La réception battait son plein. Le grand hall du manoir était baigné dans une lumière chaude, éclairée par des chandelles qui dansaient doucement, créant des ombres élégantes sur les murs. La musique flottait en arrière-plan, s'intensifiant au fil des conversations animées et des rires qui résonnaient à travers les couloirs. Les invités se mêlaient dans une atmosphère de luxe et de raffinement, mais pour Luc, PDG d’une entreprise prospère, rien ne captait son attention autant que la silhouette d'Aurora. Cette femme, qu’il aimait depuis l'enfance, était le centre de son univers.
Il l’avait observée toute la soirée, charmante et gracieuse, vêtue d’une robe blanche éclatante qui accentuait sa beauté pure et innocente.
Luc n’avait d’yeux que pour elle, sa conviction qu’elle était la même fille qu’il avait perdue des années auparavant ne fléchissait pas. Les souvenirs de son enfance étaient flous, déformés par le temps, mais depuis qu’il l’avait retrouvée, il n’avait plus de doute. C’était elle. La petite fille qu’il avait toujours recherchée. Celle qui avait façonné son désir de réussir, celle qui l’avait poussé à devenir ce qu’il était aujourd’hui. Son chevalier, son bouclier, son épée.
Luc se redressa et ajusta sa cravate. Il se dirigea vers le centre de la salle, où les invités s’étaient rassemblés autour du buffet somptueux. Nox, un jeune homme discret mais toujours présent dans son entreprise, se trouvait un peu plus loin. Son regard semblait à la fois lointain et empreint de tristesse, comme s'il observait sans vraiment participer. Malgré son apparence professionnelle, Luc ne pouvait ignorer cette étrange sensation que lui procurait la présence de Nox. Quelque chose dans son comportement, sa distance subtile, le perturbait. Il se sentait tiraillé par une curiosité inconfortable.
Lorsqu'Aurora s'éloigna un instant, Luc la suivit du regard. Elle sortit avec Nox, qui esquissait un sourire gêné. Luc se dit qu’elle devait simplement être gentille, qu’elle avait dû vouloir rendre service en parlant à cet homme qui semblait toujours seul. Mais ce n’était pas ça qui allait longtemps retenir son attention.
Un bruit perça soudainement l’atmosphère festive. Un bruit assourdissant, comme si quelqu’un venait de tomber dans l’eau. L'alerte se répandit rapidement parmi les invités, qui se précipitèrent vers l’extérieur. Luc, inquiet, s’élança à leur suite. C’était Aurora. Elle était tombée à l'eau. Instinctivement, il se précipita dans la piscine, sans réfléchir, prêt à la sauver comme il l’aurait fait enfant.
Il plongea, saisit Aurora dans ses bras, la tira hors de l’eau, la serrant contre lui, la rassurant d’un murmure doux. Il lui enfila rapidement sa veste pour la couvrir, alors que sa robe mouillée devenait presque transparente. Mais au même moment, Nox, qui peinait à grimper sur le rebord de la piscine, attira l'attention de Luc, sans qu'il ne le remarque véritablement. Il sentit une étrange colère naître en lui, à l’entente de murmures qui circulaient. Certains disaient que Nox avait poussé Aurora dans la piscine.
Nox, ce jeune homme toujours à la recherche de son approbation, qui semblait l’observer avec insistance, qui paraissait vouloir être plus que ce qu’il était. Luc avait toujours mis cette insistance sur le compte d’une certaine admiration. Mais aujourd’hui, il commençait à comprendre.
Nox toussa, cherchant à reprendre son souffle, mais Luc n’eut même pas un regard pour lui. Ses yeux étaient fixés sur Aurora, qui semblait à la fois perdue et inquiète, mais aussi presque émerveillée par celui qui l’avait sauvée. La foule murmurait autour d’eux, tous les regards rivés sur eux, sur lui, le héros de la soirée.
