Lina ouvrit les yeux et se trouva entourée d’un paysage qu’elle connaissait par cœur. La grande place d’Armathéa bourdonnait d’une activité joyeuse, avec ses échoppes aux toits dorés et ses rues suspendues entre les tours de métal poli. Les passants discutaient, riaient, et parfois s’arrêtaient pour admirer les démonstrations d’armes invisibles des plus talentueux.

Un jeune garçon projetait une lance faite d’énergie lumineuse, le résultat de sa fierté, tandis qu’une femme à la mine furieuse brandissait un bouclier massif, créé par sa colère. Ici, chaque émotion avait une forme, une puissance, une utilité. Sauf pour Lina.

Elle baissa les yeux vers ses mains, vides comme toujours. À 14 ans, elle n’avait jamais manifesté la moindre arme. Dans ce monde où même un bébé pouvait produire un éclat d’énergie, son absence était une anomalie criante.

« Encore là à rêvasser, Lina ? »

La voix de Kael, son voisin, la tira de ses pensées. Il portait un panier rempli de fruits, mais c’était l’arc d’argent lumineux sur son dos qui attirait tous les regards. L’arme de Kael, alimentée par son insatiable optimisme, faisait de lui l’un des apprentis les plus prometteurs de leur quartier.

« Je ne rêvasse pas, » répondit-elle sèchement.

Kael soupira en posant son panier. « Tu sais que ça ne sert à rien de te cacher, n’est-ce pas ? Tout le monde sait que tu es… spéciale. »

Spéciale. Le mot sonnait comme une insulte déguisée.

« Je ne suis pas spéciale. Je suis inutile, » murmura Lina.

Kael posa une main sur son épaule. « Tu n’es pas inutile. Tu es juste différente. »

Avant qu’elle ne puisse répondre, une cloche retentit, résonnant dans toute la place. Les passants s’arrêtèrent, le silence se fit. Une voix grave, amplifiée par les haut-parleurs magnétiques, s’éleva au-dessus de la foule.

« Citoyens d’Armathéa, préparez-vous pour la démonstration annuelle des armes émotionnelles. Que les candidats se rendent au Grand Forum. »

Lina sentit son estomac se nouer. La démonstration annuelle était l’un des événements les plus importants de l’année, où les jeunes présentaient leurs armes pour prouver leur valeur. C’était aussi une humiliation publique qu’elle ne voulait pas revivre.

Kael sembla lire dans ses pensées. « Tu viens quand même, n’est-ce pas ? »

« Pourquoi faire ? Pour que tout le monde voie encore que je n’ai rien ? Non merci. »

Mais avant qu’il ne puisse répondre, une rafale de vent glacial balaya la place. Lina sentit une étrange énergie s’infiltrer dans l’air, quelque chose de froid et oppressant. Un cri retentit, suivi d’un bruit sourd.

Elle se retourna pour voir un homme s’effondrer, sa poitrine traversée par une arme invisible… qu’il n’avait pas créée.

Les spectateurs paniquèrent, reculant en criant. Au centre de la place, un homme vêtu d’une longue cape noire levait une main. Autour de lui, des fragments d’énergie noire virevoltaient, menaçants.

Kael attrapa le bras de Lina. « Cours ! »

Mais elle ne bougea pas. Quelque chose, au fond d’elle, la poussait à rester. Tandis que le chaos grandissait, elle se surprit à murmurer :

« Je ne peux pas fuir… Pas cette fois. »

Ce fut à cet instant qu’elle sentit une étrange chaleur monter dans sa poitrine. Pas une arme. Pas une émotion. Mais quelque chose de bien plus puissant.

La panique régnait sur la place d’Armathéa. Les cris des habitants s’élevaient comme une cacophonie discordante, mêlés au bourdonnement inquiétant des armes émotionnelles activées. Des arcs de lumière, des lames invisibles et des boucliers d’énergie apparaissaient partout, mais aucun ne parvenait à contrer l’énergie noire qui pulsait autour de l’assaillant.

Kael tirait désespérément Lina par le bras.

« Pourquoi tu restes plantée là ? Viens ! »

Mais Lina ne pouvait pas bouger. Son regard était fixé sur l’homme en noir, qui avançait lentement, l’air imperturbable. Autour de lui, des fragments d’ombres dansaient, frappant les passants au hasard. Chaque coup semblait aspirer l’énergie émotionnelle des victimes, les laissant à terre, vidées de toute force.

Elle ressentait une étrange attraction envers cet homme. Pas une admiration, ni même une peur. Plutôt une sorte de résonance, comme si quelque chose en lui parlait directement à son absence d’arme.

Kael finit par la lâcher et se plaça devant elle, son arc d’argent tendu.

« Si tu ne veux pas bouger, alors reste derrière moi. »

Il tira une flèche lumineuse, un tir d’optimisme pur. L’énergie fendit l’air en un éclat argenté, mais s’éteignit avant d’atteindre l’homme en noir, absorbée par une barrière d’ombres tourbillonnantes.

« Inutile, » murmura le mystérieux assaillant d’une voix grave et rauque.

Kael recula d’un pas, son arc vacillant. Lina, elle, sentit cette chaleur dans sa poitrine se renforcer. Elle porta inconsciemment une main à son cœur. Ce n’était pas douloureux, mais étrange, comme si quelque chose cherchait à s’éveiller.

Le regard de l’homme en noir se posa sur elle.

« Toi, » dit-il simplement.

Lina sentit un frisson parcourir son corps. Avant qu’elle ne puisse comprendre, il leva une main, et une ombre jaillit dans sa direction.

Kael bondit pour la protéger, mais l’ombre passa à travers lui comme une brise glaciale, se dirigeant droit vers Lina. Elle ferma les yeux, s’attendant à être frappée.

Rien.

Au lieu d’un impact, elle sentit une vague de chaleur éclater dans son corps, comme un feu qui se répandait dans ses veines. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, le temps semblait s’être ralenti.

L’ombre qui l’avait touchée était figée dans l’air, incapable d’aller plus loin. Tout autour d’elle, les fragments d’énergie noire s’étaient arrêtés, suspendus comme des gouttes de pluie en plein vol.

L’homme en noir fronça les sourcils.

« Impossible… » murmura-t-il.

Lina baissa les yeux et vit que ses mains brillaient d’une lueur douce et dorée. Ce n’était pas une arme. Pas une forme tangible. Juste une énergie pure, fluide, qui semblait émaner directement de son être.

Kael la regarda avec stupeur.

« Lina… Qu’est-ce que tu fais ? »

Elle n’en avait aucune idée. Son corps agissait seul, comme guidé par une force qu’elle ne comprenait pas. Elle tendit une main vers l’homme en noir, et l’énergie dorée jaillit, frappant ses ombres et les dissipant comme de simples volutes de fumée.

Il recula, déséquilibré pour la première fois.

« Qui es-tu ? » demanda-t-il d’un ton glacial.

Lina ne répondit pas. Elle n’avait pas les mots pour expliquer ce qui venait de se passer. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’était plus la fille sans arme que tout le monde croyait.

Pour la première fois de sa vie, elle ressentit une émotion forte et claire : l’espoir.