Autrefois, les dieux régnaient sur le monde des hommes, silhouettes colossales drapées d’éclats d’or et de flammes célestes. Leurs voix, tonitruantes comme l’orage, résonnaient à travers les cieux, imposant leur volonté d’un simple murmure, capable de briser des empires ou de remodeler les océans. Leur lumière dévorait l’obscurité, éclipsant jusqu’aux étoiles. Nul ne pouvait s’opposer à eux. Les rois se courbaient, les peuples tremblaient, et les prières s’élevaient sans jamais obtenir de réponse.
Pourtant, dans l’ombre de leur gloire, il existait des âmes brisées, des vestiges de leur cruauté. Parmi ces âmes-là, il y avait Naël. Un enfant née sous un ciel brisé.
La nuit où il vint au monde, le ciel se déchira. Des éclairs serpentaient parmi les nuages tourmentés, illuminant par instants un paysage noyé sous la pluie. Une cabane de bois se dressait en bordure d’un village silencieux, son toit croulant sous le poids des ans. À l’intérieur, un cri déchira l’air, suivi d’un souffle qui ne reviendrait jamais.
Naël naquit dans le sang et la solitude. Sa mère, les yeux grands ouverts vers un plafond qu’elle ne verrait plus jamais, s’était éteinte en lui donnant la vie. La sage-femme recula d’un pas, le visage blême.
— Les dieux l’ont marqué… murmura-t-elle.
Sur son torse, une cicatrice qu’il n’avait jamais reçue formait un étrange symbole : la marque du Croque-Mort. Une malédiction ancienne, un présage funeste. Ceux qui s’approchaient de lui tombaient sous une fatalité inéluctable : sept jours après l’avoir touché, la mort venait les réclamer.
Son père refusa de le prendre dans ses bras. Sa sœur aînée détourna le regard. La peur s’installa, insidieuse, venimeuse.
Les jours passèrent. Puis les semaines. Un matin, son père fut retrouvé sans vie, figé dans une expression de terreur. Sept jours après, sa sœur s’effondra à son tour. À quatre ans à peine, Naël était seul.
Les villageois le redoutaient, l’évitant comme un spectre porteur de malheur. Le vent soufflait sur les rues désertées lorsqu’il marchait, enfant frêle aux yeux d’un noir trop profond. Il ne pleurait pas. Il ne comprenait pas.
Un soir, alors que les flocons recouvraient la terre d’un linceul blanc, une silhouette apparut à la lisière des bois. Drapée dans un manteau sombre, elle le fixa un instant avant de tendre une main vers lui.
— Tu n’es pas le seul à être damné, enfant. Viens avec moi.
Ses yeux, d’un vert éteint, portaient le poids des âges. Elle était Hiyyih, la sorcière des bois. Une femme dont la légende murmurait qu’elle ne pouvait mourir, condamnée à errer éternellement entre les âmes qu’elle voyait disparaître.
Elle l’emmena loin du village, loin des regards terrifiés. Sa demeure, enfouie sous une mer de racines et de branches tordues, semblait être un sanctuaire oublié. L’intérieur était silencieux, baigné dans la lumière vacillante des bougies.
— Ta malédiction est celle de la mort. La mienne est celle de la vie. Nous sommes un paradoxe, toi et moi.
Elle l’éleva dans cette dualité, l’initiant aux secrets de l’invisible, aux murmures des âmes. Il apprit à comprendre la frontière ténue entre les vivants et les morts.
11 longue années c'étaient écoulées depuis.
La nuit tombait lentement, peignant le ciel de teintes sanglantes et d'ombres inquiétantes. Dans la forêt, le silence régnait, seulement troublé par le bruissement du vent à travers les feuilles. Mais même ici, sous l’abri des arbres noueux, Naël ne trouvait aucun répit.
La peur ne l’avait jamais quitté. C’était une présence constante, tapie dans son esprit comme une ombre insidieuse. Il savait que tout ce qu’il touchait était condamné, qu’un jour, même Hiyyih, avec son regard patient et ses gestes bienveillants, pourrait succomber à sa malédiction.
Ce soir-là, alors que le soleil mourant projetait une lumière dorée sur la canopée, un grondement lointain troubla la tranquillité des bois. D’abord un cri. Puis un autre. Et soudain, un hurlement collectif, porté par un vent chargé de cendres.
