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Le Jeu Des Masques

Prologue

À huit ans

Ashira n’aimait pas la maison des Vandross. Chaque recoin de cette demeure semblait la rejeter, de ses longs couloirs sombres et silencieux à l’austérité des pièces. L’atmosphère y était dense, pesante, comme si l’air même se chargeait de la froideur des regards polis, mais dénués de chaleur. C'était une maison qui n’avait que peu de place pour les rires, les sourires sincères. Elle ressentait un malaise profond à chaque visite, comme si elle n’y appartenait pas, comme si elle n’était qu’une ombre parmi d’autres, sans véritable identité aux yeux des Vandross.

Mais elle revenait toujours.

Et cela, parce qu'il y avait Arkelion.

Arkelion Vandross. Quatre ans de plus qu’elle, un âge qui, à ses yeux, faisait de lui un être plus sage, plus mature, presque intouchable. Pourtant, lorsqu’il riait ou lui adressait la parole, tout semblait s’illuminer. Il était la lumière dans ce foyer de ténèbres. Avec lui, les ombres semblaient moins menaçantes, et la lourdeur de la maison s’allégeait un peu. Il la traitait avec une attention particulière, une bienveillance rare dans ce milieu si distant. C’était lui qui lui expliquait les constellations, lui racontait des histoires où des héros surmontaient les plus grandes épreuves, des récits de courage et de magie qui la transportaient loin de la morosité des lieux.

Ashira admirait Arkelion. Elle n’en parlait jamais, n’osait pas avouer à voix haute qu’il était son refuge dans ce monde glacial. Mais au fond d’elle, il était son phare, celui qui la guidait à travers les ténèbres.

Puis, un jour, il disparut.

Elle n’avait pas compris à l’époque, pas tout de suite. Les journaux avaient annoncé son accident dans un froid détachement clinique. "Arkelion Vandross, héritier brisé." Les mots résonnaient dans sa tête comme une sentence. Le jeune garçon qui avait si souvent égayé sa vie, celui qui avait été son compagnon de rêverie, n’était plus. Il ne reviendrait jamais dans ce rôle-là.

À quinze ans, elle apprit qu'il ne marcherait plus jamais. À cet âge-là, il ne restait qu’un souvenir. Et avec lui, la douleur d’une perte silencieuse qu’elle n’avait jamais su exprimer.

À dix-huit ans

Ashira se tenait dans un petit bureau bruyant, une pièce encombrée de piles de dossiers et d'écrans d’ordinateurs. Elle avait réussi à se frayer un chemin dans le monde impitoyable de la technologie, dans un laboratoire où l’avenir semblait toujours incertain. Le bruit des claviers était devenu une mélodie quotidienne. Mais ce jour-là, un éclat de voix attira son attention.

Une collègue, tendue, semblait avoir perdu patience avec un invité important. Ashira ne réfléchit pas. Elle se leva, réajusta sa posture et s’avança d’un pas assuré. Elle savait comment gérer ce genre de situation.

"Je suis désolée pour le comportement de ma collègue," dit-elle avec un sourire conciliant en entrant dans la salle. "Je suis Ashira Kenworth. Je vais prendre le relais."

Lorsqu’elle tourna son regard vers l'homme, son sourire se figea.

Arkelion.

Il était là, devant elle, dans un fauteuil roulant. Ses traits avaient changé, la jeunesse s’était effacée pour laisser place à une maturité marquée, aux lignes plus dures. Mais malgré les années et les cicatrices de son accident, elle le reconnaissait. Et pourtant, lorsqu'il la regarda, il y avait quelque chose de froid, de distant dans son regard. Il ne la reconnaissait pas.

"Enchanté," dit-il, d’une voix calme mais neutre, tendant la main.

Ashira sentit un frisson glacé parcourir son échine. Elle prit sa main, mais l’étreinte était tout sauf familière. Il la regardait comme s’il venait de croiser une inconnue. Ce n’était plus le garçon qu’elle avait admiré, ce n’était plus celui qui lui avait appris à observer les étoiles. Elle lut dans ses yeux un vide, une distance qu’il n’avait pas avant. La douleur d’un souvenir enfoui.

