprends mon souffle le temps de serrer mon manteau autour de moi (il doit faire moins quinze). Une fois certaine que je ne risque pas de tomber dans les pommes, je me dirige vers l'arrière de l'avion pour récupérer les trois valises qui contiennent toute ma vie, ou plutôr, ce qu'il en reste.

Ça me fait un choc de les revoir. Bon, le moment est mal choisi pour repenser à ce que j'ai dû laisser derrière moi, ou au fait que des inconnus habitent désormais dans la maison de mon enfance. Après tout, j'ai perdu bien plus que mon matériel à dessin, bien plus que ma batterie ado-rée. Bien plus qu'une maison.

Tant bien que mal, j'empoigne une des trois valises dans la soute et la pose sur le sol. Avant que je puisse prendre la deuxième. Philip soulève les deux autres comme si elles étaient remplies de plumes.

-Viens, Grace. Allons-y avant que tu te transformes en glaçon.

M'indique un parking (même pas un bâtiment un parking) à une centaine de mètres. Je me retiens de grogner. Il fait si froid... Ce n'est plus à cause de la fraук de l'atterrissage que je tremble. Comment font les pr pour vivre ici? C'est surréaliste ce matin, à mon revelle thermomètre affichait vingr degrés.

Ai-je le choix? le saisis ma valise par la poignér n la traîne vers la bande de béton qui constitue sans doute l'aéroport de Healy. On est bien loin des terminaux bondis de San Diego.

Philip me rattrape vite, une valise dans chaque main Alors que je m'apprête à lui dire qu'il peut utiliser les sou lettes, je comprends dès qu'on quitte la piste pourquoi préfère les porter il va de la neige partout, impossible de faire rouler des valises là-dessus.

Malgré mon épais manteau et mes gants en fausse four rure, je suis frigorifiée avant même d'avoir parcouru la moitié du parking. J'ignore comment je suis censée effec tuer la dernière partie du voyage jusqu'à l'internat dom mon oncle est le directeur. Avant que je puisse demander à Philip s'il y a des Uber par ici, une silhouette émerge de derrière un camion et court à ma rencontre.

Je crois que c'est Macy, ma cousine, sans en être cer-raine: elle est emmaillotée des pieds à la tête dans une com binaison protectrice.

Tu es là! s'écrie la pile ambulante de bonnet,

d'écharpes et de manteaux.

Oui c'est bien Macy.

-Je suis là, je confirme tout en me demandant s'il est trop tard pour envisager un placement en famille d'accueil. Ou l'émancipation. Peu importe ce qui me permettrait de rester à San Diego, ça doit valoir mieux que de vivre dans une ville dont l'aéroport consiste en une unique piste

et un minuscule parking. Hesther va hurler quand je lui raconterai

Enfin ajoute Macy. -

Elle tente de m'enlacer, ce qui est un peu compliqué comme mantœuvre vu qu'elle porte trois mille couches de vêtements. En plus, même si elle a seize ans et moi dix-sept. elle fait une tête de plus que mol.

-Ça fait plus d'une heure que j'attends!

Je la serre contre moi.

-Désolée, mon avion a cu du retard à Seattle. Une

tempête nous empéchait de décoller.

Elle grimace.

Quais, ça arrive souvent. La météo là-bas est encore

pire que la nôtre !

J'ai envie de protester ici, tout est enfoui sous des kilomètres de neige et les gens portent des combinaisons prorectrices qu'envieraient les astronautes. Mais je ne connais pas très bien ma cousine et je ne veux surtour pas la vexer. À part Oncle Finn et Philip, c'est la seule personne qui m'est familière ici.

Ainsi que la seule famille qui me reste.

Je me contente de hausser les épaules,

Ça semble la satisfaire: elle me sourit avant de se tourner vers Philip, qui porte toujours mes valises.

-Merci d'être allé la chercher. Phil! Papa m'a chargée

de te dire qu'il te doit un pack de bière.

-Pas de souci, Mace. J'avais quelques courses à faire

à Fairbanks de toute façon, répond-il avec naturel, comme si effectuer un vol de deux cents kilomètres n'avait rien d'exceptionnel.