Naël s’arrêta net, le cœur battant. Il grimpa sur un rocher moussu et plissa les yeux vers l’horizon. Au-delà des arbres, le village brûlait. Les flammes s’élevaient haut, dansant comme des spectres affamés sur les toits effondrés. Des silhouettes couraient dans le chaos, certaines fuyant, d’autres s’écroulant sous des lames invisibles.
Puis vint la voix, stridente et accusatrice.
— C’est lui ! Ce monstre !
Naël tourna la tête. Une vieille femme, au visage creusé par les âges, le pointait d’un doigt tremblant. Autour d’elle, les villageois s’étaient rassemblés, leurs visages déformés par la peur et la haine.
— Partout où il va, la mort le suit !
— C’est sa faute, il a appelé cette malédiction sur nous !
Le souffle court, Naël recula d’un pas.
— Non… Ce n’est pas moi…
Mais il savait que les mots étaient inutiles. Il les avait déjà entendus mille fois.
Il courut. Il s’enfonça dans les ruelles en flammes, ses pieds nus frappant la terre brûlante. L’air était saturé de cendres, irrespirable. Autour de lui, des corps gisaient, l’acier ayant fait son office.
Puis il le vit.
Au centre du village, là où se dressait l’arbre sacré aux racines millénaires, une silhouette se tenait immobile. Un jeune homme, d’une beauté irréelle.
Il était vêtu d’une tunique blanche immaculée, malgré la poussière et le sang qui imprégnaient l’air autour de lui. Ses cheveux, d’un blond éthéré, semblaient capter la lumière des flammes, et ses yeux… ses yeux brillaient d’un or incandescent, comme deux fragments de soleil figés dans la nuit.
Mais ce n’étaient pas ces détails qui figeaient Naël sur place.
C’étaient ses ailes.
Deux immenses ailes, d’un blanc pur, s’étendaient derrière lui, se mouvant lentement comme des voiles célestes. Elles étaient si grandes qu’elles semblaient déchirer le ciel lui-même, projetant des ombres mouvantes sur les ruines embrasées.
Naël sentit son souffle se bloquer.
— Une divinité… murmura-t-il, les lèvres tremblantes. Tu es un fils des dieux, n’est-ce pas ? C'est toi qui est responsable de tout ça !
L’être tourna lentement son regard vers lui. Ses yeux dorés le scrutèrent, insondables. Puis, un sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire froid. Lointain.
— Tu sais, petit mortel…Sa voix était douce, presque apaisante, mais portait une autorité terrifiante. Les dieux ne se font pas accuser de massacre.
Naël sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine.
Ce n’était pas un ange venu sauver le village.
C’était le bourreau.
L’air autour de Naël trembla. Une chaleur incandescente, vivante, parcourut son corps comme un feu rampant sous sa peau. Son cœur battait à tout rompre, martelant ses côtes dans un mélange de peur et d’excitation. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Quelque chose en lui s’éveillait, quelque chose d’ancien, de primitif.
Et alors, sans pouvoir se contrôler, il se jeta sur le dieu.
Son corps bougea avant même que son esprit ne le décide. Ses muscles se contractèrent, sa vision se brouilla dans une obscurité mouvante. Ce n’était pas lui qui attaquait… c’était autre chose. Une force tapie au plus profond de son être, une bête qui venait d’être libérée de ses chaînes.
L’être divin, pourtant majestueux, n’eut même pas le temps de réagir.
Il voulut parler, lever la main, peut-être invoquer la lumière céleste pour anéantir cette aberration qui osait le toucher… mais il n’en eut pas l’occasion.
Naël le dévora.
Ses doigts s’enfoncèrent dans la chair du dieu comme dans de la cendre brûlante. Son corps se disloqua sous une force invisible, absorbé, dissous, aspiré dans l’abîme qu’était devenu Naël. L’énergie divine coula dans sa gorge, brûlante et glacée à la fois, un nectar interdit qui ne lui était pas destiné.
Le goût du divin fut comme un gouffre béant s’ouvrant sous ses pieds. Il s’attendait à être consumé, à être anéanti sur-le-champ. Mais il ne ressentit rien. Rien… si ce n’est un vide abyssal.
Il tomba à genoux, les mains tremblantes. Son souffle était saccadé, ses membres parcourus de spasmes incontrôlables.
Puis, lentement, il leva les yeux vers ses propres paumes.
Elles étaient noires.
Pas une noirceur ordinaire, mais une obscurité mouvante, vivante, comme si l’ombre elle-même s’était lovée dans sa peau. Des veines sombres ainsi que des ailes noires pulsaient sous sa chair, irradiant une lueur spectrale.