Dans un geste protecteur, Luc prit Aurora dans ses bras et la porta loin de l’eau, cherchant à la mettre à l’abri des regards curieux. Mais en posant son regard derrière lui, il aperçut Nox, trempé, ses vêtements collés à son corps, ses cheveux dégoulinants d’eau. Une expression de douleur et de frustration déformait son visage. Luc tourna délibérément les yeux. Il ne voulait pas voir cela.
Et pourtant, dans un élan de rage, Luc s’avança vers lui, un verre de vin rouge à la main, ses pas lourds résonnant dans l’espace. Il s’arrêta devant Nox, l’observa de haut et d’un geste brusque, renversa son verre sur la tête du jeune homme. Le vin rouge se déversa en une cascade écarlate, imbibant ses cheveux et ses vêtements. Luc éprouva une satisfaction étrange, un sentiment intense qui n’était pas simplement de la colère. C’était la rage d’avoir vu Nox, ce garçon qu’il considérait comme une menace, tenter de déstabiliser sa vie. Il ne pouvait pas tolérer ça.
"Comment un simple employé comme toi ose-t-il ?", cracha Luc, sa voix froide, tranchante. "Je sais exactement ce que tu veux. Tu me dégoûtes."
Nox, abasourdi, se redressa lentement, ses yeux brillants de tristesse. Il n’émit aucun son, mais Luc pouvait lire la douleur dans son regard. Il le toisa un instant, puis se détourna, emportant Aurora avec lui, laissant Nox là, trempé, son visage marqué par la honte.
Le reste de la soirée se passa dans une brume floue pour Luc. Son esprit était obnubilé par l'image d'Aurora dans ses bras, par les murmures qui s’élevaient autour de lui, mais aussi par une sensation étrange qu'il ne parvenait pas à cerner. Quelque chose semblait lui échapper, une pièce manquante dans un puzzle qu’il n'arrivait pas à assembler.
De retour chez lui, il s’assit dans son bureau, l’esprit tourmenté. Il ouvrit un tiroir et en sortit une petite boîte rouge. Cela faisait un moment qu’il y pensait. Il appela son secrétaire, lui demandant de passer demain avec des fleurs et des présents. Il était prêt. Demain, il ferait sa demande en mariage à Aurora.
Le lendemain, dans ses plus beaux habits, Luc se rendit chez les parents d'Aurora. Bien qu’il n’y soit jamais venu, il avait trouvé l'adresse sans difficulté. Il voulait offrir à Aurora un avenir loin des ténèbres de leur passé, de ces souvenirs douloureux qu’elle semblait fuir.
Lorsque le grand frère d’Aurora, Flavien, ouvrit la porte, Luc fut accueilli avec un sourire chaleureux. Ils s’installèrent dans le salon, et Flavien lui apporta un verre d’eau. Aurora était sortie un instant, mais allait revenir bientôt. Luc observa les photos de famille exposées sur les murs. Flavien, voyant son regard curieux, décida de lui montrer un album photo.
Luc tourna les pages de l’album et son sourire s’effaça soudainement. Ce qu’il voyait ne correspondait pas à ses souvenirs. La petite fille sur les photos n’était pas Aurora. Frénétiquement, il chercha, et sur une seule photo, il aperçut enfin l'enfant qu'il avait connu autrefois. Mais pourquoi ?
"Qui… qui est cette personne ?" demanda-t-il, les mains tremblantes.
Flavien répondit simplement : "Tu parles de mon petit frère."
Luc n’écoutait plus. La vérité l’écrasait. Comment avait-il pu se tromper ainsi ? Ce garçon, ce n'était pas Aurora. Le frère d’Aurora.
"Comment s'appelle ton petit frère ?" articula Luc, la voix brisée.
"Il s'appelle Nox… Pourquoi ?" répondit Flavien, surpris.
La révélation fit l'effet d'une explosion dans l’esprit de Luc. Sans un mot, il se précipita vers la porte, son cœur battant à tout rompre. Il devait voir Nox. Lui demander, tout lui expliquer. Mais alors qu'il allait franchir le seuil, son secrétaire entra précipitamment, le visage pâle.
"Monsieur, il y a eu un accident... Cet employé… il est mort dans un accident de voiture."