De fait, il doit avoir l'habitude, étant donné qu'il vit encerclé par des montagnes enneigées. D'après Wikipedia,

Il n'y a qu'une seule route qui mène à Healy, et elle est pa fois fermée l'hiver.

Ca fair un mois que j'essaie de m'imaginer ce que c'est de vivre comme ça, aussi isolé, le ne vais pas tarder à le savoir - li re apportera vendredi avant le match, acute Macy avant de se tourner vers mol. Papa regrette de te pas avoir pu venir t'accueillir. Grace. Il y a eu une urgence à l'école et personne d'autre ne pouvait s'en occuper. Il m's

demandé de le prévenir dès qu'on arrive. Tinquiète, je souffle.

Qu'est-ce que je pourrais répondre d'autre? De toute facon, depuis que mes parents sont morts, j'ai du mal à accorder de l'importance à ce genre de tracas je m'en fiche qu'on vienne m'accueillir ou pas, tant que l'arrive à desti. nation. Et je m'en fiche de l'endroit où j'habite. Où que ce soit, mes parents ne m'y attendront pas.

Philip nous accompagne jusqu'au bout du parking pose mes valises. Macy l'embrasse ; je lui serre la main.

-Merci d'être venu me chercher.

-Pas de problème, le suis la si t'as besoin de faire un autre trajet!

Il me fait un clin d'oeil avant de retourner vers son avion. On le regarde s'éloigner, puis Macy saisit les poignées des deux valises et les tire à travers le parking. Elle me fait signe de l'imiter et je m'exécute, ignorant la partie de moj qui rève de rattraper Philip sur le tarmac, de remonter dans son minuscule avion et de le supplier de me ramener à Fairbanks. Ou, mieux, à San Diego.

Certe envie s'intensifie quand Macy me demande: As-tu besoin d'aller aux toilettes? Parce qu'il y a encore une bonne heure et demie de trajet avant d'arriver au lycée.

Une heure et demie Ça me paralt impossible: la ville est si petite qu'on pourrait la traverser en quinze minutes de voi cure. Cela dit, pendant notte vol, je n'ai vu aucun bâtiment suffisamment grand pour héberger tout un pensionnat. Peut-être que le lycée n'est pas à Healy même ?

Je me remémore les montagnes et les rivières qui entourent certe ville de toute part où diable ce voyage imerminable va-t-il s'achever? Et où, exactement, Macy voudrait-elle je soulage ma vessie? On est sur un parking. Ça ira, je réponds après une minute.

Le trajet jusqu'ici m'a déjà pris une journée entière, ce qui, en soi, est une épreuve, mais tandis que je tire ma valise dans la pénombre, avec l'air glacial qui me gifle à chaque pas, tout devient surréaliste. Et plus encore quand je vois Macy se diriger vers une motoneige garée sur le parking Ce n'est pas possible. Ça doit être une plaisanterie. Macy

charge mes valises sur le traîneau qui y est fixé et je com prends que non, c'est très sérieux. Je suis bel et bien sur le point de faire un trajet d'une heure et demie à motoneige, dans le noir, en Alaska, alors que, si j'en crois mon télé phone, il fait moins vingt.

-Il ne manque plus que le Grand Méchant Loup pour compléter le tableau. Quoique, à ce stade, cela serait quasi-ment superflu.

Horrifiée, je regarde Macy arrimer mes valises au tral-neau. Je devrais sans doute lui proposer mon aide, sauf que je n'ai aucune idée de la façon de m'y prendre. Étant donné que je n'ai pas la moindre envie que mes dernières posses-sions soient éparpillées à flanc de montagne, mieux vaut laisser faire l'experte.

-Tiens, ça pourrait t'être utile, me dit Macy en ouvrant un sac qui attendait sur le traincau.

Elle fouille dedans pendant quelques instants avant d'en tirer un pantalon de skiet une écharpe en laine. Rose vid tous les deux : c'était ma couleur préférée quand j'étais gamine. Plus maintenant, néanmoins l'anention de Macy me touche Merci, je murmure, en me forcant à sourire,

Après quelques essais infructueux, je parviens à enfiler le pantalon par-dessus mon calecon long et mon pantalon de pyjama molletonné (c'est le seul pantalon molletonné que je possèdel Sur les conscils de mon oncle, le m'étais changée avant d'embarquer à Seattle. Ensuite, j'observe la facon dont Macy a coroulé son écharpe chamarrée autout

de son cou et de son visage, et je fais pareil, C'est plus difficile qu'il n'y parait de parvenir à couvrir mon nez sans que l'étoffe retombe.