Et ses pensées…
Elles n’étaient plus les mêmes.
Tout ce qui lui semblait autrefois flou, incertain, lui apparaissait maintenant avec une clarté effrayante. Chaque détail, chaque mouvement de l’air, chaque bruissement des flammes autour de lui… il percevait tout, comme si son esprit s’était déployé au-delà de lui-même.
Il entendit une voix. Non… pas une voix. Un murmure. Un écho qui vibrait à l’intérieur de son âme.
Le Voyageur.
Il ne savait pas d’où venait ce nom, mais il sut instinctivement qu’il lui appartenait désormais. Il n’était plus un simple enfant maudit. Il n’était plus même humain. Il était devenu quelque chose d’autre.
Et tandis que les flammes du village mouraient doucement sous la cendre, la première graine du démon venait de germer.
Le vide. Il n’y avait plus rien d’humain en Naël. Rien d'autre que cette masse informe d’ombre et de haine. Ses yeux, devenus aussi noirs que l’abîme, scrutaient le monde autour de lui, le regard fixé sur une réalité déformée, où tout semblait suspendu à un fil fragile. Ses mains, noires et marbrées de ténèbres, frémissaient comme si la matière elle-même se dérobait sous leur toucher. Un frisson parcourut l’air, rendant l’atmosphère lourde, presque palpable.
Lorsqu’il posa un pied sur la terre dévastée, tout se déchira autour de lui. La gravité se courba sous son souffle. Les pierres éclatèrent en éclats tranchants. Les arbres, racines en l’air, tombèrent comme des géants abattus. Une onde invisible secoua l’air, brisant tout sur son passage.
Le vent se tut. Tout s’arrêta.
Les témoins étaient là. Ils avaient assisté à l’horreur. Ceux qui avaient survécu à l’attaque du village, ceux qui n’étaient pas encore tombés sous la colère de Naël, se tenaient là, pétrifiés. Leurs yeux cherchaient des réponses qu’ils ne trouveraient jamais. Des villageois, des paysans, des enfants, tous figés dans l’angoisse. Ils n’osaient plus respirer.
— Qu’est-ce que… c’est… ? murmura une vieille femme, ses bras tremblant en arrière, comme si elle espérait s’effacer dans l’ombre. Elle n'osait pas regarder la créature qu’était devenu Naël, la silhouette imposante qui se dressait devant eux.
Un homme, plus jeune, tenta de se cacher derrière un rocher, sa respiration rapide et irrégulière.
— C'est… c’est un maudit ! hurla-t-il, une terreur pure dans la voix. Il a tué le dieu ! Il a tué le dieu et il est devenu… ça !
Le silence qui suivit sa parole fut lourd, presque suffocant. Les autres murmuraient entre eux, la panique se répandant comme une épidémie. Aucun d'eux ne comprenait ce qu'ils avaient vu. Le dieu… cet être d’une beauté irréelle, qui venait de disparaître dans l’obscurité du Voyageur, comme si la lumière même avait été engloutie.
Naël tourna lentement la tête, son regard plongeant dans celui de la vieille femme, puis dans celui de l’homme terrifié. Il n’éprouvait plus rien, sauf la rage et l’abîme qui bouillonnaient dans ses veines.
— Vous m’avez abandonné dit-il d'une voix douce, mais d’une froideur glaciale qui fit frissonner l’air autour de lui. Tous, vous m’avez abandonné.
Il avança d’un pas, et l’onde de destruction se propaga à nouveau, brisant une pierre sous ses pieds. La terre trembla à nouveau, comme si elle-même se pliait sous la puissance qui émanait de lui. Le village, déjà ravagé par les flammes et la terreur, semblait se soumettre davantage à sa volonté. Chaque mouvement de Naël était une menace, un avertissement. Il n’était plus un homme. Il n’était plus un enfant. Il n’était plus qu’une force de la nature, une malédiction vivante.
Un autre témoin, un homme âgé, les cheveux blancs comme neige, se jeta à genoux, les mains tendues vers lui.
— Pitié, enfant…implora-t-il d'une voix brisée. Que veux-tu de nous ? Pourquoi nous faire souffrir ?
Naël se figea. Un long silence s’étira avant qu’il ne réponde.
— Je veux ce qui m’est dû. Vous m’avez tous laissé mourir. Vous m’avez tous regardé souffrir, sans un regard, sans une prière. Vous n’êtes rien à mes yeux.