Le monde de Luc se fissura en un instant. Nox… mort ? Non, cela ne pouvait pas être vrai. Ce nom résonnait dans sa tête comme un gong sinistre. Tout s'effondrait autour de lui.
Luc se tourna vers la fenêtre, le vide devant lui. Une douleur sourde envahit son être. Il avait tout perdu. Encore une fois.
Et puis, il perdit connaissance.
...****************...
L'obscurité l'enveloppa. Des souvenirs flous, des images qui se déformaient. Il ne comprenait rien, il était perdu dans une mer de confusion. Puis une lumière éclatante.
Luc ouvrit les yeux.
Il se trouvait dans une pièce familière. La même pièce qu'il avait vue il y a des années, juste avant de rencontrer Nox. Mais quelque chose n’allait pas. Il savait déjà. Il savait que ce n’était pas possible.
Il était revenu.
Mais cet espoir s’éteignit instantanément lorsque la porte s'ouvrit et qu'il dû apercevoir Nox.
Luc ouvrit les yeux dans l’obscurité, son souffle court, son corps tremblant de froid. L’air autour de lui était humide et vicié, un parfum de moisissure se mêlant à celui de la poussière. Il se redressa lentement, ses mains effleurant un sol rugueux, glacé. Ce n’était pas sa chambre. Ce n’était pas la maison des parents d'Aurora où il avait perdu connaissance.
"Qu’est-ce que... où suis-je ?", murmura-t-il, sa voix éraillée, résonnant faiblement contre les murs de béton.
Il porta une main à sa tête, tentant de mettre de l’ordre dans ses pensées. La réception, Aurora, Nox... leur mort... tout cela était clair dans son esprit. Mais maintenant ? Pourquoi était-il ici ? Pourquoi tout semblait-il soudain familier et étranger à la fois ?
Puis, il se rappela.
Les souvenirs lui revinrent brutalement : cette pièce lugubre, les chaînes accrochées aux murs, les pleurs étouffés d’un enfant... son kidnapping. Il était revenu à cet instant de son passé, mais quelque chose n’allait pas. Quelque chose était différent.
La porte s’ouvrit brusquement, laissant entrer une lumière crue. Une silhouette se dessina dans l’encadrement : une petite fille. Ses boucles brunes cascadaient sur ses épaules, et ses grands yeux verts semblaient scintiller sous la lumière, mais ce n’était pas une lumière de compassion.
Aurora.
Luc la reconnut immédiatement. C’était elle, mais elle était encore enfant.
Elle le fixa avec un mélange de dédain et de mépris.
"Qui es-tu ? Pourquoi es-tu habillé comme un mendiant ?" demanda-t-elle d’une voix aigüe et dédaigneuse, ses bras croisés sur sa poitrine.
Luc baissa les yeux vers ses vêtements et comprit. Il était vêtu d’un vieux t-shirt trop large et de pantalons usés, des habits d’enfant abandonné. Il n’était pas le PDG qu’il avait été, mais un enfant, comme elle.
"Aurora…", murmura-t-il, presque incrédule.
Elle fronça les sourcils. "Comment tu connais mon nom ? Peu importe. Tu ferais mieux de ne pas m’approcher."
Luc sentit son cœur se serrer. Là où il s’était attendu à retrouver Nox, à ressentir ce réconfort qu’il avait connu dans sa première vie, il se retrouvait face à une version miniature d’Aurora, une enfant égoïste et hautaine.
...****************...
Les heures passèrent. Aurora ne lui adressait la parole que pour se plaindre ou exiger quelque chose. Elle refusait de partager l’unique couverture qu’ils avaient, lui lançant un regard méprisant lorsqu’il tentait de se rapprocher pour se réchauffer.
"Si tu veux survivre ici, débrouille-toi," dit-elle sèchement.
Luc serra les dents. Ce n’était pas comme ça que ça s’était passé. Dans sa première vie, il se souvenait de Nox, cet enfant fragile mais courageux, qui l’avait soutenu, qui lui avait donné la force de se battre pour leur liberté. Nox avait partagé ses maigres ressources, l’avait encouragé à tenir bon. Mais Aurora… elle ne pensait qu’à elle-même.