Quand j'y parviens enfin, Macy me tend l'un des casques suspendus au guidon de la moto.

Le casque et isolant, donc il te gardera au chaud.on plus de te protéger en cas d'accident, explique-t-elle. Et il y a une visière pour préserver tes yeux du froid.

Mes yeux peuvent geler? je m'caclame en prenant le

casque, traumatisée d'avance. L'écharpe sur mon visage gêne ma respiration,

Non, tes yeux ne vont pas geler, rigole Macy. Mais la visière t'empêchera de larmoyer, ce sera plus confortable

Ah! OK, je dis en rougissant. Je suis bére.

Mais non!

Macy passe un bras sur mes épaules et m'attire à elle.

C'est toujours un choc d'arriver en Alaska. Tout le monde a besoin d'un temps d'adaptation! Tu verras, tu t'y feras très vite.

Bien que j'en doute, je ne réplique pas. Je ne veux pas me montrer désagréable envers Macy qui fait de son mieux pour me faciliter les choses.

- Je suis désolée que tu aies dû venir ici, continue-t-elle. Enfin, je suis ravie que tu sois là! Mais je suis désolée que ce soit à cause de...

Elle laisse la phrase en suspens.

J'ai l'habitude. Depuis des semaines, mes amis et mes profs marchent sur des œufs. Personne n'a envie de dire les mots à voix haute.

Trop épuisée pour sortir Macy d'embarras, j'enfile mon casque et l'attache.

T'es prête ? me demande Macy.

Ma réponse est la même que quand Philip m'a posé la question à Fairbanks. Non. Pas du tout.

Quais. Parée.

J'attends que Macy s'installe avant de grimper derrière elle.

Tiens-toi à ma taille, crie-t-elle en démarrant.

Je l'agrippe fort. Deux secondes plus tard, nous filons dans l'obscurité qui s'étend à l'infini devant nous.

Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie.

chapitre 2

...Chapitre 2...

...Vivre dans une tour ne fait pas de toi un prince charmant...

Le trajet n'est pas aussi terrible que prévu.

Soyons clairs: il n'est pas de tout repos, mais c'est surtout dû au fait que j'ai passé la journée dane des avions et que je rêve d'arriver enfin à destination, peu importe laquelle.

Et si cette destination est au chaud et à l'abri des ani-maux sauvages dont j'entends les hurlements au loin, tant mieux. Tout le bas de mon corps est engourdi.

Je suis occupée à essayer de réveiller mes fesses glacées lorsque nous quittons la piste (si on peut appeler ça une piste) et entamons notre ascension jusqu'à un plateau à flanc de montagne. Après plusieurs virages entre des arbres, j'aperçois des lumières.

-C'est le lycée Katmere? je crie.

-Ouais.

Macy ralentit pour slalomer entre les troncs.

-On y sera dans cinq minutes.

Tant mieux. Je vais finir par perdre un orteil, ou trois, si ça continue. Même si on m'avait prévenue qu'il ferait froid en Alaska, je ne m'attendais pas à ce qu'il fasse aussi froid.

Un énième rugissement rerentit dans le lointain tan que nous traversons un bosquet, mais j'ai dû mal à me concentrer sur autre chose que l'énorme bâtiment qui se dresse devant nous.

Enfin, plutôt l'enorme château qui bouche l'horizon. Ce bâtiment n'a rien de moderne il ne ressemble à aucun lycée de ma connaissance. J'ai essayé de faire des recherches avant de venir, mais apparemment le lycée Katmere est si élitiste que même Google n'en a jamais entendu parler.

C'est un château gigantesque et super étendu. Vu d'ici. on dirait que ses remparts font le tour de la montagne.

Et il est élégant. Très, très élégant, le genre d'architec-ture dont j'ai lu des descriptions en cours sans jamais avoir pu l'admirer en vrai. Toute la structure est faite d'arches. d'arcs-boutants et d'immenses vitraux baroques,

Tandis que nous nous approchons, j'aperçois des gar-gouilles des gargouilles! - perchées sur les remparts. Sans rire, je m'attends presque à être accueillie par Quasimodo.