Son regard balaya les survivants, leur peur se dessinant sur leurs visages comme des plaies ouvertes. Puis, il se détourna, l’ombre de son être grandissant derrière lui. Chaque mouvement, chaque geste semblait réécrire le paysage autour de lui, effaçant toute trace de vie.
L’homme au sol, les yeux pleins de larmes, murmura des mots inaudibles. Mais Naël ne l’entendait pas. Il n’entendait plus rien, sauf la rage qui grondait dans son âme brisée. Il n’était plus l’enfant abandonné par les dieux. Il n’était plus Naël. Il était quelque chose d'autre, et il n’y avait plus de retour.
Il se tourna vers l’horizon dévasté. Et là, dans l’infini de cette destruction, il se sentait perdu.
La peur, elle, restait aussi présente. Le massacre qu’il avait provoqué n’était pas passé inaperçu. Les dieux, ces créatures éternelles, étaient en alerte. Lui, le maudit, devenu le premier démon. Sa présence marquerait la fin d’un règne, et la guerre, qui couvait depuis les abysses du ciel, allait commencer.
À ses côtés, Hiyyih, la sorcière aux yeux vies infinies, marchait silencieusement. Elle pris quelque affaires et décida de l'éloigner du village le plus vite possible. Elle savait que son rôle serait désormais plus important que jamais. Ils se dirigeaient vers une nouvelle frontière, un terrain incertain où la lutte entre les saints et les maudits allait enflammer le monde. Et Naël, tout-puissant qu’il était devenu, n’était qu’une partie d’une histoire beaucoup plus vaste.
— Naël, dit-elle d'une voix basse, mais pleine de gravité. "Tu es devenu plus que ce que j’espérais, mais ce n’est pas sans prix. Le voyage qui t’attend est semé d’embûches. Même les dieux te traquent déjà, et tu vas devoir te battre à chaque instant."
Naël tourna lentement la tête vers elle, un regard vide, un abîme sans fond dans ses yeux. La transformation avait laissé des traces sur son esprit, mais elle n’avait pas encore effacé ce qui restait de l’homme qu’il avait été.
— Les dieux peuvent bien tenter de me détruire, Hiyyih. Je suis puissant maintenant. Je ne crains plus rien.
— C’est là que tu te trompes. Elle s’arrêta et plongea ses yeux dans les siens, comme si elle voyait au-delà de son apparence démoniaque. Les dieux sont puissants, et ceux que tu veux détruire sont aussi redoutables que les anciens géants. Mais les saints… ceux-là sont les plus dangereux. Ils ont été créés par les dieux, et leur foi leur donne un pouvoir que même toi, avec ta rage, ne pourras peut-être pas arrêter. Et il y a ceux qui ne veulent pas de cette guerre, ceux qui préfèrent la paix, même s'ils sont maudits.
Elle se tourna et recommença à marcher, ses pas résonnant sur le sol d’un monde déjà brisé. Au cours de mes longues années, j’ai croisé des demi-dieux, des créatures oubliées, des dieux déchus. Ils me doivent des services. Et je connais certains d’entre eux qui pourraient nous aider dans ta quête. Mais nous devons être prudents. Car chaque rencontre nous rapproche un peu plus de la guerre entre les saints et les maudits.
Naël la suivit dans le silence. Il sentait le poids des paroles de Hiyyih s’ancrer dans son esprit, même si une part de lui refusait d’accepter que sa route soit parsemée de telles menaces. Mais il savait que la sorcière, même imprégnée de mystères, avait vu plus de choses que lui en toute une vie. Elle était plus ancienne qu’elle n’en avait l’air, ses yeux d’argent témoignant des années qu’elle avait traversées, des sacrifices qu’elle avait faits. Elle avait vu les saints monter en puissance, et les maudits, comme lui, renaître des cendres. Leur guerre imminente était inévitable, et elle bouleverserait tout.
Alors qu'ils progressaient à travers la lande dévastée, Naël sentit la tension qui crépitait autour d'eux. La guerre approchait, il le savait. La terre elle-même semblait frémir sous ses pas, comme si elle partageait l’angoisse grandissante de ce qui allait arriver.
Hiyyih s’arrêta un instant, balayant du regard l’horizon obscurci par les brumes du crépuscule. Puis, sans un mot, elle se remit en marche, ses pas effleurant le sol avec une légèreté irréelle. Derrière elle, Naël suivait en silence, écoutant le bruissement du vent à travers les arbres tordus par le temps.