Lorsque l’un des ravisseurs entra, apportant un plateau avec une maigre ration de nourriture, Aurora n’hésita pas à accuser Luc.
"C’est lui qui veut s’échapper," dit-elle en pointant du doigt. "Pas moi. Si vous voulez punir quelqu’un, c’est lui."
Luc sentit un frisson glacé descendre le long de sa colonne vertébrale. Il la regarda avec incrédulité. "Qu’est-ce que tu fais ?" demanda-t-il, sa voix tremblante.
"J'ai de l'argent alors ma famille viendra me chercher comparé à toi," répondit-elle simplement, son ton détaché.
À cet instant, Luc comprit. Aurora n’avait jamais été l’amour d’enfance qu’il avait idéalisé. Elle avait toujours été égoïste, prête à tout pour se sauver elle-même. Une culpabilité écrasante l’envahit. Pendant des années, il avait cru que Nox avait été un obstacle, une erreur dans sa vie. Mais c’était lui, Nox, qui avait été son véritable allié, son véritable amour.
...****************...
Un des ravisseurs, un homme grand et balafré, entra dans la pièce. Il s’approcha de Luc, un sourire cruel étirant ses lèvres.
"Où est l’autre enfant ?" demanda Luc, la colère grondant dans sa voix.
L’homme éclata de rire. "L’autre ? Ah, tu parles de celui qui s’est vendu pour la petite princesse ici ?"
Il saisit Luc par le col, le soulevant légèrement. "Il a dit qu’il resterait sage si on la laissait partir. Un vrai héros, ce gamin."
Le sol sembla se dérober sous les pieds de Luc. Nox. Dans sa première vie, c’était lui qui avait été là, c’était lui qui avait donné à Luc le courage de résister. Mais maintenant ? Nox avait été sacrifié pour Aurora. Pourquoi ?
L’image de l’enfant courageux, de ses yeux brillants de détermination, revint en mémoire à Luc. Il sentit sa respiration se bloquer, un nœud se formant dans sa gorge.
"Pourquoi… Pourquoi les choses sont-elles si différentes ?" murmura-t-il, plus pour lui-même que pour l’homme.
L’homme rit à nouveau avant de quitter la pièce, laissant Luc seul avec ses pensées et une Aurora qui ne semblait même pas réaliser la gravité de la situation.
...****************...
Luc savait qu’il devait agir. Une urgence viscérale pulsait en lui, mêlée à des souvenirs flous qui s’entremêlaient avec sa réalité présente. Son cœur battait à tout rompre, et dans le silence de la pièce sombre, une voix douce et familière résonna dans son esprit.
"Luc... Ne baisse pas les bras. On peut s’en sortir."
Il se retourna brusquement, cherchant la source de cette voix. Dans l’ombre, il crut voir une silhouette frêle, un enfant aux yeux déterminés. Nox. C’était lui, l’image vivante de l’enfant courageux qu’il avait connu dans sa première vie.
"Nox ?" murmura Luc, sa gorge nouée par l’émotion.
Mais lorsque ses yeux s’ajustèrent à l’obscurité, il n’y avait rien. Juste la solitude.
Luc serra les poings, mais les souvenirs continuaient d’affluer. Il voyait Nox se relever malgré la douleur, attraper une barre de fer abandonnée et poser son regard brûlant sur lui avant de s'amocher le bras.
"Je peux le faire, Luc. Crois-moi, on sortira d'ici."
Ces mots semblaient si réels qu’il s’approcha instinctivement du coin de la pièce où la barre de fer était posée. Son cœur se serra à l’idée de ce que Nox avait enduré dans cette première vie. L’image de l’enfant courageux se superposa à son souvenir. Il vit Nox, son bras ensanglanté, son regard plein d’une résolution farouche.
"Je te dois bien ça," murmura Luc en saisissant l’objet froid et lourd.