Macy s'arrête devant un imposant portail et pianote un code sur un clavier. Le portail s'ouvre. Et on se remet en chemin.

Je trouve la situation de plus en plus absurde. J'ai l'im-pression de débarquer dans un film d'horreur ou un tableau

de Dali. Bon, d'accord, ce lycée est un château gothique, mais au moins il n'a pas de douves, je me dis pendant que nous traversons un énième bosquet d'arbres. Et pas de dragon cracheur de feu pour garder l'entrée.

Juste une longue allée pareille à toutes les allées d'accès à n'importe quel internat privé que j'ai vu à la télé, à part que celle-ci est enneigée, ce qui n'est pas une surprise. Et qu'elle mène aux immenses portes ouvragées du lycée.

Des portes centenaires.

Des portes de château.

Je secoue la tête pour me remettre les idées en place, Sérieusement, c'est ça, ma vie?

-Je t'avais dit que ça irait, lance Macy en s'arrêtant dans une gerbe de poudreuse. On n'a même pas croisé de loup. Ni le moindre caribou!

J'acquiesce comme si je ne me sentais pas toralement dépas-sée par les événements. Comme si mon estomac ne s'était pas changé en boule de noœuds er que mon monde ne venait pas d'être bouleversé pour la deuxième fois en un mois.

En bref: j'acquiesce comme si tout allait bien.

-Viens, on va monter tes valises et t'installer dans ta chambre. Comme ça, tu pourras te reposer.

Macy descend de la motoneige, retire son casque et son bonnet. Je souris à la vue de sa chevelure arc-en-ciel. Après trois heures sous un casque, ses cheveux courts devraient être tout aplatis, or on jurerait qu'elle vient de se faire un brushing.

Ce qui s'accorde à ravir au reste de son apparence: pan-talon de ski hyper seyant, veste et bottines assorties. On pourrait la prendre comme mannequin pour un reportage sur la mode au cœur de l'Alaska sauvage.

Moi, en revanche, je dois avoir l'air de sortir d'un combat de boxe contre un caribou énervé. Un combat que j'ai perdu en un round: défaite par K.-O. Ça illustre à mer-veille mon état d'esprit.

Macy décharge mes valises. J'en soulève deux, fais quelques pas vers le château et m'immobilise, hors d'haleine.

-C'est le mal des montagnes, m'explique Macy en m'en prenant une des mains. On est montées très vite et tu viens du niveau de la mer. Tu vas mettre quelques jours à t'habituer au manque d'oxygène à cette altitude.

Sous mon souffle court, la crise de panique que je refoule depuis le matin menace. Je ferme les yeux, inspire aussi profondément que j'en suis capable et je lutte.

Inspire, compte jusqu'à cinq. expire. Inspire, compte jusqu'à dix, expire. Inspire, compte jusqu'à cinq... Comme la mère de Heather me l'a montré. Mme Blake est psychothérapeute et elle m'a donné des astuces pour gérer mon angoisse depuis la mort de mes parents.

Malgré ses conseils, je ne sais pas si je serai de taille à affronter la situation actuelle.

Bon, je ne peux pas rester éternellement dans le froid, aussi figée que les gargouilles qui m'épient. L'inquiétude de Macy croit avec chaque seconde qui passe, pas besoin d'être un génie pour s'en rendre compte.

Je prends une dernière inspiration et rouvre les yeux, me forçant à sourire à ma cousine.

-Si je fais semblant que tout va bien, ça finira par être vrai, non?

-Ça va bien se passer, répond-elle, les yeux pleins d'empathie. Reprends ton souffle à ton aise. Je vais porter tes bagages à l'intérieur.

-Je peux le faire.

-Non, sérieusement, laisse. Attends deux minutes. dit-elle en levant la main pour me freiner dans mon élan. Il n'y a pas le feu au lac.

Son ton est suppliant, alors je m'incline. Je l'observe qui monte mes valises une à une et les pose devant la porte. Une tache de couleur attire mon regard.