— Au cours de mes longues années, j’ai croisé des demi-dieux, des créatures oubliées, des dieux déchus, dit-elle enfin, sa voix résonnant doucement dans l’air froid. Certains me doivent encore des services. Parmi eux, quelques-uns pourraient nous aider dans ta quête. Mais chaque alliance a un prix, et chaque pas que nous faisons nous rapproche un peu plus de la guerre entre les saints et les maudits.
Naël observa son visage à la lueur des astres. Sous son apparence juvénile, Hiyyih portait en elle le poids des âges. Ses yeux, bien qu’illuminés d’un éclat surnaturel, reflétaient une histoire tissée de regrets et de choix impossibles. Elle avait été témoin de la montée des saints, de la chute des maudits, et savait que leur affrontement, cette fois, ne laisserait aucun vainqueur.
Ils avancèrent dans un sentier oublié, où la végétation recouvrait les ruines d’un monde que le temps avait effacé. La vallée s’ouvrit devant eux, immense et silencieuse, baignée d’une lumière spectrale. Au centre se dressait une prison de pierre et de métal, une forteresse oubliée où était enfermé un être dont le nom avait été effacé des légendes.
Un demi-dieu déchu.
Naël ralentit, ses yeux fixés sur l’imposante structure cernée par des chaînes brisées. L’air vibrait d’une énergie étrange, une force ancienne qui l’oppressait. Il déglutit avant de demander :
— C’est lui que nous devons voir ?
Hiyyih ne répondit pas tout de suite. Elle laissa le silence peser sur eux, avant d’hocher lentement la tête.
— Oui. Autrefois, les hommes l’adoraient comme un dieu. Puis, ils l’ont trahi, tout comme les siens. Il ne vit plus que pour la vengeance. Elle marqua une pause, puis ajouta : Mais il a une dette envers moi. S’il accepte de t’aider, il pourra t’apprendre à maîtriser ton pouvoir.
Un vent glacé souffla sur eux, portant un murmure indistinct, comme des voix oubliées murmurant à travers le temps. Ils s’approchèrent de l’entrée d’un temple dissimulé sous la roche. Les murs, couverts de symboles anciens, vibraient faiblement sous leurs doigts, comme s’ils pulsaient encore d’une magie révolue.
Hiyyih posa sa main sur l’un des glyphes, et une lumière pâle s’en échappa, serpentant sur la pierre comme une créature réveillée d’un long sommeil.
— Sois prêt, Naël, murmura-t-elle, une tension inhabituelle dans sa voix. Ce que nous allons faire ici ne sera pas sans conséquences.
La pierre trembla sous leurs pieds. Puis, une ombre bougea dans les profondeurs du temple.
Un rugissement brisa le silence, déchirant l’air avec une férocité primitive.
Et Naël comprit que la guerre n’attendrait plus.
Les murs du temple semblaient respirer sous l’effet du temps, épais, imprégnés des murmures des siècles passés. L’air y était oppressant, saturé d’une magie ancienne qui s’accrochait aux pierres comme un voile invisible. À chaque pas, Naël sentait le sol vibrer sous lui, comme si l’endroit lui-même cherchait à les repousser. Pourtant, Hiyyih avançait sans hésitation, se mouvant avec la fluidité d’une ombre à travers l’obscurité.
— Il n’est pas comme les autres, murmura-t-elle, sa voix se fondant dans le silence pesant du lieu. Ce demi-dieu déchu a été trahi par les siens. Il n’est plus qu’un fantôme de ce qu’il était.
Naël, qui n’avait jamais vu de demi-dieu, tenta d’imaginer ce qui les distinguait réellement des dieux qu’il haïssait tant. Ce qu’il entrevoyait dans les paroles d’Hiyyih était une forme de souffrance presque humaine, une blessure qui ne se refermerait jamais. Ce demi-dieu n’était peut-être pas un ennemi, mais un être brisé comme lui, un rejeté, condamné à une existence en marge des dieux et des hommes.
Au bout du couloir, une lumière blafarde dévoila une vaste salle circulaire. L’atmosphère y était plus lourde encore, presque tangible. Les murs, gravés de symboles oubliés, vibraient faiblement sous l’effet d’une force ancienne. Au centre de la pièce, une silhouette massive se dressait sur un piédestal de pierre. D’abord indistincte dans la pénombre, elle s’imposa peu à peu aux yeux de Naël : une créature à la fois humaine et monstrueuse, dont l’ombre s’étirait sur les dalles comme un spectre d’autrefois.
La tête du colosse se redressa lentement lorsqu’il perçut leur présence.
