Il y a des gens qui naissent entourés. Famille, amis, amour. Moi, j’ai grandi seul. Enfin, pas totalement. J’ai un oncle, Malik, chez qui je vis depuis mes douze ans. Un type qui fait ce qu’il peut, mais qui n’a jamais vraiment voulu de moi. Il me nourrit, m’héberge, mais on ne parle presque pas. C’est pas un mauvais gars, il a juste pas signé pour ça.
J’ai dix-sept ans, et ma vie, c’est le lycée, la rue et la chambre minuscule au fond du couloir. Un matelas, un bureau bancal et une armoire qui tient à peine debout. J’ai arrêté de me plaindre. Ça sert à rien.
Ce matin, comme tous les autres, j’enfile un vieux jean et un sweat noir. Je prends mon sac troué et je descends en silence. Mon oncle est déjà parti bosser. Pas de petit-déj qui m’attend sur la table. Juste un post-it :
"Fais attention à toi."
C’est sa manière de montrer qu’il tient un peu à moi.
Je sors dans le froid matinal. Les rues sont bruyantes, pleines de monde qui vaque à ses occupations. Moi, je marche tête baissée, capuche sur la tête, évitant les regards.
Arrivé au lycée, c’est pareil. Les gens parlent, rient, se regroupent. Moi, je passe inaperçu. Pas d’amis, pas de bande, rien. Ça ne me dérange plus. J’ai appris à faire avec.
Et puis, il y a elle.
— Naël ?
Je relève la tête. Ilona. Elle est là, droite comme une flamme, ses longues tresses tombant sur ses épaules. Son regard accroche le mien, comme si elle voulait lire à travers moi.
— Tu vas bien ?
Elle demande toujours ça. Pas par politesse, pas comme les autres qui posent la question sans attendre de réponse. Elle, elle veut savoir.
— Comme d’hab.
Elle soupire légèrement, comme si elle s’attendait à cette réponse. Son regard glisse sur moi, s’arrête sur mon sac.
— Il est encore plus troué qu’hier, ton sac.
— Ouais, mais il tient.
— Tu veux que je t’en donne un autre ?
Je secoue la tête. Je déteste qu’on me prenne en pitié. Elle le sait. Pourtant, elle continue à vouloir aider.
— Viens, on va manger.
— J’ai pas d’argent.
— Et alors ?
Elle m’attrape par le bras et m’entraîne vers la sortie du lycée. Je pourrais résister, mais à quoi bon ?
On se retrouve devant une boulangerie. Elle sort un billet froissé de sa poche et achète deux sandwichs.
— Tiens.
— T’étais pas obligée.
— Ferme-la et mange.
Je souris malgré moi. Ilona, c’est ça. Elle ne force rien, elle donne juste ce qu’elle peut. Sans attendre de retour.
On s’assoit sur un banc. Autour de nous, les autres passent, vivent leur vie. Mais dans cette bulle, juste avec elle, c’est différent.
Je prends une bouchée et l’observe. Elle parle en gesticulant, racontant des anecdotes sur son boulot de serveuse. Elle bosse après les cours, elle fait des extras le week-end. Elle se tue à la tâche, mais elle garde toujours ce sourire.
— Pourquoi tu fais ça, Ilona ?
Elle arrête de parler, me regarde avec un sourire en coin.
— Faire quoi ?
— T’occuper de moi.
Elle hausse les épaules.
— T’es mon ami, non ?
Le mot me surprend. Ami. J’ai oublié ce que c’était.
— Ouais…
Elle me donne un léger coup de coude.
— Et peut-être que t’as juste besoin de quelqu’un qui croit en toi.
Je baisse les yeux. Personne n’a jamais cru en moi.
Sauf elle.
Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression que ça pourrait changer quelque chose.
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