C'est si fugace que je crois d'abord l'avoir imaginée. Puis j'aperçois de nouveau un éclair rouge à une fenêtre de la plus haute tour.

Je n'ai aucune idée de qui ça peut être, mais je continue à scruter la tour. Fixement. Patiemment. Dans l'espoir qu'il va réapparaître.

Et il réapparaît.

Je ne vois pas bien c'est loin, il fait sombre et la vitre déforme la silhouette, toutefois je distingue une mâchoire volontaire, une tignasse noire et une veste rouge dans une salle illuminée.

Ce n'est pas grand-chose. Je ne sais pas pourquoi certe ombre retient autant mon attention, mais quand je détourne enfin les yeux, Macy a eu le temps de transporter mes trois valises jusqu'à l'entrée.

-Prête pour un nouvel essai ? me crie-t-elle.

-Ouais, bien sûr !

Je gravis la trentaine de marches restantes en me forçant à oublier mon vertige. Le mal des montagnes... encore un souci que je n'aurais jamais eu à San Diego.

Je jette un dernier coup d'œil à la fenêtre. La silhouette a disparu. Bizarrement, ça me déçoit. Ce qui n'a pas de sens: j'ai des soucis bien plus urgents.

-Cet endroit est incroyable, je m'exclame tandis que ma cousine ouvre l'un des deux battants.

Bon sang! Moi qui trouvais le château impressionnant vu de l'extérieur, avec ses voûtes et ses pierres de taille... L'intérieur me donne envie de faire la révérence, voire carrément de me prosterner. Waouh. C'est tour ce que j'ai à dire: waouh.

Je ne sais pas où regarder le lustre de cristal noir sus-pendu au haut plafond, ou bien l'énorme cheminée dans laquelle gronde un feu ardent?

Je me dirige finalement vers la cheminée, attirée par sa chaleur. Et parce qu'elle est magnifique: son manteau est décoré de bas-reliefs et de vitraux qui reflètent la lueur des flammes dans toute la pièce.

-C'est cool, non? dit Macy derrière moi.

-Super cool, j'acquiesce. Ce lieu est...

-magique, oui. Tu veux aller explorer?

Er comment ! Si je ne suis toujours pas emballée par cette histoire d'internat alaskien, en revanche, la perspective de visiter le château me séduit infiniment. Je veux dire, c'est un château, avec des murs en vieille pierre, recouverts de tapisseries chatoyantes que j'aimerais contempler à loisir. Mais Macy m'entraîne déjà vers une sorte de salle commune.

Seule ombre au tableau plus on s'enfonce dans les entrailles du lycée, plus on croise d'autres élèves. Cer-tains, réunis en petits groupes, discutent et rient, d'autres occupent quelques-unes des tables en bois de la pièce et lisent ou consultent leurs portables. Au fond de la salle, affalés sur des canapés rouge et doré, six garçons jouent sur une X-Box reliée à un énorme écran plat, sous l'œil d'une poignée d'élèves.

En m'approchant, je me rends compte que ce n'est pas le jeu qu'ils regardent. Et que ceux qui paraissent lire ne lisent pas vraiment. Pas plus que ceux qui feignent d'être absorbés par leurs téléphones. Non, c'est moi qu'ils observent tandis que je suis Macy au centre de la pièce. La gorge serrée, je baisse la tête pour cacher mon malaise. Je comprends que tout le monde soit curieux de voir la nouvelle (la nièce du directeur, en plus!), cependant ça ne m'aide pas à suppor-ter le poids de tous ces regards. Surtout avec mes cheveux aussi décoiffés par le casque de motoneige.

Quand nous quittons enfin la pièce, je m'exclame,

soulagée:

-Il est dingue, ton lycée.

-C'est aussi le tien, désormais, me rappelle ma cou-sine avec un sourire.

-Oui, mais...

Je viens d'arriver. Et je ne me sens pas du tout à ma place.

-Mais répète-t-elle, les sourcils haussés.

-C'est... beaucoup à la fois.

Je lève la tête vers les magnifiques vitraux qui nous dominent et les moulures qui décorent le plafond voûté.

-Certes, dit-elle en ralentissant le pas pour que je la rattrape. Mais c'est chez nous.