— Qui ose troubler mon sommeil ?
Sa voix était profonde, grave, semblable au grondement d’une mer en furie contre des falaises. Chaque syllabe vibrait dans l’air, pénétrant jusqu’aux os de Naël. Il s’immobilisa, frappé par une étrange sensation. Cette voix… Elle lui rappelait quelque chose, un écho de son propre malheur, de cette colère qui sommeillait en lui, prête à éclater.
Sans réfléchir, il s’avança.
— Naël, je suis un maudit annonça-t-il d’un ton froid et assuré. Je viens chercher de l’aide.
Hiyyih posa une main sur son épaule, mais il l’ignora.
Les yeux du demi-dieu se plissèrent. Un éclat fugace, semblable à de la reconnaissance, traversa son regard avant de s’évanouir. Il se leva lentement, et les chaînes qui entravaient ses poignets s’entrechoquèrent dans un tintement métallique.
— Un enfant maudit, répéta-t-il, sa voix chargée d’un amusement sombre. Humm le bouffeur de dieu… Celui qui marche dans l’ombre des divinités.
Un rire résonna dans la salle, un rire dénué de joie, empreint d’amertume.
— Tu es bien audacieux. Mais ta quête est une folie. Même moi, je ne peux plus défier les cieux.
Naël serra les poings. Autour de lui, une énergie sombre se mit à onduler, trahissant l’intensité de sa rage.
— Je n’ai pas choisi cette route, répliqua-t-il d’un ton tranchant. Les dieux m’ont fait ce que je suis, et je les ferai payer. Toi, tu sais ce que c’est. Tu as été abandonné, comme moi.
Le regard du demi-dieu se fit plus intense. Un instant, une douleur ancienne passa dans ses yeux, mais il se détourna presque aussitôt.
— Oui, j’ai été trahi par les miens. Ceux qui m’ont élevé m’ont abandonné pour leur propre confort. Mais que veux-tu de moi ? Je ne suis plus qu’une ombre, privé de mon pouvoir.
Hiyyih s’approcha, son regard empli d’une sagesse qui contrastait avec l’âpreté de la discussion.
— Il n’est pas question de pouvoir, mais de rébellion. Tu n’as pas oublié ce que tu es. Les dieux t’ont pris ta place, ta dignité. Regarde Naël. Ce que tu vois en lui, c’est ce que tu étais autrefois.
Un long silence s’étira. Le demi-dieu baissa la tête, ses chaînes raclant le sol de pierre dans un bruit funèbre. Finalement, il releva les yeux.
— Très bien, jeune maudit.
Il planta son regard incandescent dans celui de Naël.
— Je t’aiderai. Mais sache que ce que tu cherches à accomplir ne sera pas simple. Les dieux qui gouvernent encore ne resteront pas inactifs. L’un d’entre eux… est un ancien rival à moi. Il enverra ses serviteurs pour effacer toute menace à son règne.
Naël fronça les sourcils.
— De quel dieu parles-tu ?
— Varn, le Dieu des Tempêtes. Il était mon égal autrefois. Mais il a été le premier à me trahir, le premier à me faire chuter.
Un rictus amer tordit ses lèvres.
— Il est l’un des Douze. Et crois-moi, il fera tout pour te détruire avant que tu ne puisses défier les autres.
Hiyyih échangea un regard avec Naël, son expression grave.
— Varn est l’un des plus puissants. Il sera sur ton chemin, tôt ou tard. Et il ne sera pas seul.
Le demi-dieu s’approcha lentement, non sans difficulté. Ses chaînes alourdissaient ses mouvements, mais malgré sa condition, il se courba légèrement devant Naël, en signe de respect.
— Je vais t’enseigner ce que je sais de la magie des anciens. Peut-être cela te permettra-t-il de survivre. Mais ne compte pas sur moi pour te suivre dans cette quête. Mes chaînes ne sont pas qu’un fardeau physique.
Naël hocha la tête. Il comprenait. Chaque allié qu’il rencontrait le rapprochait de son objectif, mais il savait aussi que rien ne serait simple. L’univers entier semblait se dresser contre lui. Il devrait être plus fort que jamais.
— Merci, murmura-t-il.
Les ténèbres qui l’entouraient se resserrèrent autour de lui, palpables, brûlantes d’une détermination inébranlable.
— Nous reviendrons pour Varn.
Le demi-dieu déchu esquissa un sourire amer.
— Je l’espère pour toi, jeune maudit. Je l’espère.
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