La barre était rouillée, et son poids lui rappelait la lourdeur de ses erreurs. Il ferma les yeux, et dans le noir, la voix de Nox revenait, comme un guide, comme un reproche doux mais insistant.
"Tu dois te battre, Luc. Si tu restes là, rien ne changera."
Luc inspira profondément. Il leva la barre, la tenant fermement. Un frisson lui parcourut l’échine tandis qu’il imaginait la douleur. Il pouvait presque entendre Nox crier lorsqu’il avait agi ainsi dans leur première vie.
Sans hésiter, Luc abaissa la barre contre son propre bras. Une douleur fulgurante traversa son corps, mais il ne cria pas tout de suite. Il laissa le sang couler, tachant le sol sous lui.
"Nox... as tu eu aussi mal... toi aussi?" murmura-t-il, avant de rassembler toute sa force pour appeler à l’aide.
"À l’aide !" cria-t-il, sa voix brisant le silence oppressant.
...****************...
La porte s’ouvrit brusquement, et Luc s’attendait à voir l’un des ravisseurs. Mais ce ne fut pas le cas. Une autre silhouette apparut dans l’encadrement de la lumière. Un visage familier, plus jeune qu’il ne l’avait jamais vu.
Flavien.
Luc resta figé, ses pensées tourbillonnant entre les souvenirs de sa première vie et cette nouvelle réalité.
"He, petit, est-ce que tu vas bien ?" demanda Flavien, ses yeux remplis d’inquiétude.
Luc sentit son cœur s’emballer. Ce n’était pas logique. Dans sa première vie, Flavien avait sauvé Aurora, mais il n’avait jamais été là pour lui. Pourquoi était-il ici maintenant ?
Les souvenirs de Nox s’imposèrent à nouveau dans son esprit. Il voyait l’enfant qu’il avait aimé, celui qui l’avait inspiré à tenir bon.
"Pourquoi êtes-vous là ? Pourquoi ne l’avez-vous pas sauvé ?" murmura Luc, ses paroles tremblantes et confuses.
Flavien fronça les sourcils, mais avant qu’il ne puisse répondre, Luc sentit ses forces l’abandonner. Le sang qui coulait de sa blessure l’affaiblissait rapidement, et le monde autour de lui commença à vaciller.
Alors qu’il tombait, il vit une dernière fois un mirage de Nox, souriant doucement, comme pour lui dire qu’il avait bien agi, qu’il devait continuer.
"Où es-tu, Nox ?" furent les dernières paroles de Luc avant que son esprit ne sombre dans l’inconscience.
Luc ouvrit les yeux avec difficulté, une lumière blanche et crue l’aveuglant un instant. Une odeur familière de désinfectant agressa ses narines. Il était à l’hôpital. Ses membres étaient lourds, et une douleur lancinante lui traversait le bras gauche. Il porta instinctivement sa main à sa blessure bandée.
Des bribes de souvenirs lui revinrent en flashs : Aurora, ses larmes faussement innocentes, les ravisseurs, et surtout… Nox.
Une voix rauque et familière interrompit ses pensées.
"Enfin, tu te réveilles."
Luc tourna lentement la tête pour voir son grand-père, assis à côté de lui, les mains jointes sur sa canne. Malgré son visage sévère marqué par l’âge, ses yeux exprimaient un mélange de soulagement et d’inquiétude.
"Grand-père…" murmura Luc, sa voix cassée.
Le vieil homme hocha la tête, s’approchant pour poser une main réconfortante sur l’épaule de son petit-fils. "Tu m’as fait une peur bleue, garçon. Quand on m’a appelé pour me dire que tu avais été retrouvé inconscient… Je ne pensais pas que je te reverrais."
Luc baissa les yeux. Dans sa première vie, cet homme avait été une figure centrale de son succès. Mais aujourd’hui, il n’avait plus le luxe de se perdre dans ces souvenirs.
Il eut un rire amer à cette pensée. "Les choses ont bien changé cette fois-ci…" murmura-t-il pour lui-même.
"Qu’as-tu dit ?" demanda son grand-père, fronçant les sourcils.
"Rien." Luc détourna le regard, ses pensées tourbillonnant.