Elle se força à garder son sourire. Un sourire professionnel. Mais à l’intérieur, un tourbillon d'émotions la submergea. Il y avait de la tristesse, de la frustration. Une profonde nostalgie, mais aussi un sentiment de perte qu’elle n’avait jamais réussi à apprivoiser.

Elle termina la rencontre avec efficacité, mais quand elle quitta la salle, elle sentit ses mains trembler. Elle s'appuya contre le mur du couloir, fermant les yeux un instant. Comment expliquer cette douleur ? Ce mélange de colère et de tristesse ? Ce qui l'emplissait de confusion, c’était la froideur d’Arkelion. Comment pouvait-il ne pas se souvenir d’elle ? Comment un tel changement pouvait-il avoir eu lieu en lui, alors qu’il avait été tout pour elle dans cette maison de glace ?

De son côté, Arkelion, dans sa nouvelle réalité, n’avait pas cherché à se rappeler du passé. Chaque jour était une lutte pour accepter ce qu’il était devenu. Il savait que les gens le regardaient différemment, qu’ils le voyaient comme une victime de son accident, comme l’héritier brisé. Il vivait dans une mer d’indifférence et de regards condescendants, se sentant parfois plus invisible que visible.

Quand Ashira entra, il eut un moment d’hésitation. La jeune femme qui s’avançait vers lui, son sourire poli, mais distant, semblait familière. Quelque chose chez elle lui rappelait un fragment de son passé. Mais il n’arrivait pas à placer son visage. Il la salua comme il l’aurait fait pour n’importe qui, poli, distant. Il ne voulait pas se permettre de chercher plus loin, de risquer de se perdre dans des souvenirs trop douloureux.

Lorsqu’il sentit sa main serrée par la sienne, un vide profond s’installa dans sa poitrine. C’était comme s’il ressentait un manque, une absence de connexion. Mais il ne pouvait pas lui accorder plus d’attention, pas maintenant. Le poids de son passé l’enveloppait toujours. Et peut-être qu’au fond de lui, il avait peur de se souvenir, peur de ce que cela impliquerait.

Quand elle partit, Arkelion resta là, seul dans sa chaise. Il n’arrivait pas à se sortir la sensation qu’il venait de rencontrer quelqu’un d’important. Mais il n’avait pas les clés pour comprendre ce vide intérieur, ni pour reconstituer le puzzle de son passé.

Trois ans plus tard

La lumière des lustres baignait la salle de bal dans une lueur dorée. Ashira, enveloppée dans une robe sobre mais élégante, évoluait parmi les invités. Elle avait été invitée par un collègue, sans se douter qu’elle croiserait à nouveau une figure de son passé.

Lorsqu’elle le vit, son souffle se coupa.

Arkelion Vandross était là, assis dans son fauteuil, entouré de quelques admirateurs. Mais son sourire était absent, et son regard semblait fixer un point invisible au-delà de la foule.

Elle hésita, mais finit par s’approcher.

Leurs regards se croisèrent une fois de plus, mais cette fois-ci, quelque chose avait changé. Ils n’étaient plus les mêmes. Les années les avaient façonnés, et il semblait qu'ils ne se connaissaient plus vraiment. Arkelion, désormais un homme marqué par le temps et ses épreuves, scrutait la silhouette d’Ashira devant lui. Un visage qui lui était familier, mais flou, comme un souvenir effacé, une image oubliée. Il ne savait plus d’où elle venait, ni pourquoi il ressentait cette étrange sensation de la reconnaître.

Elle, de son côté, le regardait avec une certaine distance, une froideur calculée. Il y avait quelque chose dans ses yeux, une lueur qui semblait hésiter entre la curiosité et la réticence. Il l’intriguait, mais ce n'était plus l’homme qu’elle avait connu autrefois. C’était un étranger, un étranger qui portait en lui les marques d’une vie brisée.

"Bonsoir," dit-elle doucement, brisant le silence lourd entre eux.