-Chez toi, ie chuchore, en essayant de ne pas penser à tout ce que j'ai laissé derrière moi, la maison où, à parn les clochettes que ma mère avait accrochées à l'entrée, tour érait si normal que c'en était presque ennuyeux.

-Chez nous, insiste-t-elle en dégainant son téléphone. Tu verras. Au fait, mon père voulait savoir quel genre de chambre tu préférais.

-Comment ça ?

Je regarde autour de nous, prête à voir surgir des fan-tômes, ou déambuler des armures.

-Eh bien, toutes les chambres simples ont déjà ére attribuées pour le semestre. Papa dit qu'il pourrait déplacer quelqu'un pour t'en trouver une. Mais moi, j'espérais que tu partagerais la mienne.

Elle esquisse un sourire timide qui s'efface très vite.

-Cela dit, je comprendrais que tu souhaites être seule après...

La voilà qui marche à nouveau sur des cœufs. Ça m'énerve quand les gens font ça. D'habitude, je passe outre. Pas là.

-Après quoi?

J'ai envie que quelqu'un le dise à voix haute, pour une fois. Pour rendre le tout plus réel, moins cauchemardesque. Macy devient aussi blanche que la neige au-dehors.

Je suis injuste d'en attendre autant d'elle.

-Désolée, chuchote-t-elle.

Elle a l'air au bord des larmes, et il n'est pas question qu'elle pleure. Surtout pas. Sinon je n'arriverai plus à me

retenir-seul mon sens du sarcasme et ma capacité à com-partimenter m'empêchent d'éclater en sanglots, et je ne veux pas craquer. Pas ici, devant ma cousine, dans ce couloir où n'importe qui pourrait passer. Et pas maintenant, alors que tout le lycée me dévisage comme si je m'étais échappée d'un zoo.

Alors plutôt que de serrer Macy dans mes bras comme j'en rève, plutôt que de penser à tout ce qui me manque. mon chez-moi, mes parents, ma vie d'avant, je lui souris.

-Et si tu me montrais notre chambre ?

Une lueur ravie se mêle à l'inquiétude dans ses yeux.

-Notre chambre? Vraiment?

Je soupire en mon for intérieur et dis au revoir à mon rève de solitude. Mais tant pis, j'ai perdu infiniment plus au cours du mois écoulé qu'une chambre à moi.

-Oui! J'adorerais partager une chambre.

Je l'ai déjà presque fait pleurer aujourd'hui, ce qui n'est pas mon style. Pas plus que je ne veux chasser quiconque de sa chambre. Non seulement ce serait grossier, mais en plus ce serait du népotisme de la part d'Oncle Finn, et le plus sûr moyen de me mettre les autres élèves à dos, ce que je veux éviter à tout prix.

-Génial! s'écrie Macy en se jetant à mon cou.

Ensuite elle vérifie son téléphone et lève les yeux au ciel.

-Papa ne m'a toujours pas répondu. Il ne regarde jamais son téléphone. Attends-moi ici, je vais aller le chercher. Il voulait que je le prévienne dès notre arrivée.

-Je peux t'accompagner...

-Grace, assieds-toi, s'il te plaît.

Elle m'indique des fauteuils rustiques nichés dans une alcôve à droite de l'escalier. Ils font face à une table d'échecs.

-Tu es épuisée, repose-toi une minute. Je m'occupe de tout.

Vrai que j'ai mal à la tête et que je me sens toujoun oppressée. acquiesce et me laisse tomber dans un fauteuil. J'aimerais fermer brièvement les yeux, mais je crains de m'endormir. Je ne veux pas que quelqu'un surprenne la nouvelle se bavant dessus dans son sommeil le jour de son arrivée... Ni n'importe quel autre jour, d'ailleurs!

Pour me forcer à garder les yeux ouverts, je prends une pièce d'échecs. En marbre finement sculpté, elle figure... un vampire! C'est une œuvre exquise, chaque détail est parfaitement rendu: la cape noire, les lèvres retroussées, les canines... Le tout est tellement en harmonie avec l'atmo sphère de ce château gothique que je ne peux pas m'empê-cher de sourire.

Intriguée, je soulève une autre pièce. Et retiens à grand-peine un éclat de rire quand je découvre que c'est un dra-gon, féroce et royal, les ailes déployées. Il est magnifique.