...****************...
Malgré les protestations de son grand-père, Luc tenta de se lever. La douleur fulgurante dans son bras lui fit grincer des dents, mais il ne pouvait pas rester inactif.
"Repose-toi !" tonna son grand-père, posant une main ferme sur son épaule pour le forcer à se rallonger. "Tu viens à peine de te réveiller. Ton corps a besoin de temps."
"Je n’ai pas de temps." Luc fixa son grand-père, ses yeux brûlant d’une détermination froide.
"Ne dis pas de bêtises ! Tu es en sécurité maintenant."
"Et lui ?!" s’écria Luc, sa voix se brisant.
Le vieil homme resta silencieux, pris au dépourvu par l’éclat soudain de son petit-fils.
Luc tourna la tête vers l’infirmière qui venait d’entrer. "Le garçon… Où est l’autre enfant ? Celui qui a été enlevé avec nous ?"
L’infirmière fronça les sourcils, confuse. "Il n’y avait que vous et cette petite fille. Aucun autre enfant n’a été retrouvé."
Ces mots frappèrent Luc comme une gifle. "Non, c’est impossible. Le kidnappeur m’a dit qu’il avait été vendu pour sauver cette… princesse."
L’infirmière secoua doucement la tête. "Je suis désolée, mais aucun autre enfant n’a été signalé dans cette affaire."
Plus tard dans la journée, Aurora arriva dans la chambre d’hôpital avec ses parents. Elle portait une robe immaculée et tenait un bouquet de fleurs dans les mains, l’air d’un ange tombé du ciel.
"Oh, je suis tellement heureuse que tu ailles mieux !" dit-elle en s’asseyant près de son lit, un sourire doux sur le visage.
Luc la dévisagea, serrant les dents. Il savait maintenant que son apparence délicate n’était qu’un masque.
"Pourquoi as-tu dit qu’il n’y avait que toi ?" demanda-t-il brusquement, ignorant la politesse.
Aurora cligna des yeux, l’air blessé. "Comment ça ? Je n’ai dit que la vérité. Mon grand frère m’a abandonnée dans le parc. Je pensais qu’il m'avait protégé, mais…" Elle secoua la tête, feignant la tristesse.
"Arrête ça." La voix de Luc était glaciale. "Tu sais qu’il a été enlevé avec toi. Tu sais qu’il n’a rien fait de mal."
Aurora fronça légèrement les sourcils, ses parents la regardant avec inquiétude. "Luc… Je comprends que tout ça ait été traumatisant, mais je ne mentirais jamais ! Je te promets que je ne veux que ton bien."
Ses mots suintaient d’hypocrisie. Elle lui lança un regard compatissant qui le dégoûta encore davantage.
"Tu savais ce qui allait lui arriver et tu n’as rien dit !"
Aurora plaqua une main sur sa bouche, faignant l’indignation. "Luc ! Comment peux-tu penser ça de moi ?"
Ses parents posèrent des mains protectrices sur ses épaules, murmurant des mots rassurants. Luc serra les poings. Il était seul contre leur aveuglement.
...****************...
Après leur départ, Luc reçut la visite de son ami d’enfance, Adrien. Contrairement aux autres, Adrien n’avait jamais jugé Luc pour ses obsessions ou ses idées fixes.
"Alors, qu’est-ce qui te tracasse cette fois ?" demanda Adrien en s’installant sur le fauteuil près du lit.
Luc lui raconta tout, sa rencontre avec Nox, leur enlèvement, et les mensonges d’Aurora.
Adrien fronça les sourcils, l’air pensif. "Donc, tu penses que cette fille essaie de cacher quelque chose ?"
Luc hocha la tête. "Elle manipule tout le monde. Et Nox… il est là-dehors quelque part, tout seul."
Adrien resta silencieux un moment, avant de poser une main sur l’épaule de Luc. "Écoute, tu n’as peut-être pas de preuves, mais je te connais. Tu ne lâches jamais rien. Si tu dis qu’il est là, alors je te crois. Mais tu dois faire attention, Luc. Ne laisse pas cette quête te consumer."