Arkelion releva la tête, observant son visage un instant, comme s’il cherchait à se souvenir. Puis, il répondit, sa voix calme, mais teintée de cette retenue qu’il avait appris à cultiver avec le temps.

« Vous êtes… » Il fronça les sourcils. « Vous travaillez dans ce laboratoire, n’est-ce pas ? Vous avez facilité un accord important pour moi. »

Ashira sentit son cœur vaciller. Il se souvenait d’elle, mais seulement de leur rencontre récente.

« Oui, » répondit-elle calmement.

Arkelion poursuivit : « grâce à vous, mon “ami” est aujourd’hui l’un des rares à collaborer avec Talise. »

Elle se tourna vers lui, comme si elle cherchait à briser cette distance invisible qui s'était installée.

"Alors, qu'est-ce qui vous amène ici, ce soir ?"

"Un peu de tout et rien, je suppose," répondit-elle, le regard fuyant. "Le hasard, peut-être."

Elle sourit sans joie. Le hasard. Oui, peut-être. Mais ce mot avait un goût amer dans sa bouche. Ce n'était pas le hasard qui les avait menés ici. C'était un enchevêtrement de vies perdues, de chemins différents qui s’étaient séparés sans jamais se retrouver.

Il fixa un moment ses mains entrelacées, avant de redresser le regard, de la scruter de plus près.

"Et vous… êtes-vous heureuse, maintenant ?" La question, simple, banale, mais chargée de sens, traversa l’air entre eux.

Ashira se figea. Une question qu'elle n’avait pas anticipée. Comment répondre à cela ? Comment dire qu’elle ne savait pas vraiment, qu’elle avait du mal à trouver sa place dans le monde qu’elle avait choisi ? Elle aurait aimé répondre par un simple "oui", mais la vérité, bien que muette, s’imposait.

"Je fais de mon mieux," dit-elle finalement, dans un souffle, presque comme si elle se justifiait à elle-même.

Arkelion observa sa réponse sans réagir, un léger sourire qui n'atteignait pas ses yeux. Elle était comme lui. Lui qui se débattait dans un monde qu’il ne comprenait plus, avec des souvenirs qui l’avaient abandonné. Et cette rencontre, à cet instant précis, était juste une autre tentative de comprendre quelque chose d’incompréhensible.

Alors qu'ils échangeaient quelques mots, la conversation dériva naturellement vers des sujets plus personnels. Au milieu de l'éclat des rires et des discussions, Arkelion, le regard sérieux, lui demanda :

« Et vous, Ashira, êtes-vous prête à vous marier ? »

Le cœur d'Ashira se serra. Elle ne s'était pas préparée à cette question.

« Non, Monsieur Vandross, je ne le suis pas encore. Je dois encore me perfectionner en tant que femme et épouse. Je veux être cette femme derrière mon époux, mais aussi à ses côtés. »

Arkelion sentit une douleur sourde envahir son cœur. Au fond de lui, il craignait qu'aucune femme ne puisse l’aimer véritablement, lui qui était diminué physiquement.

Il détourna légèrement les yeux, son regard perdu dans la foule, mais il ne pouvait échapper au poids des pensées qui s’accumulaient dans son esprit. Comment une femme comme elle pourrait-elle envisager un futur à ses côtés ? Lui qui était devenu un homme marqué, diminué par son accident, cet homme dont les cicatrices physiques étaient visibles et qui, au fond, ne croyait plus qu’il pourrait jamais être vu autrement qu’avec de la pitié.

« Je comprends, » murmura-t-il finalement, sa voix faible, comme s’il voulait étouffer toute trace de douleur dans ses mots. « Mais je crains qu’aucune femme ne puisse m’aimer, moi, celui que je suis devenu. »

Ashira baissa les yeux, sentant le poids de ses paroles. Elle voulait le rassurer, lui dire qu’il n’était pas défini par son apparence, mais elle savait aussi que ses mots risquaient de sonner faux, comme une promesse vide. Il y avait un abîme entre eux, et bien que ses intentions fussent sincères, elle doutait que ses paroles puissent effacer la souffrance d’un homme qui se dévalorisait autant.