Le jeu tout entier est sublime.

J'étudie un autre dragon. Celui-ci est moins féroce, plus délicat, avec ses yeux mi-clos et ses ailes repliées. Je l'exa-mine attentivement, fascinée par le talent de l'artiste qui l'a créé. Moi qui n'ai jamais été une grande amatrice d'échecs, ces pièces pourraient me faire changer d'avis.

Après avoir reposé le dragon, je soulève la reine vampire. Elle est magnifique, avec sa longue chevelure flottante er sa cape aux motifs recherchés.

-Attention à celle-là. Ça lui arrive de mordre.

La voix grave et rauque est si proche que je manque de tomber de mon siège. Je saute sur mes pieds, lâche la pièce et fais volte-face. Le cœur battant, je me retrouve nez à nez avec le garçon le plus intimidant que j'aie jamais rencontré. Outre le fait qu'il est sacrément canon, il possède une sorte d'aura, il émane de lui quelque chose de puissant, de diffé-rent, que je ne parviens pas à qualifier. Son visage m'évoque

celui d'un poète romantique du XIX siècle, trop tourmenté pour être réellement beau, mais trop marquant pour ne pas vous hanter.

Des pommettes saillantes.

Des lèvres rouges et charnues.

Une mâchoire carrée.

Une peau d'albâtre dépourvue de tout défaut.

Et ses yeux... Des obsidiennes sans fond qui voient tout et ne montrent rien, ourlées de cils scandaleusement longs.

Ces yeux qui savent tout sont braqués sur moi... L'idée qu'il devine ce que je m'efforce de dissimuler depuis si longtemps m'emplit de panique. Je tente de me dérober, mais c'est impossible: je suis piégée par son regard, hypno-

tisée par son magnétisme. J'avale ma salive pour me ressaisir.

Ça ne fonctionne pas.

Et le voici qui sourit, un petit sourire du coin des lèvres, qui me remue jusqu'au tréfonds de mon être. Et, pire, qui me dit que ce garçon a conscience de l'effet qu'il me fait. Et, surtout, qu'il s'en délecte.

Soudain, un accès de colère me sort de la léthargie dans laquelle je suis depuis la mort de mes parents, me réveille de cet état d'hébétude qui seul me retenait de hurler jour après jour contre l'injustice du sort, contre la douleur, l'horreur, l'impuissance qui dominent désormais ma vie.

Ce n'est pas une sensation agréable. Et le fait que ce soit ce garçon qui la déclenche, ce garçon au sourire narquois et aux yeux glacés qui refusent de lächer prise, m'exaspère d'autant plus.

C'est cette colère qui me donne finalement la force de rompre le contact. Je cherche désespérément quelque chose sur quoi me concentrer, n'importe quoi...

Malheureusement, il se tient si proche qu'il me bouche la vue.

Déterminée à ne plus le regarder dans les yeux, je laisse mon regard glisser sur son corps mince et élancé, et m'en mords aussitôt les doigts: son tee-shirt moulant souligne son ventre plat et ses biceps saillants. Sans parler de ses larges épaules qui masquent mon horizon.

Ajoutez à ça l'épaisse chevelure sombre, un peu trop longue, qui effleure ses pommettes sublimes, et vous comprendrez pourquoi je craque. Je dois l'admettre : peu importe son sourire odieux, ce garçon est sexy à crever.

Un peu malsain. Pas mal excentrique. Complètement dangereux.

J'en ai le souffle coupé, ce qui décuple ma fureur. Soyons sérieux deux secondes depuis quand je suis devenue l'hé-roïne d'un roman à l'eau de rose? La nouvelle qui tombe en påmoison devant le garçon le plus beau et le plus téné-breux de l'école?

Il n'en est pas question, c'est bien trop cliché.

Pour tuer dans l'œuf les débuts de quelque histoire que ce soit, je me force à le dévisager à nouveau. Cette fois, quand nos regards se croisent, je comprends que ça n'a aucune importance si je me comporte en midinette.

Parce qu'il n'a absolument rien d'un héros romantique. Ce type sombre aux yeux impénétrables et à l'attitude arrogante n'est le héros de personne. Et surtout pas le mien

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