Luc baissa les yeux. Il appréciait le soutien d’Adrien, mais il savait qu’il n’avait pas le choix. "Merci, Adrien. Mais je dois le retrouver. Je le dois."
...****************...
Les années passèrent. Luc devint un étudiant studieux, mais il ne cessa jamais de chercher des informations sur Nox. Chaque piste semblait se terminer dans une impasse, et cette frustration le rongeait peu à peu.
Adrien restait à ses côtés, toujours fidèle. Il tentait de le raisonner, mais Luc était obstiné.
"Tu te fais du mal, Luc," lui disait souvent Adrien. "Tu ne peux pas passer ta vie à poursuivre des ombres. Tu dois avancer."
Mais avancer sans Nox semblait inconcevable pour Luc.
Un soir, à l’université, Luc céda une fois de plus à son désespoir. Après une journée particulièrement frustrante, il entraîna Adrien dans une boîte de nuit proche du campus.
"Pourquoi on est là, déjà ?" soupira Adrien en suivant Luc dans un box privé.
"Parce que j’ai besoin d’oublier," répondit Luc en vidant son premier verre d’un trait.
Adrien le regarda avec une pointe d’inquiétude. Ce n’était pas la première fois que Luc cherchait refuge dans l’alcool, et il savait comment cela se terminait : des illusions, des regrets, et une gueule de bois monumentale.
"Tu devrais y aller doucement," conseilla Adrien en croisant les bras, son regard rivé sur Luc. "Ce n’est pas ça qui va te rapprocher de ton but."
Luc haussa les épaules, ignorant la mise en garde.
Assis dans le box, un verre à la main, il sentit soudain un courant d’air passer alors que quelqu’un ouvrait la porte voisine.
Il leva les yeux… et son cœur sembla s’arrêter.
Une silhouette familière traversa le couloir.
Adrien, remarquant le regard soudain fixé de Luc, soupira profondément. "Pas encore…" murmura-t-il pour lui-même.
"Nox ?" balbutia Luc en se levant précipitamment, son verre vacillant dans sa main.
"Luc, attends !" Adrien tenta de l’arrêter, mais Luc, emporté par l’émotion, s’échappa dans le couloir sombre.
Titubant légèrement sous l’effet de l’alcool, Luc parcourut les lieux, les lumières clignotantes accentuant son désarroi.
"Luc, reviens ! Tu sais comment ça finit à chaque fois !" cria Adrien derrière lui, mais Luc l’ignora.
Il atteignit enfin la porte d’un box privé, celle où la silhouette avait disparu.
Il hésita un instant, sa main tremblante posée sur la poignée. Puis, il l’ouvrit d’un geste brusque.
Là, assis sur le canapé, se tenait un jeune homme. Ses cheveux sombres encadraient un visage devenu plus mature, mais toujours reconnaissable.
Luc sentit son souffle se couper.
"Nox…" murmura-t-il, sa voix brisée, emplie d’un mélange de joie, de peur et de douleur.
Adrien arriva juste derrière lui et observa la scène. "Luc… écoute-moi. Regarde bien."
Le jeune homme leva les yeux, visiblement surpris par cette intrusion. Mais il n’y avait aucune reconnaissance dans son regard, rien qui ressemblait à Nox.
"Qui êtes-vous ?" demanda l’inconnu, sa voix froide et distante.
Luc sentit le monde s’effondrer autour de lui. Il vacilla, et Adrien le rattrapa avant qu’il ne tombe.
"Je t’avais prévenu," soupira Adrien, le soutenant. "Tu dois arrêter de te torturer comme ça."
Luc baissa les yeux, le poids de la réalité s’abattant sur lui. "Je croyais… c’était lui… Je jure que c’était lui."
Adrien secoua la tête avec tristesse. "Luc, tu dois apprendre à laisser le passé derrière toi. Sinon, tu ne survivras pas."
Mais Luc, même dans sa confusion et son désespoir, savait qu’il ne pourrait jamais abandonner Nox. Il lui devait bien trop pour cela.
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