« Je pense que vous vous trompez, Monsieur Vandross, » dit-elle doucement, presque sur un ton apaisant. « Mais je comprends pourquoi vous pensez ainsi. Ce que nous voyons à l’extérieur… ça n’est jamais tout. Ce qui est important, c’est ce qu’il y a à l’intérieur. »

Il la regarda alors, ses yeux cherchant à capter quelque chose de son regard, une vérité, peut-être.

« Vous pensez vraiment cela ? »

Elle acquiesça, mais son propre cœur se serrait à l’idée que même avec toute la bienveillance du monde, elle ne pourrait pas effacer cette douleur chez lui.

« Oui, je pense que tout ne se résume pas à ce qu’on voit. Mais je crois aussi qu’il faut apprendre à se voir autrement. S’accepter soi-même, avant de pouvoir accepter l’autre. »

Arkelion baissa la tête, un sourire triste effleurant ses lèvres.

« Vous avez l'air de savoir exactement ce qu'il faut faire. Mais moi… je ne sais plus qui je suis. »

La conversation s’était transformée, passant de la légèreté des premières paroles à une sincérité crue et douloureuse. Et même si Ashira aurait voulu trouver les mots pour l’aider à se relever, elle se rendait compte que le chemin vers la guérison d’Arkelion était peut-être plus long qu’elle ne l’avait imaginé.

Alors qu'ils se séparaient, un malaise étrange s'installait entre eux, comme si la conversation n'avait pas tout à fait été terminée, comme si quelque chose restait suspendu dans l'air. Arkelion se sentait étonnamment bien en présence d'Ashira, bien plus qu'il ne l'aurait cru possible après tant d'années de solitude. Ce n'était pas simplement une conversation agréable, mais quelque chose de plus profond, un lien qu'il n'arrivait pas à expliquer, comme si elle appartenait à son passé, un passé qu'il avait oublié mais qui revenait doucement à la surface de son esprit.

Il se tourna vers elle avant qu'elle ne s'éloigne, une question qui le brûlait les lèvres, une interrogation qui le troublait. Il n'arrivait pas à la chasser, même s'il savait que ce qu'il allait dire risquait de paraître étrange, presque irréaliste.

« Ashira… » commença-t-il, la voix un peu plus tendue. « Est-ce que… est-ce que vous êtes une personne de mon passé que j'ai oubliée ? »

La question flotta dans l'air entre eux, et le silence qui suivit sembla lourd, presque insupportable. Ashira le regarda, ses yeux remplis d'une profonde mélancolie, comme si elle savait exactement ce qu'il ressentait, mais qu'elle n'avait pas les mots pour le lui expliquer. Un sourire triste se dessina sur ses lèvres, un sourire qui semblait porter toute la douleur de ces années passées, de ces souvenirs effacés. Elle ne dit rien, mais dans ce silence, Arkelion crut percevoir une vérité silencieuse, un message clair dans l’expression de son visage.

Ce sourire, si doux et apaisant, semblait lui dire : « Ce n'est pas grave. Je ne t'en veux pas. »

Il resta là, immobile, la gorge nouée. La réponse d'Ashira, dans sa simplicité, apportait plus de poids que n'importe quel mot aurait pu. Elle ne cherchait pas à le convaincre, à effacer la distance entre eux, mais simplement à lui faire comprendre que, peu importe ce qu'il avait oublié, elle ne lui en tiendrait pas rigueur.

Arkelion baissa les yeux, une vague de gratitude mêlée à un désespoir silencieux traversant son cœur. Il ne savait plus où il en était. Tout était flou, comme si un voile invisible empêchait ses souvenirs de se reconstruire correctement. Mais quelque chose dans ce moment, dans l’échange silencieux entre eux, éveillait une lueur d’espoir qu’il n’avait pas ressentie depuis longtemps.

Ashira s'éloigna doucement, et même si Arkelion savait qu'il devait la laisser partir, il ressentit une étrange sensation de perte, comme si un morceau de lui-même s'en allait avec elle. Mais il n'eut pas le courage de la retenir. Elle avait son propre chemin à suivre, tout comme lui.

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